L’annonce du budget a jeté un froid chez ceux qui doivent patienter jusqu’à 65 ans pour bénéficier de la pension de retraite. Prisheela Mottee, présidente de l’ONG Raise Brave Girls, estime que le gouvernement doit investir dans l’amélioration de la qualité de vie des seniors au travail, notamment des aménagements adaptés et des mesures de soutien. De plus, elle pense que la décision de repousser l’âge de l’éligibilité à la pension de retraite à 65 ans aura un effet particulièrement marqué sur la féminisation de la pauvreté. Car, selon elle, beaucoup de femmes qui n’ont jamais eu d’emploi formel attendaient cette pension pour gagner un minimum d’indépendance économique et assurer leur subsistance.
Quelle est votre réaction par rapport au budget 2025-26, notamment concernant les mesures qui vous ont le plus touchée et sur d’autres aspects qui ont été négligés ?
Le budget 2025‑26 de Maurice est clairement un de renouveau pour impulser un nouveau souffle à l’économie, mais aussi pour l’avenir du pays. Il intervient dans un contexte marqué par une dette publique insoutenable de Rs 642 milliards (90 % du PIB), un déficit budgétaire de 9,8 % du PIB, une injection massive de Rs 180 milliards ayant des conséquences sur l’inflation et la dépréciation de la roupie, et un énorme déficit commercial de Rs 203,7 milliards.
Ce qui m’a le plus touchée, c’est le Blueprint Empowering Innovation through Open Data and Big Data, car il est grand temps de digitaliser tous les services gouvernementaux pour bâtir un avenir meilleur et dynamique, qui stimulera l’économie et facilitera la prise de décision grâce à la diffusion d’informations fiables. Toutefois, le budget reste silencieux sur des aspects essentiels : les détails concrets pour améliorer la qualité des services publics et les mesures pour renforcer la protection sociale des citoyens. Si ces deux volets sont négligés, le nouveau souffle du budget risque de n’être qu’un simple slogan.
Pour le budget 2025-26, Raise Brave Girls a soumis une série de propositions. Ont-elles retenu l’attention ?
Raise Brave Girls avait soumis plusieurs propositions, notamment l’introduction du congé menstruel, le bracelet électronique et une réforme du secteur public. Ces propositions, malheureusement, n’ont pas été explicitement reprises dans le budget cette année. Néanmoins, nous comprenons que la situation économique actuelle est difficile et que le choix de présenter un tel budget a été un défi à la fois politique et économique. Nous notons cependant que le gouvernement alloue Rs 19,7 milliards pour le maintien de l’ordre, ce qui pourrait être l’occasion d’introduire le bracelet électronique pour mieux assurer la sécurité et la surveillance des délinquants.
De plus, l’annonce d’une enveloppe de Rs 200 millions destinée à financer la recherche pour l’innovation dans les politiques publiques pourrait permettre au ministère concerné de mener une étude approfondie sur l’introduction du congé menstruel à Maurice. Nous restons optimistes quant à l’opportunité d’ouvrir un dialogue constructif autour de ces propositions afin de les faire avancer lors de la mise en œuvre du budget.
Votre association milite en faveur des femmes souffrant de règles douloureuses pour un arrêt de travail de deux jours par mois sur présentation d’un certificat médical. Votre demande lors de ce budget a-t-elle été réalisée ?
Notre association milite depuis plusieurs années pour accorder aux femmes souffrant de règles douloureuses un arrêt de travail de deux jours par mois, sur présentation d’un certificat médical. Cette demande n’a pas été mentionnée dans le budget 2025‑26, mais nous restons patients et déterminés, car ce gouvernement dispose d’un mandat de cinq ans. Nous continuerons donc à faire du lobbying pour défendre cette mesure de santé et de justice sociale, tout en militant également pour la reconnaissance d’un congé lié à la ménopause, afin de mieux protéger les droits et la santé des femmes dans le monde du travail.
Il y a eu beaucoup de débats autour de la CSG Allowance dont le gouvernement prévoit la suppression pour la remplacer par le National Pensions Fund. Trouvez-vous cette démarche juste?
