Pierre Poivre, la Guerre de Sept Ans et Philibert Commerson, martyr de la botanique

La Société Royale des Arts et des Sciences de Maurice célèbre ce mois-ci les 250 ans de la mort à l’Isle de France de Philibert Commerson. Pour en saisir la raison, nous devons comprendre pourquoi Pierre Poivre et lui sont arrivés ici.

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La Compagnie des Indes Orientales, installée à l’Isle de France depuis le début de sa colonisation par la France en 1721, était essentiellement préoccupée par les bénéfices provenant du commerce. Elle laissa alors péricliter les infrastructures stratégiques de défense et de ravitaillement de l’Isle de France, ne pouvant subvenir aux besoins de ravitaillement des forces françaises en route pour les Indes, tout particulièrement pendant la Guerre de Sept Ans.

« Au milieu de ces calamités, la Compagnie des Indes continuait à abuser de ses absolus privilèges, de son monopole commercial et de ses droits féodaux ». Ainsi « Le port tombe en décrépitude, les installations militaires ne sont pas entretenues, fortifications, batteries et casernes se délabrent ». (1) La production alimentaire était plus que négligeable, ne pouvant même plus subvenir aux besoins propres de la colonie.

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« C’est donc un peu à cause de l’incurie des îles que la France, de défaite en défaite (la Guerre de Sept ans), a dû finalement accepter la paix lamentable de 1761 qui signifiait l’abandon de presque tout l’empire colonial »(2).

Par le Traité de Paris en 1763 la France perd le Canada, ainsi qu’une large partie de ses colonies dans les Caraïbes et des territoires indiens.

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La Compagnie des Indes fait faillite. Le Roi décide alors de remettre sous gouvernement royal les îles de France et de Bourbon. Le duc de Choiseul, alors ministre de la guerre et de la marine, veut venger la défaite de 1761. Il décide de faire de l’Isle de France une citadelle, une place forte, point d’appui essentiel pour la navigation dans l’océan Indien.

En 1766 le Duc de Choiseul fait alors nommer Pierre Poivre Intendant des Iles de France et de Bourbon sous le gouvernement royal où ce dernier  arrive en 1767, s’attachant aussitôt à mettre en place les instructions du Roi.

La première responsabilité de Poivre est de transformer le Port Louis de l’Isle de France en entrepôt du commerce de l’Inde et de l’Europe : « Le véritable objet de cette Colonie devait être une Colonie nourricière et de force… cette île, qui devait être le point d’appui de nos comptoirs dans les Indes, qui devait y assurer notre commerce, et fournir une ressource abondante à nos escadres, s’est vue affamée et comme anéantie par ces mêmes escadres. Hors d’état de pouvoir envoyer le moindre secours à nos comptoirs attaqués et enlevés ; bientôt menacée elle-même par un ennemi qu’elle aurait dû contenir, elle en fût peut-être devenue la proie, si ses pavillons s’y fussent présentés.» (3).

Il fera entreprendre de grands travaux de génie civil, dont l’assainissement du port, clef de voûte de toute la stratégie militaire de Choiseul.

Mais ce qui nous intéresse tout particulièrement est la deuxième grande mission de Poivre, qui est de mettre en état la production agricole.

Pour la protection de la production alimentaire et des ressources naturelles, Poivre met en place une stratégie. Il fait promulguer les ordonnances pour réglementer et protéger :

•les forêts, les rivières et les ressources en eau, en particulier par le Règlement économique de 1769 ;

•la chasse afin de protéger le cerf, animal précieux pour la colonie, et le gibier à plumes ;

•la pêche, le poisson étant devenu un aliment des plus nécessaires à la vie ;

•la protection du martin, l’allié des agriculteurs.

Poivre devait trouver les ressources naturelles dans les deux îles et à Madagascar à être utilisées pour la construction et l’entretien des bâtiments, des navires résidents et de passage des flottes marchandes et de la force militaire française, ainsi que pour le commerce.

Savant avisé et membre de l’Académie des Sciences, des Arts et belles Lettres de Lyon, Poivre avait compris que pour accomplir cette tâche il lui fallait les services d’un grand naturaliste, surtout d’une personne avec qui il pouvait aisément communiquer et dialoguer.

Et, bien sûr, ce savant se trouvait en la personne de Philibert Commerson, homme clé nécessaire à l’exécution de cette mission, que Poivre connaissait déjà en France.

