La liberté d’expression en zone rouge ?

C’est avec un certain apaisement que ceux qui ont eu l’occasion d’être devant leur poste de télévision mercredi soir ont entendu le message de Noël du cardinal Maurice Piat, évêque de Port-Louis, qui a été diffusé après le bulletin d’information en français. Beaucoup l’ont vu par chance, parce qu’à aucun moment, durant le bulletin d’information, la présentatrice n’a annoncé la diffusion, après les informations, de ce message.

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Jeudi matin, on ne savait pas si la MBC avait présenté ses excuses au cardinal ou lui avait fourni des explications sur les motivations qui avaient donné lieu à cette censure. Tout ce qu’on sait, c’est que le conseil d’administration de la MBC avait intimé l’ordre de diffuser intégralement le message du cardinal. Ce qui constitue un désaveu sonore de tous ceux responsables de cet acte de censure.

Mais quoi qu’il en soit, tous ceux qui ont eu la chance d’entendre ce message ont pu prendre connaissance de la pertinence d’analyse, de l’objectivité et de la véracité des propos du cardinal, qui avait exprimé le sentiment de désespoir et de souffrance que connaissent non seulement les membres de l’église catholique, dont il est le chef, mais également de toutes les familles mauriciennes, toutes communautés et toutes religions confondues. À aucun moment ne l’a-t-on entendu prononcer des mots « blessants » ou « menaçants ». Tous les mots qu’on a entendus visaient à décrire et exprimer la douleur des proches devant la perte de leurs enfants, de leurs parents, de leurs grands-parents, des frontliners tombés sur le front du Covid 19.

Il a également parlé des conditions de vie difficiles de nombreuses familles mauriciennes, avec le coût de la vie qui monte en flèche, pendant que la roupie dégringole, notre économie, déjà fragilisée, le tout en devant composer avec un avenir incertain. Il avait ajouté le message chrétien d’espoir qu’au milieu de la détresse, Noël peut quand même nous apporter joie et espérance.

Beaucoup de Mauriciens de foi chrétienne, même les croyants d’autres religions et ceux qui ne croient en rien, ont ressenti cette censure comme une blessure qui aurait pu être évitée. Mettons de côté les débats concernant les relations entre l’Église et l’État, qui est hors de contexte. Ce qui est arrivé au message du cardinal est devenu le symbole, le signe probant et annonciateur, des dangers qui menacent la liberté d’expression à Maurice. Si quelqu’un a eu l’inconscience, si ce n’est l’arrogance et l’outrecuidance, de censurer le discours du cardinal, il est capable de tout. Aurait-il le courage de censurer le discours du Premier ministre, qui sera prononcé le 1er janvier ? À moins qu’il ne soit que l’élément exécutif d’une puissance supérieure opérant dans l’ombre. La censure est un acte déshonorant, qui viole non seulement le droit à l’opinion, mais l’âme profonde et la dignité de ceux qui en sont victimes.

Bon nombre de vétérans de la presse se souviennent encore de la démarche humiliante d’avoir à soumettre les pages de journaux à des censeurs postés aux Casernes centrales, et qui les accueillaient parfois état d’ébriété. Ils censuraient tous les mots compliqués considérés comme suspects et toutes les critiques formulées contre le gouvernement, et qu’ils considéraient comme favorables à l’opposition. Il fallait même, quelquefois, solliciter l’arbitrage du Premier ministre en pleine nuit pour régler des mots litigieux.

Il semble que cette mentalité prévale encore à la MBC, où on censure systématiquement les propos des membres de l’opposition, y compris leur leader. Ce qui amène des députés comme Rajesh Bhagwan à comparer cette situation à celle qui prévalait sous le régime de Pinochet, au Chili. Khushal Lobine attire pour sa part l’attention sur le risque de l’imposition d’une pensée unique. Le doute et la peur s’installent, beaucoup craignent que l’IBA ou le Press Council, en gestation, ne soient en fin de compte que des censeurs institutionnalisés. En fin de compte menacée, si on n’y prend garde, c’est notre liberté de pensée qui finira par être censurée. Nous devons mobiliser toute notre énergie à sa défense en 2022. Bonne et heureuse année à tous !

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