– Le Senior Magistrate Bissoon: « It is not rocket science to see the mechanism of a money laundering scheme at play here »
La police appelée à solliciter les services d’un Foreign Investigator pour démêler cet écheveau financier
L’ex-Chief Executive Officer (CEO) de Mauritius Telecom (MT), Sherry Singh, a essuyé un revers en Cour de Port-Louis. Le Senior District Magistrate Prashant Bissoon a rejeté sa demande pour rayer l’acte d’accusation provisoire de blanchiment d’argent logée contre lui. Le tribunal a concédé que cette enquête est complexe et implique des ramifications internationales. Elle a aussi fait appel à la police pour solliciter l’expertise d’un « foreign investigator with expertise on money laundering matters » pour compléter cette enquête.
Le 6 juin, Sherry Singh, à travers Me Urmila Boolell, Senior Counsel, avait logé une motion en Cour pour réclamer la radiation de l’accusation provisoire contre lui en évoquant un Abuse of Process et des incohérences dans le processus depuis son interpellation jusqu’à qu’une charge provisoire soit logée contre lui. La poursuite, représentée par Me Damodarsingh Bissessur, avait objecté.
La Cour souligne que la firme Tradeway International Ltd avait décroché un contrat de Mauritius Telecom en mars 2019 pour l’extraction de cuivre sur le réseau téléphonique national. Sherry Singh a même apposé sa signature sur le contrat en question. Sur papier, le pourcentage d’extraction est de 38%. Ce qui pousse la Cour à se demander, « would Tradeway International Ltd really get into a contract with a yield which is considered poor and thus sustain a loss or was the yield more than 40%, and closer to the 60% alleged…. It is hard to believe by any stretch of the imagination that Tradeway International Ltd would really trade at a loss ».
Le magistrat Bissoon va plus loin dans son analyse en exprimant un Deep Concern si jamais une entité économique, comme Mauritius Telecom, ne dispose pas d’expert pour tester de manière éprouvée un pourcentage d’extraction de cuivre avant d’engager dans une quelconque transaction. Parallèlement, s’il y a eu un test qui a été réalisé et que les experts ont donné un taux de 65% comme résultat, « then everyone who discarded this would be in hot water ». D’ailleurs, la SST a évoqué un manque à gagner de Rs 347 millions.
En plus, la Cour fait état d’un document présenté par la police dans le Request for Proposal, faisant état de UG Cables 86% of 7k tons pour des câbles sous-terrains et de 14% of 7k tons pour les câbles aériens. Comme le document passe par six départements avant que le contrat ne soit octroyé, le magistrat Bissoon se demande comment six officiels ont pu signer sans poser des questions concernant cette grande différence dans le pourcentage.
«… Amongst who, are the senior management crew of Mauritius Telecom, who signed and did not spot the inconsistencies or errors does manifestly raise eyebrow or is it purely and simply that they were all in a hurry to get the deal through under someone’s instruction so that Tradeway International Ltd can benefit and so affixed their signature without casting a glance over its details », se demande-t-il.
La Cour a aussi évoqué le lien allégué entre le couple Singh et les Indiens Nilesh Ramanbhai Patel (NRP) et Vijaynathji Gurupremnathji (VJ). La police s’appuie sur de gros transferts d’argent de Tradeway International Ltd dans les comptes bancaires de ces deux étrangers qui sont soupçonnés d’être des prête-noms pour le compte de l’accusé. Ils ont acquis des propriétés. « Why on God’s blue Earth would NRP and VG, who had no relationship with whatsoever with Tradeway International Ltd receive money therefrom if not for the benefit of the applicant? », se demande encore le tribunal.
Le magistrat Bissoon met l’accent sur le fait que le blanchiment d’argent comporte trois étapes nommément: le Placement Stage avec un manque à gagner de Rs 347 millions au préjudice de Mauritius Telecom; le Layering Stage avec le mouvement de fonds au niveau local et international citant le transfert d’argent de Tradeway International Ltd à la compagnie Getraco Ltd, qui n’est pas engagé dans l’activité du Scap Metal. Mais, cette société ‘achète’ des cuivres dans l’île et le revend à Tradeway International en vue de les mélanger avec le cuivre de MT pour faire des lingots; et l’Integration Stage où l’argent reçu par Tradeway International est considéré comme profit avec des transferts à NRP et VJ.
Ce qui pousse la Cour à relever que « it is not rocket science to see the mechanism of a money laundering scheme at play here » .
Par ailleurs, la Cour avance que si le CEO de MT était contre ce deal et lui seul refusait de signer, le contrat n’aurait pas dû aller de l’avant, même avec la signature des cinq autres responsables des différents départements. « The applicant played a pivotal role in assigning the contract », note le jugement.
En se basant sur tous ces éléments, le magistrat Bissoon estime que l’argument de Lack of Reasonable Suspicion ne tient pas la route et il a rejeté la demande de Sherry Singh. « It is all a murky business, tainting everything around it », fait-il.
Par ailleurs, le magistrat a mis en garde la police pour que les photos et vidéos prises dans la propriété de Sherry Singh ne soient utilisées que pour le besoin de l’enquête et ne doivent faire l’objet d’aucune fuite. Elle a aussi sommé les enquêteurs de retourner immédiatement certaines pièces à conviction à Sherry Singh comme les plans de sa maison, des reçus, et des documents sur les transferts d’actions.
Sherry Singh déçu du ruling
Sherry Singh se dit déçu du Ruling prononcé par la Cour de Port-Louis. Mais il dit respecter cette décision.
« Nous étions assez confiants car nous estimons avoir démontré que la police a fait un abus. Si la motion était Strike Out, cela ne veut pas dire que la police ne pouvait poursuivre son investigation. Mais, pour loger une accusation provisoire, cela implique que la police doit se baser sur des faits »,dit-il.
L’ex CEO de MT estime qu’il y a beaucoup d’inexactitudes et des sujets assez techniques en termes d’interprétation dans cette affaire. « Cependant, il faut respecter la Cour », rajoute-t-il.
Par ailleurs, l’ex-Top Chef de Lakwizinn a dénoncé l’attitude du Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui estime que l’ex CEO de MT n’a pas répondu à ses questions posées en public. « C’est dommage qu’un PM montre que les institutions sont sous son contrôle et qu’il reçoit des détails d’eux pour agir contre ses adversaires. Je pense plutôt que c’est une stratégie de panique de sa part », trouve-t-il.