La misère noire compte déjà beaucoup de victimes chez nous. Un « fait divers » pas si anodin que ça, de cette semaine : un homme de 34 ans a été interpellé pour vol dans un supermarché. Son « butin » s’élève à Rs 1 726. Il comprend huit boîtes de fromage, des boîtes de conserve (sardines, thon, corned-beef) et du chocolat. Bref, ce qu’un père et une mère achètent pour leurs enfants, pour nourrir la famille. Normalement. Avant que les prix aient pris l’ascenseur à une vitesse vertigineuse et en un temps record. Quand les employeurs n’ont pas licencié à tour de bras, justement ces pères et mères de famille. Fort probablement, l’homme qui a été épinglé est père de famille et s’est retrouvé dans cette spirale infernale où les sous gagnés honnêtement ne suffisent plus pour faire tourner la cuisine.
Autour du pays, ces dernières semaines, un sentiment d’insécurité prévaut, résultant d’un nombre croissant de cambriolages. Face à la pauvreté galopante dans le pays, chacun cherche ses options et ses issues de secours, à sa façon, selon ses moyens, selon ses valeurs et convictions. Il y a ceux qui redoublent d’efforts, multipliant les petits boulots, quitte à ne plus voir les leurs, parce qu’ils sont au charbon pendant presque 12 heures par jour. Et il y a ceux qui basculent.
Pendant ce temps-là, pendant que des familles se déchirent et souffrent, Pravind Jugnauth et son gouvernement se bombent le torse lors de congrès aux quatre coins de l’île pour l’anniversaire du parti. Un calendrier qui connaît une rupture ce week-end, le chef du gouvernement s’envolant vers Rodrigues où, il nous revient, qu’une série d’opérations « koup riban » l’attend.
Nombre de ses détracteurs les plus ardents font remarquer que ce déplacement coïncide avec la tenue, ce dimanche 28, du congrès très attendu du Parti travailliste, sous la férule de l’ancien PM Navin Ramgoolam. Ce même jour, un autre ennemi juré, en l’occurrence Roshi Bhadain, organise, lui, une manifestation à Mahébourg.
Ce dernier week-end d’août marque les deux ans de la marche désormais mémorable dans les rues de Port-Louis. Une très large frange de la population mauricienne, qui n’en pouvait plus des scandales qui se multipliaient – contrats juteux d’équipements médicaux alloués à… des quincailleries et bijouteries appartenant à des petits copains proches du pouvoir, pendant le premier confinement; la gestion lamentable du naufrage du MV Wakashio et la catastrophe écologique qui a appauvri de nombreuses familles du littoral sud qui en a résulté – était descendue massivement dans les rues de Port-Louis, suivant un coup de sang généralisé.
Deux ans plus tard, les maux des familles mauriciennes se sont amplifiés. La récession et la crise frappent un peu partout dans le monde entier. Les prix grimpent dans tous les pays, on l’a bien compris. Le gouvernement de Pravind Jugnauth a fait quelques efforts. Mais il reste encore beaucoup de pain sur la planche. Surtout pour éviter que ceux qui sont au bas de l’échelle ne doivent pas sacrifier leurs enfants en les privant de nourriture et d’éducation.
La misère noire, selon la définition, ce n’est pas uniquement cet état matériel de vie flirtant avec l’extrême précarité et l’incapacité de subvenir aux besoins des siens, de voir ses enfants aller se coucher le ventre vide ou d’arrêter de les envoyer à l’école. Cela s’applique aussi à la crasse, aux immondices et à la saleté qui rendent la condition de vie extrêmement difficile. Comme, par exemple, ce mal qui se répand et frappe presque toutes nos institutions.
Depuis quelques années déjà, la situation prend des allures alarmantes. Cette souillure imprègne nos vies tant il y a de défection de la part de nos dirigeants à venir soit expliquer, soit s’excuser quand des torts sont causés. Bien sûr que le calendrier de ceux au pouvoir n’est pas dicté par les manquements et scandales relayés par les médias. Mais quand le peuple réclame des comptes sur des questions phares, comme ce qui se passe à Agalega, des « honorable members » élus, qui se comportent comme des voyous, des responsables d’institutions qui fonctionnent comme des girouettes, on s’attend au moins à un peu de respect et de dialogue !