La formule électorale gagnante = RP intégrale + prime majoritaire + RIP constituant

DENIS PATRICE LEBON 

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Maurice se trouve, aujourd’hui encore, au croisement des voies électorales, certes, mais d’un tout autre acabit : bien plus exigeant et tronçonnant, voire démembrant. Le système hérité des Britanniques d’avant 1968 un scrutin majoritaire plurinominal à un tour, First-Past-The-Post (FPTP), couplé à une députation corrective dite Best Loser System (BLS)  a certes assuré une ‘certaine stabilité gouvernementale, enviable à bien des égards aux yeux de quelques pays’ durant des décennies. Mais cette stabilité a eu pour contrecoup des distorsions profondes et croissantes dans la représentation du peuple. Tant et si bien qu’il semble désormais impératif d’opérer une refonte de ce mode de scrutin suranné et le troquer pour une représentation proportionnelle intégrale, elle-même agrémentée d’une prime majoritaire pour la liste arrivée en tête des suffrages exprimés. Une telle refonte, audacieuse et substantiellement réfléchie, nous apparaît comme la seule alternative véritablement démocratique et viable pour qu’enfin naisse pleinement la nation mauricienne sans reniement des acquis de sa souveraineté populaire.

Un héritage colonial et électoral qui a tant chancelé entre stabilité et distorsions

Au moment de l’Indépendance, le choix s’est porté sur le scrutin majoritaire plurinominal à un tour, aménagé de surcroît du mécanisme correctif : le Best Loser System (BLS). Ce dernier se proposait de répondre à des exigences historiques, ethnoculturelles et cultuelles précises, car il s’agissait de rassurer les composantes minoritaires de la toute jeune et fragile nation qu’elles conserveraient une voix au Parlement, quand bien même un raz-de-marée électoral du groupement majoritaire devait survenir. En d’autres termes, le BLS fut conçu pour être perçu tel un filet de sécurité communautaire, garantissant une représentation minimale des diverses communautés ethnoreligieuses du pays et prévenant l’absence totale d’une opposition parlementaire en cas de clean sweep électoral. Ce système hybride a, de fait, contribué à ladite légendaire stabilité politique prétendue de Maurice. Grâce à lui, chaque élection générale depuis 1968 a dégagé une majorité parlementaire claire, à même d‘administrer les affaires de l’État sans paralysie institutionnelle parlementaire.

Cependant, les sérieuses limites d’un tel héritage biscornu sont si vite apparues. La Landslide Victory de 1982, historique à bien des égards, car elle allait fournir la première illustration des plus éclatantes : l’alliance MMM-PSM, avec environ 63 % des suffrages, rafla la totalité des 60 sièges élus de l’île, éliminant de fait toute opposition élue. Certes, quatre sièges de meilleurs perdants furent alors attribués pour tempérer la déferlante 60-0, permettant à deux candidats travaillistes et deux du PMSD de siéger, en dépit de leur cinglante défaite dans les urnes. Toutefois, une opposition réduite à la portion congrue de nominés n’en restait pas moins symbolique. Le même scénario se réitéra en 1995, où cette fois, l’alliance Parti Travailliste-MMM, s’adjugea de nouveau la totalité des 60 sièges avec 65 % des voix, ne laissant à la minorité vaincue qu’un maigre rôle de pâle figuration à travers quelques sièges correctifs attribués à des candidats meilleurs perdants. Toutes ces aventures électorales n’ont eu de cesse de révéler au grand jour le déficit démocratique accru d’un système sournois, capable de priver près de 35 % des électeurs de toute représentation, quand bien même eût-elle été indirecte. À chaque fois, le BLS a joué son rôle de sparadrap, voire d’agrafe institutionnelle en sauvant quelques sièges d’opposition pour la prétendue honorabilité démocratique parlementaire, sans pour autant corriger l’iniquité fondamentale d’un scrutin si disproportionné.

Les crevasses démocratiques du Best Loser System (BLS)

