NÉCROLOGIE ET HISTOIRE Maître Hassam Seelarbokus, ex-doyen des Notaires

MUSLEEM JUMEER

- Publicité -

On affirme souvent que le décès d’une personne âgée – qui de par sa profession a été un témoin privilégié des mutations sociopolitiques et économiques de son temps – équivaut à une rare bibliothèque qui part en fumée. Tel est le cas pour Me Hassam Seelarbokus (28.4.1928–24.12.2023), ex-doyen des notaires, qui est décédé à l’âge avancé de 95 ans.

Personnalité affable et très respectée, il exerçait sa profession avec rigueur et discrétion. Il a eu une longue carrière dans la profession légale, ayant exercé comme notaire pendant plus d’un demi-siècle. Le parcours d’un simple citoyen à l’ère coloniale pour accéder à une des professions des plus exclusives de la société mauricienne doit nous interpeller. Pour y répondre, il faut considérer plusieurs aspects de la société mauricienne au 19e et début 20e siècle suite à l’introduction des travailleurs engagés indiens dans la colonie.

La pratique du notariat

À l’époque coloniale, le notariat était considéré comme une profession noble et le titre était conféré par la royauté, ce qui explique que seule la classe aisée de la société mauricienne et de culture européenne pouvait y accéder. C’était une profession fermée de facto aux autres couches de la société mauricienne, les descendants des immigrants indiens notamment. Le nombre de notaires pouvant exercer dans la colonie était régi par la loi et se limitait à 20 seulement jusqu’en 1957. Pour y accéder, il fallait concourir à un examen en public devant un Board, présidé par le Master and Registrar de la Cour Suprême. Le certificat de réussite portait le sceau de Sa Majesté La Reine Elizabeth II (voir photo). Mais comme la limite était déjà atteinte, tous ceux ayant réussi aux examens devaient patienter. Ce qui survint dans le cas de Hassam Seelarbokus, et il dut se ronger les ongles pendant neuf longues années  avant d’être nommé en 1970 par le nouveau gouvernement issu des urnes de 1967. La limite fut alors poussée jusqu’à 30 par Ord.no.57 de 1969.

Un des traits spécifiques de ce notariat, c’est que malgré la tentative des autorités d’imposer l’usage de la langue anglaise à tout le système judiciaire dès 1845, le notariat mauricien reste toujours fidèle dans une grande mesure à la langue française.

L’ascension sociale et économique des engagés indiens

Comment expliquer le cheminement remarquable d’un fils d’engagés indiens venus ici dans le dénuement pour terminer comme le doyen d’une des institutions les plus sélectives du pays. Le fondateur de la famille, fils de Johangeer Seelarbokus, à peine âgé de 4 ans, débarque à  Maurice en 1865, originaire de Mowghat dans la province d’Ahmorah, Bustee. Officiellement, il n’avait pas de prénom puisqu’on lui avait octroyé un numéro et il était connu tout simplement comme Seelarbokus no.324441.

Ils sont dirigés vers la région de Vacoas, plus précisément à l’endroit connu à l’époque comme Montagne Candos où il épousa une demoiselle Moosun. Ils vont graduellement délaisser le travail de la terre, attrayant que pour les sirdars et les “job contractors” et essayer de sortir de cette galère en pratiquant un métier ou une occupation quelconque. C’était le sort inéluctable réservé à tous les engagés. Un financement initial pour démarrer toutes activités économiques leur faisait cruellement défaut. Il revient à son fils Mamode Assen, né en 1898, de se démener pour trouver le capital nécessaire pour améliorer le sort de la famille.

L’importance d’un capital

Toutes les études économiques sur l’industrie sucrière à Maurice, dont celles de Maurice Paturau, Lamusse, North-Coombes, soulignent l’importance du facteur capital tant dans l’industrie sucrière qu’au niveau des planteurs. Mais la dernière en date, celle de l’historien américain Richard Blair Allen, jette un regard nouveau sur la restructuration de la société mauricienne suite à l’abolition de l’esclavage et l’arrivée des engagés indiens et insiste sur la sous-capitalisation de cette industrie. Le tarissement dans l’apport du capital international, européen surtout, et la chute du prix sur le marché mondial engendraient des périodes de crise financière aboutissant à la liquidation par les propriétaires fonciers d’une partie de leurs plantations. Cette liquidation intervenue à deux différentes périodes est connue dans l’histoire mauricienne comme le Petit et le Grand Morcellements et elle était faite au profit des engagés indiens. Cette capitalisation locale provenait des épargnes faites péniblement par une culture de sacrifice par les engagés.