Il faut pouvoir encourager une population de travailleurs et apprendre à économiser, et le gouvernement doit s’efforcer à réduire les dépenses publiques inutiles et maîtriser l’inflation pour garantir la viabilité de ses promesses. La force de Maurice est avant tout sa force humaine : c’est dans cet esprit qu’il faut investir pour assurer un revenu digne à chacun. On comprend que le gouvernement ait choisi de réduire progressivement les allocations CSG pour alléger le fardeau budgétaire, mais il faut aussi saluer les efforts de soutien aux familles enregistrées dans le SRM et la mise en place d’un revenu minimum garanti de Rs 20 000 pour les employés à temps plein.
De plus, la promesse de ne pas pénaliser les bénéficiaires de la CSG qui gagnent moins de Rs 20 000 par mois est un signe positif. Dans l’ensemble, il est crucial que ces mesures soient mises en œuvre avec prudence et dans un esprit de justice sociale, afin de ne laisser personne de côté. Et pour donner l’exemple, le gouvernement pourrait également envisager de réduire le salaire des ministres, leurs indemnités et les pensions des anciens parlementaires : cela montrerait à la population qu’il est solidaire et pleinement engagé à gérer les ressources publiques avec responsabilité et équité.
Mais le vrai coup a été la pension de retraite à 65 ans… Les conséquences collatérales sont à prévoir. Quel est votre avis à ce sujet, surtout qu’avant les élections il y a eu surenchère sur la question des pensions ?
L’augmentation de l’âge de la retraite obligatoire à 65 ans a certes été un choc pour de nombreuses personnes qui avaient planifié leur départ et leur fin de carrière, et il est indéniable que les conséquences collatérales de cette mesure seront importantes. Toutefois, il faut aussi reconnaître que la plupart des pays développés ont adopté un âge légal de la retraite à 65 ans ou plus, notamment la France (67 ans dans certains cas), l’Allemagne (67 ans) ou encore le Royaume-Uni (66 ans), ce qui montre qu’il s’agit d’une évolution inévitable pour préserver la viabilité des systèmes de retraite.
Pour Maurice, c’est un sacrifice amer mais nécessaire pour assurer l’avenir des jeunes générations et garantir la pérennité des finances publiques. Le gouvernement a eu la sagesse d’opter pour une mise en place progressive de cette réforme, ce qui est appréciable. Néanmoins, il faut aussi reconnaître que cette transition sera particulièrement difficile pour les travailleurs manuels, qui devront continuer à exercer des métiers éprouvants, et pour les employés administratifs, qui subiront un stress professionnel prolongé. C’est pourquoi il est crucial que le gouvernement investisse en parallèle dans l’amélioration de la qualité de vie des seniors au travail, notamment par des aménagements adaptés et des mesures de soutien.
À un certain moment, vous évoquiez aussi le fait que la pension à 65 ans aura un effet sur la féminisation de la pauvreté. Pouvez-vous être plus explicite ?
La décision de repousser l’âge de la retraite à 65 ans aura un effet particulièrement marqué sur la féminisation de la pauvreté. En effet, beaucoup de femmes qui n’ont jamais eu d’emploi formel attendaient cette pension pour gagner un minimum d’indépendance économique et assurer leur subsistance. Avec cette nouvelle mesure, elles se retrouvent dans une situation encore plus précaire, sans soutien ni encadrement suffisant, ce qui aggrave leur vulnérabilité. Déjà, à l’échelle mondiale, on estime que les femmes âgées sont 30 % plus susceptibles que les hommes du même âge de vivre dans la pauvreté (ONU Femmes). Dans certains pays, plus de 50 % des femmes âgées n’ont aucun revenu de retraite.
Ce constat est alarmant . À Maurice, on commence à revoir les nanis et dadis qui vendent des légumes ou des pots d’achard au coin de rues pour survivre. Pour éviter que cette réforme n’aggrave encore la pauvreté féminine, il est essentiel que le gouvernement mette en place des mesures de soutien ciblées, comme un accompagnement spécifique pour les femmes âgées sans revenu, afin qu’elles ne soient pas laissées pour compte.