Au-delà des déséquilibres systémiques et chiffrés, la députation corrective (BLS) souffre de failles structurelles béantes qui heurtent les principes mêmes d’une démocratie moderne ainsi que les fondements d’une représentation proportionnelle pleine et entière de la vie politique. D’abord, elle institutionnalise une logique communautariste datant d’une époque pourtant bien révolue. Afin d’être éligible aux sièges correctifs, chaque candidat doit se déclarer appartenir à l’un des ‘groupes’ ethnoreligieux sanctifiés par la Constitution : Hindou, Musulman, Sino-Mauricien ou Population générale un catalogage, que trop facilement l’on emboîte à la notion de communautarisme constitutionalisée, qu’il fût par ailleurs donné à votre serviteur de disséquer et d’approfondir dans un article d’opinion paru en page 8, en date du mardi 23 août 2022, intitulé ‘‘Au nom de l’aloi – on vit de la politique ou l’on vit pour elle : choisissez ! Sel solisyon revolisyon referander’’ et dont les colonnes de l’express Maurice en portent encore les traces et hérité du recensement de 1972, largement obsolète au regard de l’identité mauricienne d’aujourd’hui. Exiger ainsi d’un citoyen qu’il se définisse par sa communauté comme condition de son droit d’être élu apparaît de plus en plus comme une intolérable abjection. ‘Dans quel pays au monde un candidat doit déclarer son “way of life” pour pouvoir participer à des élections ? Sa citoyenneté et ses qualifications ne suffisent-elles pas ?’, s’insurgeait à juste titre un militant de Rezistans ek Alternativ (ReA), mouvement à l’avant-garde de ce combat anti-communautariste. Cette exigence a même été jugée contraire aux droits humains fondamentaux par divers observateurs locaux, poussant à un mini-amendement constitutionnel en 2014 pour rendre temporairement facultative la déclaration ethnique des candidats. Le maintien du BLS dans sa forme originelle heurte donc singulièrement le principe d’égalité civique et sursoit l’émergence d’un véritable mauricianisme politique, transcendant les appartenances ancestrales, mais aussi communautaristes. Ensuite, le BLS représente un pis-aller démocratique du point de vue représentatif. Il n’accorde que huit sièges supplémentaires au maximum, choisis parmi les meilleurs perdants de chaque communauté. Huit sièges sur soixante-dix possibles : autant dire une insignifiante goutte d’eau trop salée qui ne saurait compenser les océans de distorsion créés par le scrutin majoritaire plurinominal à un tour. Le BLS corrige donc exclusivement les déséquilibres ethniques, jamais les déséquilibres partisans ou proportionnels. Ainsi, un parti recueillant, par exemple, 40 % des voix nationales, peut fort bien n’obtenir qu’une poignée de sièges si ses candidats arrivent systématiquement deuxièmes un peu partout et le BLS ne lui sera d’aucun secours s’il appartient à la communauté déjà bien représentée au Parlement. Ce mécanisme apparaît dès lors comme une rustine institutionnelle, capable tout au plus d’apporter un semblant d’équilibre communautaire et d’assurer une opposition minimale en cas de wipe-out, mais totalement impuissant à garantir une représentation équitable de la pluralité des choix des électeurs. À quoi bon, docteur ? L’élection de 2019 en fournit une démonstration rageante pour l’époque : la coalition au pouvoir, forte de seulement 37,7 % des suffrages, a remporté 42 sièges sur 70, soit 60 % des sièges, lui assurant une majorité absolue malgré une nette minorité de voix. Face à elle, l’opposition principale et un troisième parti, totalisant ensemble plus de 53 % des voix, durent se contenter de 26 sièges au total. Un indice de Gallagher mesure internationale du déséquilibre voix/sièges de 17,94 fut enregistré, témoignant d’une disproportion extrême entre la volonté populaire mauricienne et sa traduction parlementaire. Le BLS, dans ce cas, n’a nullement empêché qu’une minorité d’électeurs gouverne au nom de la majorité ; il s’est borné à octroyer quelques sièges additionnels à des candidats issus de communautés sous-représentées, sans jamais changer en profondeur l’issue horriblement inéquitable du scrutin.

Et rebelote, car plus récemment, les législatives de 2024 ont bien confirmé l’absurdité assurément grotesque et inouïe du présent système électoral mauricien où l’immobilité beckettienne côtoie l’illogisme ionescien dans un silence pintérien. Comment ne pas comprendre, dès lors, qu’il n’est qu’un sempiternel simulacre genetien lorsque l’Alliance du Changement, menée en duo par le Dr Navinchandra Ramgoolam et Paul Raymond Bérenger, ayant certes remporté une victoire éclatante avec environ 61 % des suffrages, mais où la mécanique du scrutin majoritaire lui a tout de même accordé une surreprésentation écrasante : 60 sièges sur 62 élus lui sont revenus, n’abandonnant qu’une infime portion de la Chambre à ses adversaires, et le mauricien ne comprenant toujours pas que l’épée de Damoclès a changé de main, mais pas de tête : la sienne y est toujours en joue. À l’inverse, l’alliance sortante de l’ancien Premier ministre, Pravind Kumar Jugnauth, forte de 27,3 % des voix, n’a sauvé que 2 sièges grâce aux nominations BLS, retrouvant sa formation politique quasi éliminée de l’Hémicycle. Ces deux députés repêchés furent d’ailleurs incapables ou peut-être même peu désireux, sait-on jamais vraiment d’assumer ce rôle d’opposition effective, démissionnant de facto de cette responsabilité dès le lendemain du scrutin. Une fois de plus, qu’il en plaise ou n’en déplaise, qu’importe, plus d’un quart des électeurs mauriciens se sont vus, pratiquement privés de représentation parlementaire. Faut-il rappeler qu’en l’absence du BLS, cette opposition aurait été purement et simplement réduite à néant ? Loin de plaider en faveur du statu quo, ce constat achève, à contrario, de discréditer le système actuel : un mode de scrutin où le sort d’une opposition entière peut reposer sur la bonne volonté de quelques losers, meilleurs que d’autres, n’est absolument pas digne d’une démocratie à part entière, se voulant foncièrement moderne, participative, directe. La mascarade n’en a que bien trop duré le temps est enfin venu de remplacer courageusement et durablement cette mécanique viciée par un système électoral flambant neuf, à la hauteur de la maturité électorale, républicaine, souveraine et démocratique de tous les patriotes mauriciens :

