Pravina Nallatamby
La musique qui, dit-on, adoucit les mœurs, pourrait-elle apporter un peu de baume au cœur dans un climat sociopolitique planétaire particulièrement agité ? Alors que le dialogue des cultures se trouve menacé par des actes barbares et que l’humanité semble perdre ses repères, est-ce que les artistes pourraient nous inspirer ? Explorons le parcours du Pandit Hariprasad Chaurasia, un grand maitre de la musique hindoustanie pour nous imprégner des vibrations des notes de sa flûte quasi divine…
Maître du « bansuri », Pandit Hariprasad Chaurasia est connu comme un des grands musiciens de notre époque. Doté d’un remarquable talent, il poursuit ses tournées tout en assurant un enseignement à des étudiants dans son école de musique à Mumbai, le Vrindavan Gurukul. Surnommé « Bansuri Samrat » (le roi de la flûte) en Inde, on l’appelle aussi le « Chopin de la flûte » en Europe. Reconnu partout pour sa contribution exceptionnelle au monde de la musique, il reçoit plusieurs récompenses du gouvernement indien. Le Padma Vibhushan, deuxième plus grand honneur civil indien lui sera remis en 2000.
Né le 1er juillet 1938 à Allahabad, il commence l’apprentissage du chant classique avec Pandit Rajaram à Vanarasi. Très vite il s’oriente vers le “bansuri”, flûte indienne en bambou, et démarre sa carrière dès l’âge de 19 ans à Bhubaneswar dans l’Orissa en jouant pour All India Radio et dans des temples. Une pratique intense et le désir de se perfectionner davantage vont le conduire à Bombay pour profiter de l’enseignement de Shrimati Anapurna Devi, fille de Ustad Allaudin Khan.
À force de recherches et de persévérance, il développe sa propre technique en apportant une touche innovante à la musique traditionnelle. La flûte en bambou finit par trouver sa place sur scène. Le « Bansuri Samrat » jouera même sur sa flûte certaines ragas (mélodies) très rares jusqu’alors réservés à d’autres instruments et saura susciter l’admiration de son public pour l’entrainer dans un état tantôt romantique tantôt méditatif grâce à la parfaite maitrise de son souffle, la cadence de ses doigts sur sa flûte et ses improvisations sur les mélodies choisies.
Au cours de sa carrière, Pandit Chaurasia sera amené à composer la musique pour des films indiens. Il mettra également son talent au service de la spiritualité. L’album Hari Krishna, in praise of Janmasthtami (Navras Records Ltd, 1999) est un ragamala (ensemble de mélodies) qui révèle sa profonde dévotion pour Krishna. En 1998, accompagné de deux de ses meilleurs étudiants, il donne un récital pendant 24 heures sans interruption à Bombay pour célébrer l’anniversaire de Krishna.
Il se présente sur scène également en jugalbandi (duo) avec de grands artistes indiens comme Pandit Jasraj, Pandit Shivkumar Sharma, Kishori Amonkar et Dr Balamurali Krishna. La musique hindoustanie de l’Inde du nord et la musique carnatique de l’Inde du sud s’unissent dans Murali Prasadam (Navras Records Ltd, 1995). Ce disque présente un jugalbandi qui met merveilleusement en scène des improvisations de Hariprasad Chaurasia et Dr M. Balamurali Krishna sur le Raga Bhopali (connu comme Raga Mohanam dans le sud) lors d’un concert au Hong Kong Cultural Centre en janvier 1994. En 1995, à Stuttgart, le roi du bansuri sera accompagné de deux célèbres percussionnistes, Zakir Hussain et T.H. Vinayakam. Ce concert qui a fait l’objet d’un enregistrement par les studios Bauer en Allemagne, donnera l’album Pandit Hariprasad Chaurasia, the living legend of Bansuri (Shefali Nag) qui sort en 1998 en hommage aux 60 ans du flûtiste.
Admiré par tous ses pairs, Padmavibhushan H. Chaurasia partagera également la scène avec des artistes du monde occidental tels que John McLaughlin, Jan Garbarek, Larry Corryell, George Harrison et Jean-Pierre Rampal. Il tente ainsi de renouveler l’élan déjà amorcé par Ravi Shankar dans sa volonté d‘encourager une communion musicale entre l’Orient et l’Occident (« East meets West »). Dans cet esprit, il faut découvrir la fusion de deux mondes à travers d’autres titres de son répertoire : Adi Anant (Navras Records Ltd, 2001) nous présente l’enregistrement de son concerto pour flûte avec l’Orchestre Transes Européennes au Théâtre de la Ville à Paris (février 1999) – une rencontre unique entre l’Inde et l’Occident. Dans le courant de la même année, il fait encore une fois honneur à Paris : Remember Shakti (Polygram, 1999) nous rappelle une formidable expérience au festival de Jazz de la Villette à Paris lorsque la flûte de Chaurasia fait harmonieusement écho à la guitare de John McLaughlin et aux percussions de Zakir Hussain et au ghatam du grand T.H. Vinayakam pour transcender toutes les barrières à travers un remarquable dialogue musical. Un concert inoubliable !
Il parait que certaines ondes hertziennes sont propices à l’harmonie et la sérénité profonde. Dans un album intitulé Gratitude, avec deux autres flûtistes, son neveu Rakesh Chaurasia et Pravin Godkhindi, le roi du bansuri fait résonner les ondes à 432 hertz pour élever notre taux vibratoire avec une musique relaxante dans ce monde si frénétique…
Et si on prenait quelques minutes pour s’accorder à cette fréquence pleine de douceur et de tendresse ?