Vous vous êtes aussi prononcée en faveur du bracelet électronique dans le cadre des ordonnances de protection. Cette mesure de prévention, selon vous, est-elle un bon moyen pour protéger des femmes victimes de violences?
Oui, nous nous sommes prononcés en faveur de l’utilisation du bracelet électronique dans le cadre des ordonnances de protection, et nous pensons que c’est un moyen efficace et moderne pour renforcer la sécurité des femmes victimes de violences domestiques. Le bracelet électronique permet de contrôler à distance les déplacements de l’agresseur et d’alerter les autorités ainsi que la victime en cas de violation de l’ordonnance. Cette technologie est déjà utilisée dans plusieurs pays avec des résultats encourageants. Par exemple, en Espagne, les bracelets électroniques ont permis de réduire de 50% les violations des ordonnances de protection, contribuant ainsi à prévenir de nouveaux actes de violence.
Concernant le coût, l’installation et la maintenance d’un bracelet électronique peuvent varier, mais en moyenne, cela revient à environ 3 000 à 5 000 euros par an par personne. Ce coût, bien que significatif, reste nettement inférieur aux dépenses liées à la prise en charge des victimes, incluant soins médicaux, soutien psychologique et interventions judiciaires.
À Maurice, la somme de Rs 19,7 milliards allouée à la sécurité (law and order) dans le budget 2025-26 pourrait être partiellement utilisée pour lancer un projet pilote d’implantation de bracelets électroniques. Ce projet permettrait d’évaluer concrètement l’efficacité de cette mesure et de garantir une protection renforcée des femmes battues tout en maîtrisant les coûts. Bien entendu, cette initiative devrait s’accompagner d’un soutien psychologique aux victimes et d’une formation spécialisée pour les forces de l’ordre. Dans l’ensemble, le bracelet électronique représente une avancée concrète et pragmatique pour lutter contre les violences domestiques et assurer la sécurité des femmes à Maurice.
Raise Brave Girls s’est aussi prononcé sur la nécessité de créer des tribunaux virtuels pour des mineurs impliqués dans des procédures judiciaires. En quoi cela pourrait aider à surmonter des traumatismes liés aux comparutions physiques devant un tribunal ?
Le budget 2025-26 inclut un volet intitulé Justice for All: Strengthening Trust, Securing the Future qui montre la volonté du gouvernement de renforcer la confiance dans le système judiciaire tout en garantissant la sécurité et la protection des citoyens. Cette vision globale offre une belle opportunité pour promouvoir des réformes concrètes comme la mise en place de tribunaux virtuels pour les mineurs.
En Suisse, par exemple, les auditions de mineurs dans les affaires de violence ou d’abus sont souvent réalisées via des moyens audiovisuels et des enregistrements vidéo, dans des espaces adaptés appelés rooms of trust (salles de confiance). Ces dispositifs permettent à l’enfant d’être entendu une seule fois, dans un environnement rassurant, sans avoir à revivre son traumatisme à chaque étape de la procédure. Cela réduit considérablement la revictimisation et offre aux enfants la possibilité de s’exprimer plus librement, sans la pression du tribunal traditionnel.
En intégrant de tels dispositifs numériques, le gouvernement pourrait renforcer l’accessibilité à la justice, protéger les enfants contre la revictimisation et leur offrir un espace plus sécurisé pour s’exprimer. C’est une approche cohérente avec l’objectif de modernisation et de justice équitable pour tous. Le bracelet électronique, dont nous avons parlé, et les tribunaux virtuels pour les mineurs pourraient parfaitement s’inscrire dans cette démarche de transformation de la justice au service de la dignité humaine et de la protection des plus vulnérables.
Récemment, il y a eu des cas d’abus de maltraitance et d’agressions dans un centre de retraite. Comment peut-on faciliter l’approche des soins aux personnes âgées tout en plaçant la dignité, le respect et la sécurité au cœur des préoccupations?