 

Na pa vinn pran Morisien pou kouyon isi, pou bann move san konpran ou bien pou bann zanfan ki ape bizin grandi ankor ek lerla pou vinn dir : gete ki kantite zot mank matirite

Na pa tro krwar ki toultan Morisien pou kontinie zwe gete ek apre les zot swazir pou li

Bann politisien, bann intelektiel ek sirtou bann media radiotelevise zot ena enn extra gran responsabilite pou vinn explike e poz maximum kestyon fondamantal lor sa reprezantasion proporsionel integral la ek bonis ki donn lalis ki finn arriv premie

Ek li mari inportan pran bien letan pou ki ena plizir deba nasional serye lor sa size-la

Si sa reform-la deroul dan sa manier ki nou pe dir finn arriv ler pou fer li, abe napena

oken rezon valab pou ki bann Morisien pa kapav pran bann desizion informe e intelizan pou zot lavenir, lavenir zot bann zanfan e tou bann tizanfan ki apartenir sa later Moris-la

Sel solision se revolision referander pou ki tou Morisien san okenn eksepsion kapav fer tann zot lavwa ziska dan parlman ek napa pou bizin toukou atann ankor 5 banane pou sa

Des résultats électoraux inéquitables où l’évidence implacable se manifeste : les chiffres ne mentent pas !

Les déséquilibres entre suffrages exprimés et sièges obtenus, largement pressentis dans l’opinion, se mesurent empiriquement avec une clarté déconcertante. Outre les cas extrêmes de 1982, 1995 ou 2024, déjà évoqués, l’historique des scrutins mauriciens regorge d’illustrations de biais majoritaire. 1976 : le MMM remporte 40,8 % des voix, le Parti travailliste 37,9 % mais à l’arrivée, chacun obtient 34 sièges sur 70 (après BLS), laissant seulement 2 sièges au PMSD qui avait pourtant engrangé près de 17 % des suffrages. 2010 : l’Alliance de l’Avenir (PTr-MSM-PMSD) totalise 49,3 % des voix, mais rafle 41 sièges sur 69, tandis que l’Alliance MMM-UN-MMSM avec 42 % des voix doivent se contenter de 18 sièges. 2014 : l’Alliance Lepep (MSM-PMSD-ML) transforme 49,8 % des voix en 51 sièges sur 69, reléguant l’alliance PTr-MMM (49 % des voix) à 16 sièges seulement. Ces quelques exemples suffisent à mettre en lumière une constante redoutablement troublante, voire hasardeuse à bien des égards : le lien proportionnel entre la volonté populaire et sa traduction en sièges est totalement rompu. La part de vote national d’un parti n’a qu’un rapport lointain avec sa force parlementaire réelle. La conséquence en est doublement néfaste : d’une part, une injustice flagrante envers des courants politiques entiers et leurs électeurs, sous-représentés ou surreprésentés de manière aléatoire ; d’autre part, un affaiblissement du caractère pluraliste de notre Assemblée nationale mauricienne, trop souvent dominée par un seul bloc hégémonique faisant face à une opposition atrophiée. Pour reprendre les termes crus d’un observateur, ‘le vote national ne compte presque pas dans un système FPTP’, terrible constat pour une nation qui se veut démocratique. Il est grand temps de rétablir l’équité électorale à Maurice en alignant, enfin, le poids de chaque vote sur la représentation qui en découle.

