Le procès de Yogida Sawmynaden a débuté, mercredi, en Cour intermédiaire. L’ancien ministre du Commerce, qui plaide non coupable, fait face à deux accusations formelles, soit Forgery in a Private Writing et Making Use of a Forged Private Writing », sous diverses sections du Code pénal. Simla Kistnen, la veuve de l’ancien chef agent du MSM à Quartier-Militaire/Moka (No 8), a été le premier témoin à charge appelé à la barre dans ce scandale d’emploi fictif.
L’acte d’accusation indique que Yogida Sawmynaden aurait soumis une fausse déclaration à la Mauritius Revenue Authority (MRA), engageant l’État à débourser Rs 15 000 mensuellement en faveur de Simla Kistnen en tant que son Constituency Clerk. Cette somme avait bien été créditée sur les salaires de l’ancien ministre du gouvernement de Pravind Jugnauth, mais sans être reversée à Simla Kistnen.
La défense que Yogida Sawmynaden compte démontrer à la Cour est que selon une pratique bien établie, ministres et députés reçoivent les fonds sur leurs comptes personnels et payent ensuite leurs Constituency Clerks par chèque ou virement bancaire. Il affirme que les allocations de Constituency Clerk ont été remises à feu Kaya Kistnen. La dépouille de cet agent principal du MSM dans la circonscription No 8 avait été retrouvée calcinée en octobre 2020 dans un champ de cannes à Telfair, Moka. Malgré une enquête judiciaire, ce meurtre n’a pas été élucidé jusqu’ici avec les auteurs non-identifiés.
La magistrate Anusha Rawoah préside le procès. L’accusé Yogida Sawmynaden est représenté par Me Raouf Gulbul. Me Darshana Gayan, représentante du bureau du Directeur des Poursuites publiques (DPP), assure la poursuite. Mes Rama Valayden, Sanjeev Teeluckdharry et Anoup Goodary, des Avengers, assurent un Watching Brief.
Me Gayan a procédé à l’interrogatoire de Simla Kistnen. Cette dernière a expliqué en Cour qu’elle s’était mariée à feu Soopramanien (Kaya) Kistnen en 2002 et qu’elle a un fils de 20 ans. Il avait organisé une série de réunions dans la circonscription Quartier-Militaire/Moka pour le compte de Yogida Sawmynaden entre 2014 et 2019.
Simla Kistnen ajoute que son défunt mari était très proche de Yogida Sawmynaden, et cela depuis 2010. Ils communiquaient souvent par téléphone. Elle était allée dans certaines de ces réunions en 2019, l’année des dernières élections générales.
Son défunt mari avait fait une demande en ligne pour qu’elle puisse percevoir une allocation sous le Self-Employed Assistance Scheme (SEAS) durant le confinement en 2020. La MRA l’avait toutefois informée qu’elle n’était pas éligible à cette allocation. Plus tard, elle s’était alors aperçue qu’elle était enregistrée auprès de la MRA et du National Pension Fund (NPF) comme la Constituency Clerk de Yogida Sawmynaden, et qu’elle aurait perçu des allocations mensuelles de Rs 15 000 au cours de la période de janvier à juillet 2020. Elle réitère qu’elle n’a jamais touché le moindre sou à cet effet.
« Zame mo finn fer sa travay-la, mo pa mem kone ki ete sa », maintient Simla Kistnen. Elle ajoute qu’elle n’avait jamais donné l’autorisation à son défunt mari de recevoir cet argent à sa place. « Si zame mo inn fer sa travay-la, be kouma Yogida Sawmynaden kapav pey mo misie ? Mo mari inn mor, pe servi so nom pour dir foste », a-t-elle affirmé.
En ce qui concerne les relations entre elle-même et Yogida Sawmynaden, elle ajoute qu’elle ne lui a jamais longuement parlé. Elle a toutefois reconnu que Yogida Sawmynaden lui avait demandé sa carte d’identité en vue de lui faire obtenir un poste à la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) mais que c’était essentiellement son défunt mari qui avait communiqué avec l’ancien ministre.
Simla Kistnen a ensuite été contre-interrogée par Me Gulbul.
