GEORGES TOUSSAINT
Découverte par les Arabes, puis visitée par les Portugais, l’île est occupée par les Hollandais qui la baptisent Mauritius en l’honneur de Maurice de Nassau. Ils s’installent dans une rade naturelle au sud de l’île en 1638. Mais la sortie des voiliers du port Warwick se révèle difficile car ils doivent faire face aux vents du sud-est. En 1710, ils se replient sur la province du Cap au sud de l’Afrique.
Installés depuis une cinquantaine d’années à l’Isle Bourbon, (La Réunion), les Français ne bénéficient pas de bons ports, et s’intéressent à ceux de l’île voisine. En effet, la Compagnie est à la recherche de ports qui permettent aux équipages de souffler après des mois de navigation, de bénéficier de produits frais pour soigner le scorbut et de réparer les navires.
C’est ainsi que le 20 septembre 1715, le Malouin Guillaume Dufresne d’Arsel, commandant Le Chasseur, prend possession de cette île au nom du Roi, et la nomme « Isle de France ». Cependant, des colons tardent à s’y installer.
Après la cession de l’île par le Roi Louis XV à la Compagnie des Indes, Jean Baptiste Garnier du Fougeray procède à une deuxième prise de possession, le 23 septembre 1721.
Peu après, dépêchés de l’Isle Bourbon, 15 colons, un aumônier et un chirurgien-barbier, débarquent. L’administration de l’Isle de France est assurée pour quelque temps à partir de l’Isle Bourbon, pour le compte de la Compagnie des Indes.
Le Chevalier de Nyon, qui a été nommé gouverneur et ingénieur en chef à l’Isle de France par la Compagnie, débarque en janvier 1722. Il accueille de nouveaux colons arrivés à bord de la Diane et de l’Atalante au mois d’avril.
En 1725, la population est composée de quelque 200 âmes comprenant des esclaves et un régiment de Suisses sous les ordres du gouverneur Denis de Nyon. Leur installation est laborieuse.
Après plusieurs naufrages sur les côtes de l’Isle Bourbon, la direction de la Compagnie interroge Bertrand François Mahé de La Bourdonnais qui bénéficie d’une certaine expérience en navigation et en commerce avec les Indes. Sa réponse est la suivante :
« Il est certain que dans toute l’Inde, la France n’a pas un bon port où radouber et mettre en sûreté ses vaisseaux… dans l’Isle de France il y en a deux, et que cette île est dans un parage où tous vaisseaux venant de France ou des Indes peuvent aborder et rester commodément tout le temps que l’on souhaitera… »
En novembre 1734, La Bourdonnais est nommé par la Compagnie gouverneur des îles Mascareignes, (de La Réunion, de Maurice et de quelques îlots).
À compter de 1735, il s’efforce de créer une base navale et une plateforme commerciale à l’Isle de France. Le port nord-ouest, baptisé Port-Louis, devient ainsi le siège du gouvernement des Isle de France et Bourbon tandis que Saint-Denis devient la capitale de l’Isle Bourbon qui est transformée en grenier d’approvisionnement.
À partir de plans très ingénieux, il fait creuser le Port-Louis, canaliser les eaux qui descendent de la montagne, construire des greniers, des hôpitaux, des forts, des casernes, des manufactures, des églises, des routes et des habitations. De belles demeures coloniales sont construites sur le modèle de celles de Pondichéry. Il crée des hangars destinés à la réparation et à la construction navale. Il s’adonne au développement de l’agriculture…
L’organisation sociale est régie notamment par le Code Noir. La Bourdonnais fait planter du manioc et du maïs ramenés du Brésil pour nourrir les esclaves achetés à des Arabes en Afrique, et à des chefs locaux à Madagascar. Les esclaves sont initiés au travail du bois, de la pierre, de la maçonnerie, au maniement du fusil et aux métiers de la marine.
Il fait du commerce entre la côte d’Afrique et les îles pour son propre compte. Il critique la politique commerciale de la Compagnie qui se réserve le monopole de la fourniture des marchandises d’Europe nécessaires pour la vie quotidienne des colons et en tire des bénéfices excessifs.
Sa réussite personnelle lui vaudra des calomnies jusqu’à la Cour du Roi. Mahé de la Bourdonnais devra défendre son honneur et obtiendra son retour en grâce.
S’il est parvenu en cinq ans à créer une escale commode sur la route commerciale entre l’Europe et l’Asie orientale, il n’a pas pu faire une vraie base navale française sur la route des Indes. Ses desseins se révélaient trop ambitieux aux yeux des dirigeants de la Compagnie…
Bientôt des religieux, les Lazaristes de Saint-Vincent de Paul, viennent travailler à la gloire de Dieu et au salut des âmes. Les esclaves baptisés participent à la construction d’édifices religieux. La colonie est d’ailleurs organisée en paroisses. Les colons plantent du blé, du coton, du café, du sucre, de l’indigo et des fruits exotiques. Cependant entre les mois de décembre et avril, les cyclones peuvent ruiner les plantations et provoquer des disettes.
Port-Louis sert de base aux Corsaires. Dès 1759, le futur amiral d’Estaing monte des opérations à partir de l’Isle de France.
De même, lors de nouvelles guerres, les corsaires suppléent la marine royale. Les plus connus sont alors Deschiens, Ripaud de Montaudevert, Mariette. Les Français sont ainsi ravitaillés, tandis que Danois, Américains et autres viennent acheter le produit de leurs prises.