La proportionnelle intégrale ou l’impératif démocratique absolu

La solution s’impose d’elle-même à quiconque est attaché aux principes fondateurs de paix, de justice et de liberté. L’on pourrait rajouter l’égalité en démocratie par l’adoption, pure et simple, de la représentation proportionnelle intégrale. Cela signifie que le nombre de sièges remportés par chaque parti ou alliance serait strictement proportionnel au pourcentage de voix obtenu sur l’ensemble du territoire, ou éventuellement par circonscription élargie. Exit les zones winner-takes-it-all où un parti rafle les 3 sièges avec 51 % des suffrages dans la circonscription en laissant son rival avec 49 % sans aucun élu ! Exit les by-products du (re)découpage électoral, où un parti peut, grâce à la concentration géographique de ses voix, gagner de nombreux sièges avec peu de suffrages au niveau national. Chaque voix, qu’elle provienne de Mahébourg, de Quatre Bornes ou de Rodrigues, serait comptée et participerait à l’attribution des sièges, à due proportion de son poids dans l’électorat national. Une personne, une voix et chaque voix compte : tel est le credo de la proportionnelle, qui redonne tout son sens au principe même de souveraineté du peuple. Et ce n’est qu’à cela que la locution latine consacrée, notamment vox populi, vox Dei, prend toute son importance par son ampleur. Les bénéfices d’un tel système seraient immédiats. D’abord, une Assemblée nationale reflétant fidèlement la mosaïque des opinions de notre société dans son entièreté. Fini le temps où près de la moitié des électeurs se réveillent au lendemain du scrutin sans, ou presque, de porte-parole au Parlement. La pluralité politique, y compris celle des plus petites formations, trouverait une expression légitime dans l’Hémicycle, sous réserve d’un seuil minimal à définir pour éviter une atomisation excessive, par exemple, 5 % des suffrages exprimés. Ensuite vient la disparition du vote utile et des calculs stratégiques communautaristes ou des tactiques perverses, inhérentes au scrutin majoritaire plurinominal à un tour, biberonné au BLS. L’électeur mauricien pourrait enfin voter selon sa conviction profonde, sans craindre de « gâcher » sa voix pour un tiers parti ou un candidat de cœur. La libération de ce vote sincère renforcerait la qualité de la vie politique de toute la nation mauricienne, favorisant de ce fait l’émergence de nouveaux visages et d’idées novatrices, aujourd’hui étouffées par la dualité rigide des blocs partisans électoraux. Enfin, l’adoption de la proportionnelle intégrale permettrait de rompre une bonne fois pour toutes avec le communautarisme constitutionnalisé du BLS. En effet, dans un scrutin de liste nationale ou régionale, il appartiendrait aux partis de présenter des listes de candidats reflétant cette diversité mauricienne s’ils veulent convaincre un électorat aussi large que possible. On pourrait même inscrire dans la nouvelle loi électorale des dispositions encourageant la diversité des listes, notamment la parité ethnoreligieuse, l’équilibre de genre, etc., afin de garantir que le Parlement élu soit à l’image de la nation arc-en-ciel. Ainsi, la représentation des minorités ne relèverait plus d’un mécanisme correctif, opaque, ad hoc, teinté de condescendance, mais d’une dynamique naturelle et transparente de la compétition électorale. L’unité nationale en sortirait fort grandie, car fondée sur la reconnaissance de chaque composante au grand jour et non par le truchement des sièges ex-machina. En somme, la proportionnelle intégrale réaliserait l’idéal démocratique que l’île Maurice a longtemps revendiqué sans pleinement l’accomplir : le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, où la composition du Parlement national serait le miroir fidèle des choix populaires exprimés librement dans l’urne le jour fatidique.

 

Une prime majoritaire en lieu et place du BLS pour garantir la sacrosainte stabilité gouvernementale tant enviée

Reste une appréhension légitime qu’il convient de complètement lever avec lucidité et intelligence : une représentation proportionnelle pure risquerait-elle d’engendrer une instabilité gouvernementale, en morcelant la majorité en une multitude de groupes incapables de s’accorder pour gouverner ? Cette crainte, largement répandue chez les tenants d’une approche traditionaliste, ne saurait aucunement être éludée. Maurice a aussi connu, grâce à son système actuel, des gouvernements stables et cohérents, épargnés des renversements de coalitions à répétition. Et d’ailleurs, pourquoi ne conserverait-on pas cet avantage tout en abolissant les injustices du système majoritaire plurinominal à un tour ? Oui, parfaitement, en le prévoyant explicitement dans le nouveau dispositif : c’est précisément le rôle dévolu à la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête des suffrages exprimés. Concrètement, il s’agirait d’attribuer un bonus de sièges à la liste, ou alliance préélectorale, arrivée en tête du scrutin proportionnel, afin de lui assurer une majorité de travaux au Parlement. Ce mécanisme de prime majoritaire n’est pas une lubie exotique, mais bien une modalité éprouvée dans d’autres démocraties modernes. La Grèce, par exemple, a longtemps octroyé un bonus de 50 sièges au parti arrivé en tête aux législatives sur 300 justement pour faciliter l’émergence d’une majorité stable. En France, les élections municipales et régionales combinent une proportionnelle par listes avec une prime accordée à la liste gagnante 50 % des sièges municipaux, 25 % des sièges régionaux ce qui garantit à celle-ci la capacité de gouverner tout en respectant la représentation proportionnelle de l’ensemble des forces en présence. L’idée n’a donc rien d’inconnu : il s’agit d’atténuer légèrement et intelligemment la proportionnalité pour favoriser la constitution d’une majorité, sans pour autant retomber dans les travers inéquitables d’un pur majoritaire.

