JIMMY HARMON
En 2014, l’Assemblée générale des Nations Unies a décrété janvier 2015 à décembre 2024 Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine (la Décennie). En décembre 2024, les Nations Unies a adopté une deuxième décennie, qui s’étend de janvier 2025 à décembre 2034. Le thème de cette deuxième décennie est le même que celui de 2015-2024 : “Personnes d’ascendance africaine : reconnaissance, justice et développement”. Ainsi, pour la Journée de l’Afrique (25 mai 2025), le thème de l’Union africaine est « Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine grâce aux réparations ».
La 115e session du Committee for Elimination of Racial Discrimination (CERD) des Nations Unies s’est tenue à l’Office des Nations Unies à Genève du 22 avril au 9 mai 2025. Les États parties s’engagent à soumettre au Secrétaire général de l’ONU, pour examen par le Comité, un rapport sur les mesures d’ordre législatif, judiciaire, administratif ou autre qu’ils ont adoptées dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la Convention pour chaque État intéressé (Maurice a signé la convention en 1972) et, par la suite, tous les deux ans et, en outre, chaque fois que le Comité en fera la demande, en application de l’article 9 (par. 1) de la Convention. Cette année, le Comité a tenu le 25 avril une demi-journée de débat général sur les réparations des injustices liées à la traite transatlantique des Africains réduits en esclavage, leur déshumanisation, ainsi que les préjudices et crimes dont continuent d’être victimes les personnes d’ascendance africaine. Le 28 et 29 avril, le Comité a examiné le rapport périodique de l’Etat mauricien soumis en juillet 2021 par l’ancien gouvernement, et a soulevé plusieurs questions à l’Attorney General, Me Gavin Glover, Senior Counsel, qui a participé aux discussions en visioconférence. Dans cet article nous allons analyser d’une part, la prise de position du gouvernement actuel à travers les différents documents soumis et l’enregistrement de la visioconférence (documents et vidéo disponibles sur le site du CERD) et d’autre part, le rapport de la société civile soumis le 15 mai 2025 par Me José Moirt au nom de Affirmative Action.
La méthodologie de ‘Analyse de Documents’
L’analyse de documents (Document Analysis) est une méthodologie qui consiste à examiner un ou plusieurs documents afin de comprendre leur contenu, les objectifs, leurs auteurs et leur contexte. Les documents associés à l’Etat mauricien ont été analysés ici sous le prisme de ce qu’on appelle ‘3QPOC’ (Qui, Quoi, Quand, Où, Pourquoi, Comment). Un des documents contient des renseignements à jour sur les caractéristiques démographiques, économiques, sociales et culturelles du pays, ainsi que sur le cadre constitutionnel, politique et juridique de Maurice. On y retrouve aussi le rapport de l’Etat mauricien qui donne les mesures que l’État a prises pour appliquer, autant que possible, les recommandations formulées par le Comité. Les Annexes donnent des informations fortes intéressantes sur les cas de discrimination raciale rapportées à l’Equal Opportunity Commission et des cas en Cour (7 au total) ; Document N0.6 est les Written submissions to the United Nations Secretary General on the implementation of activities under the second international Decade for People of African Descent. Nous avons pu identifier des points saillants dans ces documents en les mettant en relief avec les différentes questions posées par les membres du Comité des Nations Unies dans l’enregistrement de la visioconférence qu’on peut visionner.
Comité Interministériel 2018 dit non !
Le gouvernement mauricien avait mis en place en septembre 2018 un comité interministériel sous la présidence du Vice‑Premier Ministre de l’époque, du Ministre des Collectivités locales et des îles périphériques et du Ministre de l’égalité des sexes, du développement de l’enfant et de la protection de la famille, afin d’examiner les observations finales formulées par le Comité. Ce dernier informa les Nations Unies que l’Etat ne peut appliquer certaines des recommandations telles que collecter les données sur les ethnies car cela va à l’encontre de l’unité nationale ; identifier la discrimination raciale contre des personnes d’ascendance africaine car le gouvernement met tout en œuvre pour les groupes vulnérables.