Une dimension échappe toutefois à cette analyse : celle de la capitalisation de l’industrie sucrière par les puissantes maisons de commerce Goujeraties comme A.Goolam Hossen&Co., Currimjee Jeewanjee &Co. et Tamoules comme Coo-Mootoosamy &Co. et V.Ayassamy & Co. Moomtaz Emrith a analysé la percée assez timide des négociants musulmans Goujeratis dans un domaine dont ils n’avaient nullement l’expertise et ils allaient vite désenchanter. Abdool Cader Kalla s’est attardé sur les fameux commerçants “Dukhanwallas”, originaires de Barbodhan, établis à Rose-Hill. Leurs capitaux suffisaient pour permettre aux engagés indiens d’emprunter et d’investir dans l’acquisition d’une parcelle de terre dans les morcellements. Cela a donné lieu à une restructuration de la société en la création d’une nouvelle classe de petits planteurs. Ains, le schéma pour la mobilité sociale des immigrants indiens s’établit comme suit : laboureur sous contrat/petit planteur/grand planteur/le professionnalisme quand le cas s’y prête. Cela est vrai pour de nombreuses familles. On peut citer entre autres les familles Alhaman Sohawon, Gujadhur, Ruhomatally, Dawreeawoo, Dustagheer etc. La réussite de ces familles dans le domaine agricole s’explique par des acquisitions progressives dans ce secteur. Ils restent étroitement liés à l’industrie sucrière.

Abandon de la plantation et esprit d’entrepreneur

Il existe toutefois une autre catégorie d’immigrants indiens qui ont pu rehausser leur statut social sans grand capital initial et qui ont dû se fier à leur flair d’entrepreneur pour se lancer. Ils ont délaissé  le travail de la terre et ont opté pour un métier lié soit à la construction, au transport, à l’ameublement ou bien d’autres. Mais ils ont développé dans leurs domaines respectifs des aptitudes ou des techniques particulières qui ont gonflé leurs chiffres d’affaires considérablement.

C’est à cette catégorie qu’appartiennent la famille Seelarbokus et bien d’autres qui restent toujours dans l’ombre. Après avoir complété sa période de service, Seelarbokus no. 324441 quitte la plantation et s’établit à son propre compte. Ils vivaient modestement mais finalement, il revient au père de feu Hassam Seelarbokus, Mamode Assen – plus connu comme Ahmad – de délaisser définitivement le travail de la terre et de monter une petite entreprise pour la manufacture des accessoires en étain et en cuivre indispensables à cette époque pour la construction des maisons. Il innova en la fabrication des chauffe-bains en cuivre à charbon et au bois. La demande fut très grande et il a pu accumuler un capital  substantiel qu’il investit par la suite dans le domaine foncier loin de l’industrie sucrière. On raconte qu’il possédait à sa mort pas moins d’une vingtaine d’emplacements commerciaux et résidentiels à Vacoas, dont la fameuse salle des fêtes “Favorita”. Ses nombreuses transactions dans le domaine foncier le rapprochèrent des notaires tant et si bien qu’il finit par faire admettre son fils Hassam comme clerc chez Me Hart de Keating.

Ce cas d’abandon de la terre de plantation sucrière pour monter une entreprise quitte à retourner à des investissements dans des emplacements commerciaux et résidentiels à valeur ajoutée n’est pas un cas isolé. Nous avons aussi le cas d’un entrepreneur de la première heure, feu Inous Suhotoo. Originaire de Chemin-Grenier, il convertit son terrain en un capital pour investir dans une entreprise dans tout ce qui touche à l’industrie du bois allant de la construction des maisons, fabrication de meubles etc. Les profits réalisés furent réinvestis dans l’acquisition de biens fonciers commerciaux à forte valeur ajoutée dans la capitale.

Une autre catégorie de mobilité sociale consiste en des descendants des engagés qui, au départ, sans le moindre capital ou très peu, arrivent à s’enrichir. Leur aptitude d’entrepreneur se révèle dans leur capacité à innover et à porter leur métier à un niveau supérieur. Feu Hassim Rassool, d’origine modeste, lança une entreprise de menuiserie après avoir servi comme “pioneer”. Il fut un des premiers à innover en mécanisant  son entreprise et cela marcha si bien qu’il finit par installer son atelier dans le quartier du Rempart tout près de la demeure autrefois occupée par Adrien D’Epinay avec une clientèle des plus sélectes.

Le point commun entre toutes ces catégories de descendants des engagés indiens c’est qu’ils destinent à tort ou à raison leurs progénitures à opter pour une profession plutôt que de retourner à la terre. Et ce, en vue de plus de prestige et de mobilité sociale.

L’ex-doyen des notaires, Me Hassam Seelarbokus a su créer l’histoire. Il a été un des premiers notaires issus des rangs des descendants des engagés agricoles indiens. Il a fait honneur à cette noble profession qui parfois passe par des zones de turbulences.  Sa compétence et son intégrité ne seront pas oubliées de sitôt.

Références

Allen Richard Blair, Slaves, Freedman and Indentured laborers in Colonial Mauritius. Cambridge University Press,1999.

Chelin Antoine, Une île et son passé :Île Maurice,1973.

Emrith Moomtaz, Muslims in Mauritius, 1967.

Gassita R.N. L’Islam à l’ile Maurice, Revue du monde musulman,vol.XXI, Ernest Leroux. Éditeur 1913 pg 1-44.

Kalla, Abdool Cader. Voir ses articles sur Academia.edu

notairemaurice.org

- Publicité -
EN CONTINU
éditions numériques