Dans le cas mauricien, plusieurs formules pourraient être envisagées. L’une d’elles consisterait à réserver, disons, 10 % des sièges de l’Assemblée en prime pour le vainqueur. Par exemple, sur un Parlement porté à 80 membres, on pourrait distribuer 72 sièges à la proportionnelle intégrale, puis accorder 8 sièges supplémentaires au parti, ou l’alliance éventuelle, ayant recueilli le plus de suffrages au niveau national. Si ce parti n’avait pas déjà la majorité absolue avec ses 72 sièges proportionnels, cette prime pourrait la lui conférer ou s’en approcher, tout en laissant à l’opposition un effectif conséquent. Une variante serait de fixer un seuil de majorité garantie : assurer au gagnant au moins 51 % des sièges. Si le scrutin proportionnel lui en donne déjà 51 % ou plus, la prime n’a pas lieu de s’appliquer ; auquel cas, on lui attribue le nombre de sièges additionnels nécessaires pour l’atteindre. Dans tous les cas, l’esprit de la refonte demeurerait le même : préserver la gouvernabilité du pays qui est un bien commun précieux sans reproduire les failles structurelles ni les injustices de représentation du système actuel. La prime majoritaire destinée à la liste arrivée en tête des suffrages exprimés jouerait en somme le rôle d’un amortisseur institutionnel, garantissant des majorités stables, mais modérées, incapables d’abuser d’un pouvoir hégémonique obtenu artificiellement. Le gouvernement issu des urnes resterait tributaire d’un vote populaire majoritaire, mais il ne pourrait plus s’arroger comme cela est le cas aujourd’hui une domination parlementaire disproportionnée et divorçant d’avec la réalité électorale. Maurice a donc tout intérêt à adopter ce système proportionnel intégral à correctif majoritaire pour la liste arrivée en tête. Il allierait le meilleur des deux mondes : l’équité et le respect du pluralisme d’une part, la stabilité et l’efficacité de l’action gouvernementale, d’autre part. Ce nouveau mode de scrutin serait infiniment plus juste sans être moins gouvernable. Il mettrait fin aux aberrations du passé : majorités parlementaires fondées sur des minorités de voix, oppositions fantomatiques et réduites à la merci de sièges de consolation, etc., tout en préservant l’indispensable continuité de l’État mauricien après chaque échéance électorale. C’est une refonte de bon sens et de haute portée démocratique. Elle exige bien évidement du courage politique ainsi que la volonté politique, car il faut souvent aux vainqueurs du jour accepter de rogner les privilèges que leur confère un système dont ils ont si bien profité des années durant et profitent encore maintenant, espérons temporairement. Mais l’Histoire retiendra la sagesse de ceux qui, anticipant les défis de demain, auront su doter la nation mauricienne d’institutions bien plus justes, nettement plus inclusives et, clairement, largement plus solides.

Le peuple constituant veut cheminer vers un Référendum d’Initiative Populaire. Vous en douter ? Demandez-lui !

