Roger. E. Noyau
Catho ou plus largement chrétien, hommes et femmes de toute religion, agnostiques, athées, mais tous curieux, nous suivons les nouvelles du Vatican depuis notre canapé, interrogés par la cité aux mystères – cité interdite ?–, comme pris dans l’engrenage d’une série politique – House of Cards ? Game of Thrones ?– au cliffhanger constamment relancé… Nous sommes accrocs. Nous sommes fascinés, presque sidérés. Tout le monde y va de son pronostic : qui de JR ou de Bobby Ewing sera le dernier ? comment est-ce que Marimar réussira à survivre à la jalousie de ses cousines ? Mais non ! Sacrilège : ceci n’a rien à voir avec Dallas ou avec la telenovela !
Mettons le spirituel et les grands enjeux de notre époque en sourdine pour nous intéresser davantage à la manière dont l’élection est scénarisée par les lobbys et les médias. Mon hypothèse est la suivante : quand les médias n’y comprennent rien, ils s’en remettent aux storytelling, et deviennent la proie de fournisseurs experts : les lobbies. En voici deux illustrations :
L’élection du nouveau pape est problématisée sous la forme de polarités : soit l’on est conservateur, soit progressiste. Le pape François aurait été progressiste à cause de son ouverture aux homosexuels, etc. Il serait aussi plus « pastoral » et « proche des personnes » que son prédécesseur Benoit, dont on dit qu’il était davantage « théologien ». François apparait comme un réformateur punk, résolument moderne, au grand cœur, mais moins intelligent… Benoit apparait comme un gardien du temple, serviteur d’un ordre éternel et inamovible, conceptuel, intelligent, ponctuel, bref : occidental, allemand. On pourrait presque établir une sorte de matrice des grands clichés : conservateur versus progressiste, théologien versus pasteur, conceptuel versus contextuel…Et ce, jusqu’à la réduction la plus péjorative et absurde : intelligent versus bêbête, allemand versus argentin, germanique versus latino… Cela a un nom : l’essentialisation. Cela occasionne une dérive : réductionnisme et même racisme.
Nos esprits sont formatés. Nous ne supportons plus la complexité. Il nous faut des représentations simples et tranchées. Les lobbies se sont invités dans cette faille scénaristique. Un second exemple : cette rhétorique de l’unité qui gagne les médias.
Le pape François aurait été clivant. Et il faudrait en quelque sorte un pape d’un autre genre pour « refaire l’unité ». À cette question, il faudrait lire un auteur qui s’appelle William Cavanaugh, que je cite in extenso : « Le narratif selon lequel François aurait été particulièrement diviseur et qu’il faudrait maintenant trouver un pape « d’unité » me paraît franchement suspect. Derrière ces appels à l’unité se cache trop souvent une lutte de pouvoir. Beaucoup de ceux qui font en ce moment de « l’unité » leur cheval de bataille veulent, pour beaucoup, en réalité un retour à la situation antérieure, quand ils tenaient les rênes du pouvoir ecclésial. Pour eux, l’unité signifie simplement « l’unité à mes conditions » » (voir La Croix, Interview du 1 mai 2025)
Moi qui me considère comme un homme des périphéries, à quelque distance de l’apparat religieux, je m’étais un peu retrouvé dans le style de François, qui fustigeait l’Institution nombriliste, qui voulait envoyer l’Eglise retrouver son unité au plus proche des personnes éloignées de son épicentre. C’est une Église qui s’intéressait à moi, mais qui ne me demandait pas de m’intéresser à elle.