
C’est devenu pratiquement comme un rituel incontournable : à chaque changement de régime, la réforme en profondeur de l’Éducation nationale revient sur le tapis et pour ne pas déroger à la règle, le ministre de tutelle propose de revoir l’actuel système institué en 2018 dans le cadre du 9-year Continuous Basic Education, en introduisant des contre-mesures et de nouveaux dispositifs, contraignant, par conséquent, les enfants devenus, au fil des décennies et bien malgré eux, de véritables cobayes de l’éducation, à effectuer une énième période de réadaptation. Ainsi, dès janvier 2027, la mixité disparaît, sauf au MGI comme cela a toujours été le cas ; les 12 Académies existantes seraient remplacées par 21 Collèges nationaux, dont 4 sous l’égide de la SeDEC bien que les 4 zones géographiques resteraient inchangées.
L’autre réforme notable est celle axée sur la méthode de notation aux examens du PSAC. Une nouvelle échelle à neuf niveaux serait donc introduite à la fin de 2026 et concernerait l’accès au Grade 7 en janvier 2027. Il va sans dire que la disparition de l’actuelle fourchette des points relativement large au profit d’une grille plus serrée, rendrait la compétition plus aiguë pour décrocher le précieux sésame en vue d’une admission dans un « bon » collège. Le risque de se retrouver à la case départ est bien réel et même au sein de la majorité, certaines voix se font déjà entendre. C’est pourquoi, dans tout projet de réforme, un accent plus prononcé devrait être mis sur la réduction des inégalités entre les différentes institutions secondaires du pays, ce afin que tous les enfants puissent se retrouver sur la même ligne de départ. En outre, à partir de 2029, le National Certificate of Education cèderait la place au Lower Secondary Achievement Certificate comprenant, entre autres, une structure et un nombre de matières différents.
Cependant, vu l’aversion apparente du chef du gouvernement à tout ce qui touche au changement – ce qui avait d’ailleurs entraîné une grave secousse au sein de l’alliance gouvernementale au début du mois de novembre et qui aurait bien pu susciter une scission pure et simple au centre du pouvoir – et vraisemblablement pour tout le calvaire subi sous l’ancien régime qui l’avait même conduit au Moka Detention Centre très notoire, beaucoup d’observateurs se demandent si le projet de réforme de l’Éducation nationale n’est pas destiné uniquement à se défaire de tout ce qui a été accompli par la précédente administration et à rien d’autre.
Dans ce contexte, l’on se souvient comment, après avoir investi tant de ressources et d’énergie en vue de la préparation de son Action Plan en 1997 et effectué le tour de l’île pour présenter et expliciter la pertinence de ses réformes, le ministre de l’Éducation d’alors, Kadress Pillay, avait vu rouge lorsque son projet avait terminé sa course au fond d’un tiroir. Idem pour L’École de la Réussite de J.B. David de 1996, le National Curriculum Framework de Dharam Gokhool de 2007, le Plan Stratégique 2008 – 2020 de Vasant Bunwaree. Ce n’est qu’après le changement de régime en septembre 2000 que certaines propositions phares de l’Action Plan – notamment, la construction des dizaines d’établissements scolaires, l’abolition du Ranking au CPE, l’introduction des Form VI Colleges, etc – avaient pu voir le jour dans le sillage de la mise en pratique des réformes Obeegadoo, compilées dans un document intitulé Ending the Rat Race in Education de 2002.
Cependant, le nouveau pouvoir travailliste qui prenait le relais en juillet 2005, décida non seulement de tout remettre à plat mais consolida la concurrence par l’introduction au CPE de la formule de A+ (qui n’était qu’une autre forme de Ranking déguisé en Grading) et des Star Colleges, ce qui redoubla alors la course infernale vers l’élitisme et provoqua la recrudescence des leçons de garage. D’ailleurs, lors de la campagne électorale de 2005, Navin Ramgoolam avait déjà annoncé la couleur. En effet, aux lobbies des associations socio-culturelles et aux doléances de nombreux parents du No.5 selon lesquelles « nou zanfan pa pe kapav gagn akse Queen Elizabeth ek Collège Royal », le leader de l’opposition d’alors avait répliqué : « Mo donn zot mo parol, kouma mo revinn o pouvwar, mo pou retourne zot zot kolez ». Ce qui fut fait illico presto. Et pour tenter manifestement de camoufler le motif bassement électoraliste de ce retour en arrière, le PM devait, lors de l’inauguration d’une école primaire à Plaine-Magnien en août 2006, déclarer : « Ou kwar mo papa ti pou vinn seki li ti ete si li pa ti al Collège Royal ? ». Rappelons, à propos, que c’était dans le même contexte de campagne électorale que l’éducation gratuite fut annoncée en 1976. Ce qui n’avait pourtant pu empêcher le PTr de mordre la poussière aux législatives trois mois plus tard au profit du MMM. Et ce n’est qu’après un arrangement post-électoral in extremis avec le PMSD que SSR était parvenu à sauver son maroquin premier-ministériel et son gouvernement par une majorité de deux sièges seulement.
Finalement, force est de constater que tout projet de réforme de l’Éducation nationale faillirait lamentablement à son objectif s’il faisait l’impasse sur un facteur éminemment préoccupant, devenu au fil des ans, un fléau de haute gravité dans le milieu scolaire – l’indiscipline. Il est malheureux que devant le laxisme pour ne pas dire la négligence voire même la démission pure et simple des autorités concernées – responsables éducatifs à différents niveaux, parents, associations socio-religieuses , la force de l’ordre, etc –, la situation n’a fait qu’empirer ces dernières années – langage ordurier des élèves, garçons comme filles compris ; comportements immoraux dans les lieux publics ; actes obscènes dans les autobus ; consommation d’alcool et d’autres produits illicites ; pagaille dans les gares routières et vagabondage dans les shopping centres après les heures de classes ; etc. Certes, s’il ne s’agit pas de mettre toute la classe estudiantine dans le même panier, le nombre d’élèves concernés par cette attitude de dévergondage est suffisant pour jeter l’opprobre sur la jeunesse dans son ensemble. Il est temps donc de mettre un terme à cette dérive comportementale, une des causes principales d’ailleurs de l’échec scolaire mais aussi de la dégradation sociale dans le pays. Certes, diverses administrations éducatives avaient promis d’attraper le taureau par les cornes… N’est-ce pas à ce niveau que doit d’abord débuter tout projet d’assainissement social ?
Dr Diplal MAROAM