À ses dires, elle avait été informée en premier par un journaliste qu’elle avait été enregistrée comme la Constituency Clerk de Yogida Sawmynaden, ce qui lui avait été confirmé par la MRA et le NPF en novembre 2020. Avec l’aide du groupe d’avocats connus comme Avengers, elle avait ensuite logé une Private Prosecution contre l’ancien ministre en Cour de district de Port-Louis. Elle avait juré un affidavit en ce sens en décembre 2020.
Au sujet de ses échanges avec l’ancien ministre de Pravind Jugnauth, l’homme de loi s’est appuyé sur un contrat de location, en date du 1er janvier 2013. Ce contrat concernait un accord de Kaya Kistnen pour louer un emplacement à Yogida Sawmynaden, rue Mère Barthélemy à Port-Louis.
Simla Kistnen a expliqué que c’était son mari qui s’était chargé de payer les frais de location mais que c’était son nom à elle qui avait été inséré dans le contrat. Elle ajoute qu’elle s’était contentée de signer ce contrat en présence de son mari et de Yogida Sawmynaden. Outre un bonjour, elle n’a pas entamé de conversation avec ce dernier. Mais le couple Kistnen n’a pas utilisé cet emplacement par la suite.
Simla Kistnen a aussi admis que Yogida Sawmynaden était venu chez elle quatre ans de cela, alors que son fils avait été admis dans une clinique, mais une fois de plus, elle n’avait pas entamé de conversation avec lui ni chez elle, ni à la clinique.
Me Gulbul a fait ressortir que lorsque l’IT Unit de la police a vérifié son portable, le numéro de Yogida Sawmynaden était bel et bien dans sa liste de contacts. Elle ne se souvient pas quand elle avait enregistré ce numéro. Alors que l’avocat avait remarqué qu’elle l’avait enregistré depuis janvier 2020, Simla Kistnen devait rétorquer, « sa nimero-la lor mo portab, pa ve dir mo telefonn li ! ».
D’après le relevé téléphonique du portable de Simla Kistnen au cours de la période allant du 15 au 17 juillet 2020, Yogida Sawmynaden avait effectué une dizaine d’appels à Simla Kistnen, alors que son mari ne donnait plus signe de vie. Le 15 juillet 2020, elle avait pris le premier appel de Yogida Sawmynaden, où elle avait expliqué à ce dernier qu’elle se faisait du souci à propos de la disparition de son mari. Elle a ensuite maintenu qu’outre ce premier appel, tous les autres avaient été répondus par son neveu, un homme dans la trentaine. Ce dernier s’est contenté de lui informer de ces appels.
Elle a fait ressortir que ce n’était pas la première fois que Kaya quittait le toit conjugal. Me Gulbul a allégué que Kaya Kistnen essayait d’esquiver les gens à qui il devait de l’argent, dont le frère de Yogida Sawmynaden, Khoomada. À quoi le témoin a répondu qu’il remboursait ce dernier par tranches.
Me Gulbul a brandi son affidavit, où il est fait mention qu’elle et son époux avaient été « astounded » d’apprendre qu’elle avait été employée comme Constituency Clerk. Or, elle n’aurait appris cela qu’en novembre, alors que son mari était déjà mort. L’avocat l’a alors accusée d’avoir menti dans un affidavit, et que c’était là quelque chose de grave.
L’avocat de Sawymnaden a aussi fait état de plainte logée en Cour suprême le 28 octobre 2022, rédigée par les soins de Me Pazhany Rangasamy, où elle réclame des dommages Rs 50 millions, toujours en qui concerne son emploi fictif de Constituency Clerk. Cette affaire sera appelée en Cour suprême le 28 mai 2024.
Dans cette plainte, elle avait décrit qu’elle-même et son mari avaient été « flabbergasted » quand ils avaient appris qu’elle n’était pas éligible à l’allocation sous le SEAS et quand ils avaient appris qu’elle était employée comme la Constituency Clerk de Yogida Sawmynaden.
« Vous avez menti dans une plainte devant la Cour suprême de la République de Maurice. Vous réalisez la gravité de cela ? », lui a lancé l’avocat. Ce dernier a ensuite maintenu que son mari était déjà mort quand elle avait appris qu’elle avait été enregistrée comme la Constituency Clerk de Yogida Sawmynaden.