Les récents cas d’abus, de maltraitance et d’agressions dans un centre de retraite soulignent l’urgence d’adopter une approche de soins qui place la dignité, le respect et la sécurité des personnes âgées au cœur des préoccupations. Avec une population vieillissante – une tendance qui va s’accélérer dans les prochaines années à Maurice – il est crucial de repenser nos structures d’accueil et nos services de soutien. À cet égard, la Chine offre un modèle inspirant avec ses services communautaires intégrés, qui comprennent soins médicaux, assistance à domicile, programmes de loisirs et espaces de participation sociale. Le gouvernement chinois a également instauré des formations obligatoires pour le personnel soignant et des systèmes de surveillance et d’évaluation pour garantir la qualité des soins et la sécurité des résidents.
À Maurice, nous pourrions nous en inspirer en utilisant notamment l’enveloppe de Rs 200 millions allouée pour financer la recherche et l’innovation des politiques publiques, afin de renforcer les contrôles et la certification des centres de retraite, d’offrir une formation spécialisée et continue aux professionnels de santé et aux aidants, de créer des services de médiation et de supervision indépendants pour protéger les aînés, et favoriser les services à domicile pour permettre aux personnes âgées de vieillir dignement et en toute sécurité. Il s’agit, en somme, de mettre la personne âgée au centre de toutes les politiques publiques, en veillant à leur bien-être, leur autonomie et leur participation sociale.
Quel est le bilan de votre association Raise Brave Girls en 2025 et les projets à venir ?
En toute humilité, nous reconnaissons qu’il nous reste encore un long chemin à parcourir, mais nous sommes fières des avancées réalisées en 2025 par Raise Brave Girls. Nous avons réussi à mettre sur la table des sujets autrefois tabous, comme les congés menstruels, et à faire entendre notre voix pour l’introduction du bracelet électronique afin de mieux protéger les femmes victimes de violences.
Nous avons également permis aux femmes de s’exprimer et de partager leurs expériences, renforçant ainsi leur visibilité et leur dignité. Pour l’avenir, nos projets sont de continuer à militer pour la génération future, en préparant la transmission du flambeau afin que cette lutte pour l’égalité et la justice sociale se poursuive de génération en génération. Comme l’a si bien dit Simone Veil : « Le seul combat qui vaille, c’est celui de la dignité humaine. »
La pension de retraite à 65 ans fait des mécontentements, et une manifestation des syndicats est prévue pour le 21 juin. Quelle est la prise de position de Raise Brave Girls par rapport aux protestations de la rue ?
En réponse à la décision du gouvernement de relever l’âge de la retraite à 65 ans, Raise Brave Girls souligne l’urgence de mettre en place des politiques féministes globales favorisant l’autonomisation des femmes sur le marché du travail. Alors que les femmes sont encouragées à prolonger leur carrière, il est impératif de créer un environnement favorable à leur participation active à l’économie. Il faudrait mettre en place des campagnes nationales pour l’autonomisation des femmes. Lancer des initiatives à grande échelle pour promouvoir le leadership et la participation des femmes dans tous les secteurs. Cela comprend des programmes de renforcement des capacités et des campagnes de sensibilisation pour remettre en question les normes sociétales et encourager l’égalité des chances.
Il faut aussi prévoir des aménagements de travail flexible en encourageant le secteur privé à adopter des dispositifs de télétravail et des horaires flexibles, favorisant ainsi un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée et permettant à davantage de femmes d’intégrer ou de maintenir leur activité professionnelle. Les services de garde d’enfants doivent être abordables. Pour cela, il faudrait investir dans des structures d’accueil accessibles et abordables afin d’alléger le fardeau du travail de soin non rémunéré, qui affecte de manière disproportionnée la capacité des femmes à exercer un emploi rémunéré. Il faudrait aussi renforcer la dimension de genre en veillant à ce que tous les ministères et départements gouvernementaux intègrent celle-ci dans leurs politiques et programmes, et que des unités dédiées au genre suivent les progrès et s’attaquent aux disparités. Et, aussi apporter un soutien ciblé aux femmes entrepreneures par le biais de formations, d’un accès au financement et de débouchés commerciaux, en reconnaissant leur rôle moteur dans la croissance économique et l’innovation. En adoptant ces mesures, Maurice peut favoriser une économie plus inclusive où les femmes sont des partenaires égales, contribuant ainsi au développement durable et au progrès social.