ABDEL KURREEMBUKUS
Le pays vivra un moment décisif : la présentation du premier exercice budgétaire du nouveau gouvernement. Un évènement chargé de sens politique et symbolique, qui ne se contente pas de marquer le début du mandat, mais en dessine clairement le cap et met en lumière, sans fard, les choix réels et les priorités assumées du pouvoir en place.
En campagne électorale, les promesses ont été nombreuses : rattrapage du pouvoir d’achat, justice sociale, réforme économique, régulation des prix, accès au logement, emploi pour les jeunes. Maintenant, il ne s’agit plus de parler, mais de décider : chiffres, priorités, et engagements concrets sont attendus. Ce budget sera le moment où le discours se confrontera à la réalité.
Frustration populaire face à l’oubli des priorités sociales
Ce premier budget du gouvernement fraîchement élu, avec un résultat sans appel aux législatives de 60-0, ne s’inscrit pas dans un contexte anodin. En effet, le pays fait face à une inflation persistante, qui continue d’éroder le pouvoir d’achat des ménages. Les prix des produits de base ont explosé : alimentation, transport, électricité, soins de santé. Dans les supermarchés comme dans les pharmacies, le sentiment est unanime : tout coûte plus cher qu’avant. Le décalage entre les difficultés vécues au quotidien et les réponses politiques jusque-là perçues comme insuffisantes alimente une frustration croissante dans la population. Notons que certaines promesses électorales ont déjà été brisées, notamment le 14e mois de bonus pour tous, la baisse du prix de l’essence d’au moins 20 roupies ou encore l’internet gratuit pour chaque foyer.
À cela s’ajoute une insécurité sociale qui touche de nombreuses familles. Pour beaucoup de Mauriciens, ce n’est pas tant l’absence d’emploi qui inquiète, mais l’insuffisance des salaires face au coût de la vie. Même en travaillant à temps plein, de nombreux foyers peinent à couvrir leurs dépenses de base. La pression financière est constante, et l’idée même de pouvoir épargner ou envisager l’avenir avec confiance devient un luxe. Ces réalités, bien que criantes, restent encore largement sous-estimées dans les choix politiques.
Le logement demeure un défi majeur, voire inaccessible, pour des milliers de jeunes couples mauriciens. Les prix à l’achat comme à la location atteignent des sommets, tandis que le secteur immobilier, dopé par des mesures fiscales avantageuses, continue de privilégier les projets de luxe destinés à des acheteurs étrangers fortunés. Ces facilités accordées au courant de ces dernières années ont représenté un manque à gagner considérable pour les caisses publiques, sans réel bénéfice pour la population locale.
‘Bizin Ser Sintir’ – Un budget pour corriger… ou pour conforter l’inégal ?
Dans ce contexte, l’exercice budgétaire de la nouvelle administration constituera un véritable test de crédibilité, offrant l’opportunité d’envisager une approche différente. Va-t-on assister à une rupture avec les politiques néolibérales des dernières années, ou à leur simple continuité avec un habillage différent ?
Car il s’agit bien d’un choix de modèle. Le gouvernement mettra-t-il l’accent sur la redistribution des richesses ou sur les intérêts des grandes entreprises ? Va-t-il corriger les distorsions économiques créées par les monopoles du secteur ? Ou va-t-il une fois de plus demander des sacrifices aux mêmes, c’est-à-dire aux salariés et aux petits entrepreneurs?
Il faudra rester attentif afin de déterminer qui finalement sera appelé à consentir à des sacrifices pour combler ce « trou économique » dont on ne cesse de parler depuis novembre 2024.
En effet, on ne peut pas, d’un côté, appeler le peuple à faire preuve de patience et de résilience au nom d’un contexte économique “compliqué”, et de l’autre, accorder des facilités fiscales ou financières à ceux qui brassent déjà des millions, voire des milliards.
Ce serait là un double langage dangereux, qui saperait la confiance citoyenne !
Le gouvernement a un devoir fondamental : rechercher l’équation de la justice sociale. Il doit prouver que les efforts demandés seront justement répartis. Il doit démontrer que ceux qui ont profité du système contribueront aussi à l’effort national à la hauteur de leurs capacités. Car dans une démocratie saine, les sacrifices ne doivent pas être unilatéraux.
Renflouer les caisses de l’État sans alourdir
le fardeau des citoyens : C’est possible !
Face à des finances publiques souvent fragilisées, la tentation de recourir à des mesures fiscales lourdes pour équilibrer le budget est grande. Cependant, il est tout à fait possible d’améliorer les recettes de l’État sans alourdir inutilement la charge fiscale des citoyens, déjà trop en souffrance, en particulier des plus vulnérables. La clé réside dans une gestion plus efficace des ressources, un contrôle rigoureux des dépenses et la mise en place de réformes fiscales et économiques équitables.
Par exemple, L’État pourrait opter pour une réforme en profondeur du système fiscal, en instaurant des taxes plus justes, visant en priorité les grandes fortunes et ceux qui exploitent les ressources nationales pour générer des milliards et réaliser des superprofits, tout en échappant à une part de leurs responsabilités fiscales. Cela permettrait non seulement d’augmenter les recettes publiques, mais aussi de rendre le système plus progressif, où ceux qui ont les moyens de contribuer davantage le fassent.
Ensuite, une attention urgente et absolue doit être accordée à la récupération des fonds investis dans des structures comme la Mauritius Investment Corporation (MIC). Ces prêts ont grandement contribué à dilapider les caisses de l’État et il est impératif que l’État s’assure que ces entreprises ayant bénéficié de ces financements et ayant aujourd’hui la capacité de rembourser leurs dettes le fassent. Cette action est impérative car elle permettra d’alléger les finances publiques et de restaurer la confiance des citoyens dans la gestion économique.
Il serait totalement injuste de demander au petit peuple d’en faire les frais.
Enfin, une gestion plus transparente de la dette publique est indispensable. L’État doit clairement expliquer comment il prévoit de financer sa dette, sans recourir systématiquement à l’emprunt ou à des mesures fiscales punitives pour les citoyens. Une dette bien gérée, combinée à des investissements dans des secteurs stratégiques pour l’économie, peut générer des retours à long terme et ainsi réduire la dépendance à de nouvelles sources de financement.
L’attente d’un véritable contrat social
En conclusion, il est tout à fait possible de renflouer les caisses de l’État sans appauvrir la population, à condition de mettre en place des réformes équilibrées, transparentes et axées sur l’équité et la justice fiscale. Les citoyens attendent plus que jamais des signes clairs d’un rééquilibrage social, car le sentiment d’injustice est profond. Trop de Mauriciens ont l’impression que l’économie tourne sans eux, que les fruits de la croissance sont accaparés par une minorité, et que l’État semble au service des puissants.
Il est donc temps de montrer que les choses peuvent changer, que l’État peut reprendre son rôle régulateur et de protecteur. Pour restaurer sa crédibilité et répondre aux attentes de la population, l’État doit faire preuve de courage politique en refusant les solutions à court terme, en affrontant les lobbys économiques et en s’attaquant aux inégalités.