Réformer en profondeur le mode de scrutin implique de toucher à la Constitution véritable pacte fondamental de notre République. Or, une réforme d’une telle ampleur ne saurait être menée sans associer étroitement la volonté populaire à son élaboration et à son adoption. C’est une question de Principe et c’est ici qu’intervient un autre chantier institutionnel d’envergure : l’introduction d’un Référendum d’Initiative Populaire Constituant (RIPC), outil démocratique par excellence que votre serviteur, là encore, a eu l’occasion de plaider dans ces mêmes colonnes, à deux reprises. Dans deux précédents billets publiés dans Le Mauricien, notamment le mercredi 16 octobre 2024 et le lundi 27 janvier 2025, votre serviteur exposait les vertus et la mise en place des garde-fous irréfragables d’un tel mécanisme pour enfin rendre au peuple de Maurice l’entière maîtrise de son destin constitutionnel. Le RIPC permettrait, en effet, aux citoyens de proposer et de ratifier directement des amendements constitutionnels par voie référendaire, s’affirmant ainsi en ultime gardien de sa propre Loi suprême. Outil, certes simple, mais d’une portée révolutionnaire considérable, pratiqué avec succès en Uruguay, en Bolivie, en Lituanie, ou encore en Suisse, entre autres, le RIPC offrirait cette nouvelle voie de participation citoyenne et de contrôle démocratique direct, qui refile d’ailleurs aux politiciens l’étrange impression d’avoir le cœur battant la chamade avec une peur tournant au bleu foncé tout en pensant pouvoir se reprendre, hélas, avec des rires jaunes, comme pour conjurer un mauvais sort rien qu’à l’idée qu’il y ait de sérieux débats nationaux fortement médiatisés sur le RIPC : un sujet d’importance monumentale pour toute la nation mauricienne que l’on peut légitimement se demander pourquoi des journalistes animant des émissions radiophoniques quasi quotidiennes ne prennent toujours pas la pleine mesure d’organiser des débats de fond sur ce sujet en particulier, d’intérêt national indéniable l’introduction du RIPC dans les fondements démocratiques du pays à l’heure de la tant attendue ‘bonne réforme électorale’ étant d’une importance tellement essentielle pour la future génération du pays ? Appliqué à la future réforme électorale qui nous occupe, le RIPC garantirait que celle-ci émane directement du peuple et qu’elle soit, non seulement conçue pour le peuple, mais également et fondamentalement par le peuple. Plutôt que d’être imposée d’en haut ou négociée en coulisses entre partis et chefs de partis, la refonte du système de vote pourrait même, au besoin ou à l’envie, être soumise à l’approbation référendaire des Mauriciens, au terme de vastes et très sérieux débats nationaux. Reprenant notre réflexion précédente : mieux attendu que le principe même du RIPC pourrait être introduit simultanément de façon à ce que le peuple mauricien souverain et démocratique, comme il lui est si souvent rappelé, dispose à l’avenir de son ultime levier constitutionnel permanent pour parachever ou ajuster les réformes constitutionnelles, institutionnelles, selon l’évolution de ses aspirations propres, légitimes, inaliénables et indivisibles. Une authentique démocratie 2.0, augmentée par ce que l’auteur de ces lignes désigne comme l’instrument de réappropriation citoyenne par excellence, verrait alors enfin le jour une démocratie où les Mauriciens ne se contentent plus d’élire leurs représentants, mais peuvent directement écrire les règles du jeu politique lorsque l’intérêt supérieur de la nation l’exige, lorsque sa destinée l’incombe en tant que peuple souverain et démocratique, à l’instar de l’article 1er de sa Loi suprême. Bien sûr, la mise en place du RIPC devra être encadrée avec rigueur absolue pour éviter tout dévoiement communautariste, ou de tout autre nature, comme j’en rappelle ci-dessus, mais en avertissais déjà dans le billet consacré en date du lundi 27 janvier 2025. Cependant, correctement conçu et convenablement mis en œuvre, ledit Référendum d’initiative populaire constituant (RIPC) pourrait devenir le complément naturel de la prochaine réforme électorale de la représentation à Maurice. D’un côté, la proportionnelle intégrale avec prime majoritaire assurerait une représentation fidèle et une gouvernance parfaitement stable ; de l’autre, le RIPC garantirait que la souveraineté populaire mauricienne puisse, en dernière instance, reprendre la main sur ses institutions si celles-ci venaient à trahir l’esprit démocratique du pays, parce que Maurice, dans sa majorité, se souvient encore de l’épopée traumatisante de Jugnauth fils (suivez mon regard jusqu’à Misie Moutass) et il nous semble que le présent régime n’en est pas à sa première peau de banane glissante. Deux réformes, un seul et unique objectif : faire entrer la véritable démocratie mauricienne dans une ère de maturité nouvelle, où l’innovation institutionnelle s’accorde dans le plus consciencieux respect de la volonté du peuple. Faire que Maurice marche fermement et fièrement sur ses deux pieds dans les contrées de la pleine souveraineté et de la vraie démocratie.

