C’est avec soulagement que beaucoup de personnes bouleversées par l’annonce que l’âge de l’éligibilité pour obtenir la pension de vieillesse a été repoussé de 60 à 65 ans obtiendront un income support sous conditions, même si sa mise en œuvre devait être échelonnée sur une période de cinq ans. Cette annonce avait immédiatement soulevé un tollé dans le pays et dévié l’attention sur les débats sur le budget et les mesures prises pour redresser la barre économique afin d’empêcher que le pays n’aille à la dérive. Étant donné que la pension de vieillesse à 60 ans, qui existe depuis plusieurs décennies, est ancrée dans l’imaginaire de plusieurs générations de Mauriciens, quel que soit le montant. Une vieille dame nous confiait récemment qu’au début des années 1960, sa pension s’élevait à Rs 22. Rs 20 étaient utilisées pour ses besoins personnels et Rs 2 pour ses petits-enfants. C’est une tradition bien ancrée dans la culture mauricienne et qu’il ne faut pas négliger : jusqu’à aujourd’hui, beaucoup de retraités utilisent une partie de leur pension de retraite, aussi faible soit-elle, à l’intention de leurs petits-enfants. On comprend alors que l’annonce brutale que ceux âgés de 60 ans seront privés de leur pension et, quelle que soit leur situation, devront attendre l’âge de 65 ans a pris une dimension émotionnelle, car beaucoup de choses peuvent se passer entre l’âge de 60 ans et 65 ans. « Même dans les moments les plus difficiles, nous étions assurés d’avoir notre pension », nous a fait remarquer une personne qui dépend largement de sa pension de vieillesse.
Le problème est que, tenant compte de la population grandissante des personnes de plus de 60 ans, les personnes du troisième âge étaient devenues une arme politique facile. Tout comme cela avait été également le cas de ceux âgés de 18 ans. Ce n’est pas pour rien que le gouvernement sortant a attendu la veille des élections pour annoncer une augmentation de la pension, alors que pendant cinq ans, les retraités n’avaient bénéficié d’aucune compensation malgré la hausse du coût de la vie et de l’inflation galopante. Les deux groupes d’âge constituaient une force de frappe non négligeable lors des élections générales. On a déjà vu qu’ils pouvaient faire tomber un gouvernement.
Mais la réalité démographique et économique étant ce qu’elle est, la réforme de la pension associée au vieillissement de la population est évoquée depuis de nombreuses années. Pendant des années, elle a été au centre des analyses des plus grands économistes du pays qui ont tiré la sonnette d’alarme. Même la gestion du fonds de pension avait fait l’objet de vives critiques. Toutefois, pour les raisons évoquées plus haut, personne n’avait eu le courage d’engager une réforme. Navin Ramgoolam, fort de la majorité parlementaire écrasante, en a profité pour frapper dans le vif au prix de la popularité du gouvernement. Ce faisant, il est le premier Premier ministre à avoir osé introduire une forme de ciblage au niveau de la pension de vieillesse entre 60 ans et 65 ans. On ne sait ce que décidera la commission des experts qui se penchera sur la réforme du système de pension. Pour le moment, quelque 7 500 personnes, soit 46 % des personnes atteignant l’âge de 60 ans, bénéficieront d’une allocation de Rs 10 000. Ce qui coûtera à l’État un montant de l’ordre de Rs 1,7 milliard par an. L’annonce de cette mesure, placée dans le cadre de la compassion et de la responsabilité, a été accueillie avec les applaudissements des parlementaires. On saura aujourd’hui l’effet qu’elle aura sur les organisateurs et les manifestants qui ont prévu de descendre dans les rues.
Au-delà de la dimension économique et pécuniaire de la pension, un gouvernement humaniste qui place l’homme au centre du développement économique devrait, à notre avis, se pencher sérieusement sur les conditions de travail pour ceux qui auront à rester actifs jusqu’à l’âge de 65 ans. Pourquoi ne pas introduire la semaine de 30 heures pour cette catégorie d’âge tout en leur permettant de bénéficier de la gratuité au niveau des transports publics et en accordant une attention spéciale aux services de santé qui sont mis à leur disposition ? Pour le moment, les propositions gouvernementales se présentent comme la meilleure solution dans la situation économique présente.
Jean-Marc Poché