Faits et chiffres
Le rapporteur principal pour notre pays, Mme P. Boker Wilson, s’est appesanti sur la non-application de ces recommandations. Ses questions portaient, entre autres, sur le pourquoi de l’absence de disaggregated data (ventilées par origine ethnique), les plaintes relatives à la confiscation de terres et au droit de propriété, les activités de la Commission nationale des droits de l’homme et le processus de consultation avec les minorités et leur participation. Un autre membre demanda si « absence of disaggregated is not masking discrimination ».
Dans un Opening Statement Me Glover, SC, Attorney General, reconnait que c’est un manquement en disant « Yet we accept — as the Committee has rightly reminded us — that it is difficult to fight what we cannot see » (p.5). A quoi un membre du comité renchérit en disant « If you don’t count me, I am not counted ». Me Glover rassure les membres du Comité en annonçant la mise sur pied d’une Commission par le nouveau gouvernement pour revoir la Constitution : « Navigating this dilemma — ensuring both the fair representation of all communities and the strengthening of national unity — will be one of the challenges that the Constitutional Review Commission will be called to address » (p.10). Pour le Best-Loser System il dit: « Many civil society groups advocating for non-discrimination have called for the abolition of community-based classifications, arguing that they hinder nation-building and the emergence of a unified Mauritian identity. Others have urged updating the census, believing that the Best Loser System can still offer an important safeguard for minorities » (p.9).
Me Glover donna les chiffres par rapport à la composition ethnique de l’Assemblée Nationale (Tableau 1), le Conseil des Ministres (Tableau 2), et la population carcérale sur un total de 2858 détenus. Comme tel est le cas pour plusieurs recherches menées à Maurice, faute de chiffres sur les ethnies, les chercheurs peuvent se baser sur les chiffres sur l’appartenance religieuse de la population et en déduire pour l’ethnicité.
La contre-voix de Me José Moirt (Affirmative Action)
En parcourant le document soumis de Affirmative Action par Me José Moirt, on peut y retrouver une voix contraire sur la question de refus de faire du recensement ethnique. A ce jour une voix dominante (mélodie principale) couvre une voix dominée qui veut dire les choses autrement (mélodie secondaire) mais n’ose pas afin de ne pas se faire mal vu dans la société car le recensement ethnique est présenté comme rétrograde, communaliste. Diviseur et anti-progressiste.
Affirmative Action démolit cette argumentation en faisant d’abord une relecture historique: In 1982, the community question in the population census was allegedly abolished on the rhetoric of national unity, but in reality, the then government amended the Constitution by prescribing the 1972 community census for electoral purposes » (p.2). Il y a aussi cette interrogation: « According to the data submitted to the CERD, the Creole community consists of some 400,000 individuals, which equals approximately one-third of the population. The first question that springs to mind is: why then would the publication and dissemination of such data be “politically sensitive and socially divisive” in a multi-cultural, multi-ethnic and multi-religious society like Mauritius? » Plus loin c’est dit ainsi: « Consequently, the false dilemma of allegedly “ensuring both the fair representation of all communities and the strengthening of national unity »(p.3). Me José Moirt distingue rhétorique de la réalité: « The “Mauritianism’ discourse reminds us of the ‘separate but equal’ ideology, which is the daily reality of racial discrimination and social exclusion for the Creoles in all walks of life, from cradle to grave »(p.7).
Concluding Observations & Recommendations
Après discussion, le CERD a soumis 48 observations et recommandations. Le paragraphe 44 mérite toute l’attention du gouvernement car cette recommandation touche à l’information et la formation de la population sur les droits humains. Elle se lit ainsi :
« The Committee recommends that the State Party’s reports be made readily available and accessible to the public at the time of their submission and that the concluding observations of the Committee with respect to those reports be similarly made available to all State bodies entrusted with the implementation of the Convention, and publicized on the website of the Ministry of Foreign Affairs in the official and other commonly used languages, as appropriate ». (p.10).
Les directives sont claires.