La colonie nourrit pendant des mois l’escadre du comte d’Aché en route pour les Indes, mais le terrible cyclone de janvier 1760 détruit une partie de la flotte. Pendant ce temps-là, les comptoirs français aux Indes ont du mal à résister aux Anglais.
Les îles sont à terme rachetées par la couronne de France
En effet, en 1767, la Compagnie des Indes qui a subi de lourdes pertes à la suite des prises de ses navires par les Anglais, se voit contrainte de rétrocéder les îles Mascareignes au Roi Louis XV.
– Sous l’administration royale, les îles sont confiées au ministre de la Marine. L’Isle de France devra accueillir de nouvelles escadres.
Le naturaliste Pierre Poivre, nommé intendant du Roi, s’installe à Pamplemousses, à Mon Plaisir qu’il transforme en jardin tropical dédié à l’acclimatation de muscadiers, girofliers et à la plantation d’espèces indigènes. Dans le même temps, Poivre conforte le rôle de Port-Louis sur la route des Indes…
L’île voit passer des explorateurs dont James Cook, qui entame son premier voyage dans les mers du sud, La Pérouse qui se lance à la recherche du mythique continent austral et Kerguelen qui prospecte en Antarctique.
L’Isle de France attire des hommes de science, des botanistes, des géographes, des astronomes, des romanciers et des poètes.
C’est à cette époque que Bernardin de Saint-Pierre connaît le succès, avec son roman « Paul et Virginie » qui raconte l’histoire, dans ce petit paradis, de deux amies françaises et de leurs deux enfants. Cette idylle dans ce cadre exotique est à l’origine du préromantisme français.
Dans un autre ouvrage « Voyage à l’Isle de France », Bernardin de Saint-Pierre s’insurge contre l’esclavage. Il porte un regard critique sur des pratiques dénoncées par les humanistes en France et en Angleterre.
En 1777, la concurrence entre grandes puissances maritimes se faisant plus rude, La Pérouse propose au secrétaire d’état à La Marine, de constituer « un repaire de corsaires » à l’Isle de France, en vue de gêner les entreprises anglaises.
En 1788, l’île est prospère et compte environ 43 000 habitants, dont 36 000 esclaves originaires essentiellement du Mozambique et de Madagascar, 4 500 blancs, 2 500 « libres », esclaves affranchis, et des artisans originaires de l’Inde.
Parmi les derniers gouverneurs du Roi, le Vicomte de Souillac, originaire du Périgord, fait un travail remarquable. Il s’occupe de l’approvisionnement d’escadres dont celle du Bailly de Suffren qui mène campagne aux Indes. Il s’embarque lui-même pour Pondichéry en 1785.
La colonie subit les influences des bouleversements qui secouent l’Europe.
– Sous la Révolution : Port-Louis devient « Port Nord-Ouest ». L’île est appelée « l’Etoile et la Clé de la Mer des Indes ». Les colons s’opposent au décret qui instaure l’abolition de l’esclavage, et bafouent les symboles de la royauté. Tout ceci n’est pas du goût des Anglais qui accentuent leur pression sur les îles, d’autant que la course bat son plein.
Entre 1793 et 1802, 51 armements de corsaires sont enregistrés à l’Isle de France. Les plus fameux sont alors François Le Même, Jean-Marie Dutertre, Malo Le Nouvel, Joseph Potier, Louis Bazin, Jean Ducasse, Nicolas et Robert Surcouf. Au cours de ces années, les corsaires font 200 prises tandis que les frégates de la Royale en font 40. Des vivres sont ainsi récupérés, les magasins approvisionnés et des taxes prélevées.
– Sous l’Empire : De 1803 à 1810, Port-Louis devient « Port Napoléon » et Grand-Port « Port Imperial ». Le gouverneur Général Decaen espère par ce biais attirer l’attention de l’empereur sur ces îles car les Anglais augmentent leurs conquêtes en océan Indien. L’amiral anglais Wellesley s’attaque à la position franco-hollandaise au sud de l’Afrique. Les Anglais occupent l’île Rodrigues en 1809, et prennent l’Isle Bourbon en juillet 1810. Ils peuvent dès lors s’attaquer à L’Isle de France.
Au mois d’août 1810, quatre frégates anglaises s’attaquent à quatre bateaux français, au Grand-Port Imperial. Le combat qui fait rage pendant cinq jours se solde par une victoire mémorable des Français.
Les Anglais réunissent leurs forces et reviennent à la charge quelques mois plus tard.
La prise de l’île par les Anglais au mois de décembre 1810
Quatre mois plus tard, les Anglais reviennent avec de nombreux navires. Des hommes de troupes, d’origines anglaise et indienne sont débarqués au nord de l’île et marchent sur la capitale. La résistance héroïque est vaine, à un contre six.
Le Général Decaen, héros des guerres napoléoniennes, obtient toutefois des concessions des Anglais. Les colons pourront rester dans l’île, conserveront leurs biens, la religion catholique, les codes napoléoniens…
L’Isle de France est rebaptisée « Mauritius », la capitale redevient « Port-Louis », et le Traité de Paris de 1814 ratifie cette conquête.
Un autre chapitre de l’histoire de Mauritius est ouvert…