Lorsque l’innovation s’inscrit dans la continuité de l’État souverain et démocratique

Il ne s’agit ici nullement de jeter l’anathème sur nos institutions passées ni de renier l’héritage de stabilité et de cohésion légué par nos aînés. Bien au contraire, c’est au nom de la pérennité de cette stabilité que nous plaidons pour son aggiornamento. Le mode de scrutin majoritaire plurinominal à un tour, doublé du BLS, fut un étrange compromis historique qui a longtemps servi Maurice, tant bien que mal ; mais, il montre clairement aujourd’hui ses limites, et même de façon criante. Persister dans cette voie reviendrait à s’arc-bouter sur un archaïsme politique au détriment de l’équité, de la souveraineté et de la vitalité démocratique de toute la nation arc-en-ciel. En revanche, oser pareille réforme en optant pour la proportionnelle intégrale avec la prime majoritaire pour la liste arrivée en tête des suffrages exprimés aux côtés du RIPC ce n’est aucunement trahir l’esprit mauricien, à contrario, c’est l’emmener à sa pleine réalisation, c’est faire preuve de “rigueur, de cloisons et de raison” comme évoqué dans le billet du lundi 17 janvier dernier, en bâtissant des cloisons institutionnelles de solidités irréfragables contre l’injustice électorale, avec la raison pour guide et la rigueur pour méthode. Un tel changement, nous en avons l’intime conviction, transcende les clivages partisans. D’ailleurs, fait notable, même des formations jadis réticentes à la proportionnelle reconnaissent désormais la nécessité d’une dose substantielle de proportionnalité pour renforcer l’opposition et l’équité entre origines. Mais, hélas, là encore, ils nous montrent leurs limitations patentes dans la compréhension des enjeux visant à doter notre démocratie mauricienne d’un socle plus juste, plus inclusif et plus résilient. Attendu qu’il s’agit bien d’une œuvre de salut public, de celles qui marquent un tournant décisif dans l’histoire du pays, qu’il faut une témérité intellectuelle assumée pour oser énoncer une vérité si simple qu’elle en devient radicale : la démocratie ne se dilue pas dans des concessions tactiques, elle ne s’administre pas comme un anxiolytique politique sous forme de dose de proportionnelle. ‘Pa meksinn sa !’ Elle est entière ou elle est faussée. Car, dès l’instant où l’on accepte qu’une fraction seulement du suffrage populaire mérite d’être convertie en pouvoir représentatif, on abdique dès lors l’essence même du gouvernement par le peuple voire pour le peuple aussi dans une certaine mesure, si l’on considère les innombrables scandales lui portant préjudices. Dans l’Italie post-seconde République, la réforme électorale de 2005, instaurant un système mixte 75 % des sièges majoritaires, 25 % à la proportionnelle n’a nullement empêché les alternances instables ni les ruptures de coalition : en 2006, la coalition de Romano Prodi gouverna avec une majorité techniquement acquise, mais profondément illégitime aux yeux d’un électorat fortement frustré, la minorité obtenant davantage de voix dans certaines régions, mais nettement moins de sièges [Italie, Elezioni Politiche 2006, Ministero dell’Interno]. La France, avec son simulacre de réforme, promettait 15 % de sièges proportionnels en 2017 promesse depuis enterrée mais ce pourcentage aurait suffi à peine à faire élire 30 députés supplémentaires sur 577, un cautère sur une jambe de bois. Cette logique de charité démocratique, où l’on consent à accorder à la minorité quelques sièges comme on jette des miettes sous la table d’un banquet républicain, infantilise le corps électoral. Une démocratie, digne de ce nom, ne s’administre pas en posologie : elle s’incarne dans la plénitude de ses principes ou elle sombre dans le cynisme des demi-vérités institutionnelles et parlementaires. L’idée même de dose de proportionnelle trahit une conception pharmacologique de la souveraineté populaire, comme si cette dernière était une affection à tempérer plutôt qu’un fondement à honorer. Or, la démocratie, ce n’est pas le placebo du pluralisme c’est l’acte intégral du peuple qui se gouverne, par et pour lui-même, dans son entièreté. Or, c’est précisément cette logique perverse de l’ajustement cosmétique qu’il faut combattre avec intense pugnacité. Car la fameuse dose de proportionnelle concept aussi flou que manipulable est à la démocratie ce que le simulacre est à la vérité : un masque, une diversion, un bluff, une escroquerie, un vol caractérisé. Non seulement elle échoue à corriger les distorsions majeures du scrutin majoritaire plurinominal, mais elle contribue à légitimer l’iniquité en la maquillant d’un apprêt réformiste, progressiste. À Maurice, l’exemple est limpide : les tentatives avortées de réforme en 2014 et 2018 proposaient respectivement 14 et 18 sièges proportionnels sur un total de 70 soit à peine 20 à 25 % de l’Assemblée nationale. Or, selon les calculs du Democracy Index de l’EIU, les pays à système mixte n’atteignent une représentation équitable qu’au-delà de 40 % de sièges proportionnels ; en deçà, la domination des partis hégémoniques demeure horriblement intacte [Economist Intelligence Unit, Democracy Index 2023]. La dose devient alors le piège dialectique qui prétend améliorer le système en le consolidant, mais la disproportion entre voix et sièges demeure abyssale, l’opposition reste laminée, alors que l’illusion de réforme permet de désamorcer les revendications populaires le temps que dure le roupillon. À l’inverse, la proportionnelle intégrale avec prime majoritaire offre une solution architectonique cohérente et pertinente, qui conjugue équilibre représentatif et stabilité gouvernante. En Espagne, les partis remportent des sièges selon des circonscriptions proportionnelles avec seuil, le système demeurant toutefois gouvernable grâce à des accords préélectoraux transparents. En Grèce, l’introduction en 2023 d’une prime modulée de 20 à 50 sièges garantit la formation d’un gouvernement tout en respectant le pluralisme. Ce modèle hybride élevé, notamment proportionnel pur + correctif majoritaire clair, non arbitraire, évite à la fois la fragmentation et la concentration abusive. Il donne au vainqueur les moyens de gouverner, sans effacer les autres. C’est cette solution de haute tenue démocratique que l’île Maurice doit pouvoir embrasser à pleine bouche : certainement pas un vulgaire ravalement de façade, mais une refondation courageuse, intelligente et assumée. Car, si la démocratie est un acte d’intelligence collective, elle exige des institutions et un parlement à sa mesure non un dosage politique, mais une architecture de vérité absolue et de stabilité ainsi que de proportionnalité intégrale.