Commerson, Philibert  (1727-1773) Médecin,

naturaliste du Roi, voyageur – Le découvreur du Bougainvillier

Philibert Commerson, figure exceptionnelle, martyr lointain de la science,  parti sans avoir rien publié et duquel la tombe même a disparu, mérite d’être au premier rang (Yves Laissus).

Philibert Commerson est né en France le 18 novembre 1727. Son père, étant notaire, voulait qu’il le suive dans la tradition familiale. Toutefois, il entreprit des études de médecine à la faculté de médecine de Montpellier et sa destinée suivit de là un tout autre chemin car, dès son enfance, initié et encouragé par ses maîtres d’école et d’université, il avait senti en lui brûler une passion et une vocation irrésistible pour la botanique.

C’est ainsi que, devenu médecin en 1754, ayant développé des aptitudes particulières pour l’étude d’histoire naturelle, il développa un réseau étendu de correspondants, comprenant le grand naturaliste suédois Carl von Linné.

Sa renommée s’étant tant accrue que, en 1765, lorsque le voyage autour du monde de Bougainville se préparait pour lequel il fallait un naturaliste, il fut proposé pour ce poste par quelques grands savants français dont Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, l’un des premiers naturalistes français et intendant du Jardin du Roi.

Ainsi, à la demande du Duc de Praslin le roi nomma Philibert Commerson pour être embarqué en qualité de médecin botaniste et naturaliste du Roi.

S’ensuivit alors sur La Boudeuse un long périple autour du globe durant lequel Commerson participa à de nombreuses prospections scientifiques. Commerson découvrit le Bougainvillier au Brésil, lui donnant le nom du commandant de l’expédition.

Après ce long périple autour du monde il arrive à l’Isle de France en 1768. Invité préalablement par Poivre à poursuivre ses travaux en nos îles, Commerson quitta alors définitivement Bougainville et se mit à la tâche d’explorer les îles des Mascareignes et Madagascar, et d’en définir l’histoire naturelle.

Commerson résida à l’Isle de France jusqu’à sa mort en 1773. Pendant son séjour, en sus de nombreux échantillons récoltés pendant son voyage avec Bougainville, il se lança avec acharnement à l’étude de la flore locale. Commerson fit la description botanique de chaque espèce rencontrée en précisant le lieu d’origine, donnant les noms de ses amis aux plantes nouvelles, et faisant dessiner régulièrement les feuilles, les fleurs et les fruits par son compagnon de voyage Jossigny.

Il décrivit aussi les plantes médicinales pour lesquelles il eut les mots suivants : « La Providence a placé à notre usage, dans ces deux îles des plantes qui sont les meilleurs traitements contre les maladies qui prévalent en ce moment. »

Il était intéressé à la nature et à la qualité des bois, écrivant à son ami Cossigny qui avait une grande pépinière à Palma : « Quel est le bois qui fend le moins au clou et le retient le mieux ? J’ai entendu dire que le tacamaca l’admet on ne peut plus facilement, mais qu’après un certain temps, il est impossible de l’en retirer. » (4) Bien sûr, il s’agissait ici d’importance de construction.

Sur ses herbiers, notes et documents reposent les fondements des connaissances botaniques des trois îles.

Commerson mourut à La Retraite, près de Flacq, épuisé par la maladie. Un monument offert par Francois Liénard fut élevé en 1862 par les soins de la Société Royale des Arts et des Sciences en l’honneur de ce très grand naturaliste envers qui son biographe, Montessus, eu les mots suivants : « Que tous les savants eux-mêmes n’oublient pas que Philibert Commerson a fourni à la botanique le plus large contingent d’espèces nouvelles qu’ait jamais découvertes un scrutateur de la nature. » On a aussi dit qu’il était le « Père de la botanique mauricienne ».

Il fit don de sa collection considérable d’herbiers contenant plus de 6000 spécimens, ainsi que de nombreuses notes, au Jardin du Roi à Paris, aujourd’hui le Jardin des Plantes.

Notes

1.R. D’Unienville. 1972. Hier Suffren. Mauritius Printing, Ile Maurice.

2.Ibid.

3.Discours prononcé par Pierre Poivre au Conseil supérieur de l’Isle de France le 3 août 1767

4.Commerson Lettre à A.M. de Cossigny 3 septembre 1770

P.S. : La Société Royale des Arts et des Sciences de Maurice honorera, dimanche 30 avril, par un colloque auquel participeront des conférenciers étrangers, les 250 ans de la mort de cette illustre personnalité. J’invite tous ceux qui seraient intéressés à s’y inscrire. Pour tout renseignement, veuillez téléphoner au 5983 8660. Shanaz vous fournira toutes informations désirées. À très bientôt.

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