Quand le « quand » immobilise

Comme toutes les menaces à l’échéance incertaine, et l’effet de la nouveauté passé depuis longtemps déjà, le réchauffement planétaire ne fait plus peur. À peine suscite-t-il quelques secondes d’interpellation à l’annonce d’une catastrophe climatique et maintient-il encore vivantes quelques conférences de circonstance. Pour la galerie, le plus souvent, lorsqu’elles ont une résonance internationale, ou encore ne cherchant à convaincre personne, car s’adressant à un public averti, et donc déjà acquis à la « cause ». Que voulez-vous, ainsi est l’hominidé moderne; seuls ne l’intéressent que les problèmes immédiats, pour peu que ces derniers viennent entraver la bonne marche du progrès et de son confort.

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Face à ce relatif déni – non pas du changement climatique en lui-même, mais de ses réelles conséquences dans un proche avenir –, l’on ne devrait donc pas s’étonner du manque d’enthousiasme affiché quant à une résolution du problème à l’échelle mondiale. Faute de pouvoir intellectuellement se projeter dans l’avenir, sans date de basculement climatique comme menace directe – autrement dit sans pouvoir situer dans le temps le moment exact où la planète décidera que nous avons atteint le stade du non-retour –, nous ne prendrons jamais les actions appropriées. Sans compter, et c’est là un autre souci, que malgré les recherches, les annonces aux relents catastrophistes et autres diatribes, les chiffres avancés pour étayer la thèse de l’urgence évoluent constamment, s’ils ne sont pas quelquefois carrément contestés.

Non seulement l’absence de données complètes chiffrables nous empêche-t-elle de situer ce moment de bascule – ce qui nous forcerait sinon à prendre la mesure de la problématique climatique et à y apporter des solutions rapides et tangibles –, mais il semblerait en outre que nous n’ayons pas connaissance de tous les facteurs humains accentuant le processus du réchauffement. Ainsi pensait-on il y a 40 ans déjà, lorsque se posait la question de la disparition de la couche d’ozone, que l’élimination des chlorofluorocarbures suffirait à « recoudre le trou » observé. Ce qui aura été le cas, jusqu’à ce que l’on comprenne qu’un effet de serre était en marche et que ses effets seront bien plus dévastateurs encore. Nous poussant à réfléchir à ses causes et ses conséquences.

Dans le sillage de cette réflexion, l’humanité aura commencé à mettre plus sérieusement en doute son mode productiviste, avant d’alerter ensuite le monde sur l’urgence de réduire nos émissions carbonées. Aux émissions de CO2 seront plus tard venues s’ajouter celles de CH4 (méthane), gaz dont nous avions alors sous-estimé l’effet hautement réchauffant une fois celui-ci dans la haute atmosphère. Depuis, la menace quant aux effets du CH4 s’est précisée, amplifiée. Ainsi avons-nous désormais compris qu’une grande quantité de ce gaz, encore piégé aujourd’hui dans les glaces (glaciers, permafrost…), pourrait être libérée du fait du réchauffement, accentuant le phénomène climatique. Pire : des scientifiques ont ouvert un nouvel angle sur l’incidence du réchauffement sur les glaciers.

Pour la petite histoire, ces experts ont étudié un petit glacier norvégien de vallée, le Vallåkrabreen, avec dans l’idée de déterminer si oui ou non les eaux de fonte participaient au transfert du méthane du sol vers l’atmosphère. Et leur résultat est sans appel : ils ont révélé que les concentrations de méthane à cet endroit étaient jusqu’à… 800 fois supérieures au niveau d’équilibre atmosphérique ! « Les glaciers agissent comme des couvercles géants, emprisonnant le méthane sous terre. Mais lorsqu’ils fondent, l’eau s’écoule à travers les fissures du substrat rocheux, transportant le gaz à la surface », explique l’un d’eux. La question étant désormais de savoir si ce processus se produit également ailleurs, auquel cas ce CH4 non comptabilisé jusqu’ici aggraverait la problématique.

Reste que la question n’est pas encore tranchée, comme tant d’autres. Et que face à l’inconnu, l’humanité a décidé – par le biais des États et/ou lors des habituelles grands-messes, mais dans tous les cas cautionné par le peuple – d’opter pour le statu quo. Ce décret tacite à la léthargie climatique tient donc pour beaucoup à ce manque de certitudes. Une position d’autant plus absurde qu’en réalité, nous n’en manquons pas vraiment, car celles qui nous sont déjà livrées devraient suffire à enclencher le bouton d’alarme quant au danger d’extinction immédiat. Qu’il nous reste 15 ans ou 50 pour agir ne change en effet en rien fondamentalement le fond du problème. Pas plus que de savoir si nous vivrons encore à l’aube de ce potentiel basculement ou si « seuls nos enfants » en subiront les conséquences.

Michel Jourdan

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