Mauriciennes, Mauriciens, l’heure est venue de renouer avec l’ambition démocratique qui anima nos pères fondateurs bien avant 1968, tout en corrigeant les tares du passé. En abolissant le système actuel de FPTP au profit d’une représentation proportionnelle intégrale assortie d’une prime majoritaire pour la liste arrivée en tête des suffrages exprimés aux côtés du Référendum d’Initiative Populaire Constituant (RIPC), nous serions tellement en mesure de faire qu’enfin l’Assemblée nationale mauricienne enjambe de plain-pied le seuil institutionnel sa plus haute montagne, en vérité du XXIe siècle. La stabilité gouvernementale, si chère, à juste titre, à notre nation arc-en-ciel, sera préservée sans être fétichisée au détriment de la représentativité. La voix de chaque citoyen comptera enfin à parts égales dans le grand concert démocratique. Et, si le peuple de Maurice le décide et fait entendre sa décision, il pourra alors inscrire dans le marbre de sa propre Constitution ce nouvel édifice électoral par la voie référendaire, consacrant ainsi sa souveraineté démocratique, inaliénable et indivisible. En parachevant cette refonte, Maurice affirmera qu’elle est fin prête à conjuguer innovation et tradition, paix, justice, liberté et stabilité, unité dans la diversité. Ce faisant, elle prouvera au monde entier qu’une nation, aussi petite soit-elle, peut évoluer et réinventer ses propres institutions sans jamais renier ses profondes idiosyncrasies, son ipséité, son âme véritable. Offrons-nous, Mauriciennes et Mauriciens, cette chance historique de porter tout notre système politique à la hauteur de notre intelligence collective et de nos aspirations démocratiques les plus culminantes. L’excellence n’est jamais hors de portée ; elle nous tend la main, pour peu que nous ayons le courage et la volonté de la saisir, enfin, en tendant nos bras, tous ensemble et en serrant nos coudes, la tête sur les épaules et nos cœurs unis dans l’audace créatrice et l’exigence civique, pour écrire à l’encre de Chine et en lettres dorées, de nos mains tremblotantes, mais solidaires, la plus lumineuse des pages du récit, mais également du roman, historique mauricien. Ainsi, saisissons l’exceptionnelle opportunité pour tracer, d’une main audacieuse et inspirée, les contours d’une politique éclairée, où chaque voix se fait écho et chaque volonté se fait loi. Que la nation arc-en-ciel, dans les infinies nuances de sa diversité singulière, se dresse tel un seul être, pleinement conscient, déterminé à ériger l’équité et la solidarité en pierres angulaires de son destin commun, partagé avec tout un chacun, sans distinctions aucunes. C’est en osant briser les chaînes de la mauvaise habitude et en embrassant la force de notre conscience patriotique que nous brandirons notre tendre île Maurice au faîte de l’excellence démocratique et républicaine. Tous ensemble, affirmons que l’avenir se façonne main dans la main, cœur en cœur, esprit contre esprit, pour que, demain, le divin joyau mauricien au cœur de l’océan Indien irradie d’un éclat aussi éburnéen que celui d’un ultime sacerdoce, car nous n’aurons de cesse de le proclamer à qui veut l’entendre : la représentation proportionnelle intégrale couplée à la prime majoritaire aux côtés du référendum d’initiative populaire constituant est la clé de voûte de l’unique avenir mauricien véritablement et pleinement démocratique, républicain et souverain.

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