Rencontre : Gérard-Albin, « Dadabe » des arts et du patrimoine malgaches

Un certain mysticisme se dégage de derrière les murs qui protègent cette boutique d'Antananarivo, à Madagascar. L'homme découvert en ce lieu a justifié la curiosité qui a prévalu en s'y aventurant. Un défenseur chevronné des créations et antiquités malgaches. De : Joël Achille.

« Je suis vieux et beau. » L’introduction ne collerait mieux au personnage s’engageant dans le couloir, qui mène à une salle chargée de diverses sculptures. Une partie seulement des œuvres d’artistes malgaches qu’expose et vend l’Association Roses et Baobab, fondée dans la Grande île en 2005 par le Français Gérard-Albin Fiorina.

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Ses habits noirs contrastent avec sa soigneuse chevelure blanche ondulant jusqu’aux épaules. Son regard curieux apporte une certaine chaleur à son expression taquine, renforcée par des lèvres souriantes s’échappant d’une barbe maculée. Une prestance qui s’accroche à sa réputation de “dadabe”, d’aïeul.

« Je suis à Madagascar depuis quelques semaines, mais avec beaucoup de “s” à “semaines” », confie le mécène, installé en cette boutique insolite, aménagée à Antananarivo, et qui charrie le poids de l’Histoire. Accrochés aux murs, des boucliers d’une tribu du sud-est et des plastrons de guerriers. De même que des épées et autres couteaux décoratifs, ainsi que des pièces votives récupérées de tombeaux en voie de ruine.

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Mais également des vestiges de l’esclavage : chaînes, menottes, outils en métaux… Une multitude d’artefacts datant de plusieurs siècles, que l’association récupère, restaure et préserve. « Les Malgaches ont une grande qualité : ils réutilisent tout. Rien ne se jette ici. Les fers d’esclave peuvent être réutilisés en un pieu pour tenir le cochon. Tous les objets initiaux disparaissent vu qu’ils se recyclent », explique Gérard-Albin, en désignant une sorte de faucille, conservée du passage du temps. L’ensemble de cette collection d’antiquités se garde hors des ventes, s’en défend fièrement l’ancien.

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Au nom de la création

Par contre, plus d’un millier d’autres œuvres d’artistes malgaches – peintres, sculpteurs, plasticiens, bijoutiers… tous membres de l’association – attendent des acheteurs. Ces « créations uniques », insiste Gérard-Albin, ont été achetées par ses soins auprès de leurs concepteurs.

« Si l’œuvre me semble intéressante et de qualité, on en discute le prix et je l’achète tout de suite. Il n’y a pas de dépôts. L’artiste se consacre ainsi à son travail et n’est pas obnubilé par des créations qui se vendent bien auprès des touristes. Chaque œuvre créée est unique. »

Une manière de procéder qui semble périlleuse. Toutefois, le mécène avoue aimer les défis que lui offre la vie.

« Pour Gérard-Albin, c’est un peu plus compliqué, vu qu’il achète lui-même les œuvres auprès des artistes malgaches », explique un sculpteur français, croisé dans son atelier, quelques rues plus loin. « Il vous a dit qu’il était militaire ? » questionne ce dernier.

Au gré de la conversation, Gérard-Albin entretient un certain voile sur son passé. Né il y a 77 hivers dans le sud de la France, ce fils d’un « petit ouvrier qui gagnait très mal sa vie » s’ouvre à l’art grâce à sa mère, « chanteuse et actrice ». Une femme de théâtre qui était « un peu de la haute société ».

« Vers huit ans, j’ai trouvé que c’était idiot d’être moyen, et je voulais être premier. Donc j’ai complètement basculé et me suis défoncé dans les études », raconte-t-il.

Des efforts qui résulteront à l’obtention du Bac « à 14 ans ». Un parcours en droits s’abandonne, car « je ne voulais pas passer ma vie » imbriqué dans le système judiciaire. À ses parents, il dit qu’il veut « voyager ». Des rêves qu’ils respecteront.

« Je crèverai ici »

Le périple entamé vers l’âge de 16 ans se mène à travers « 27 pays », surtout en Afrique. « Je gagnais ma vie en faisant n’importe quoi… Des choses qui ne sont pas disables. Je me suis même engagé, j’ai été militaire », dit-il, soutenant avoir toujours nourri un penchant pour l’art.

Gestionnaire d’agence de presse de photos, impliqué dans deux entreprises de décoration d’espace vert en France, entre autres projets, Gérard-Albin le relève : « J’aime tous les arts. »

En Mauritanie, il « crée un village artisanal » avec des artistes locaux, abandonnant toutefois cette terre en 1987. Un projet similaire prend vie au Gabon. Avant que l’idée ne voyage jusqu’à Madagascar.

Trois boutiques voient le jour ici. « J’ai dû les supprimer, car c’était ingérable », souligne Gérard Albin. Ne reste que la présente boutique, ainsi qu’un emplacement – Baobab Rose – niché à quelque 30 m depuis 2008, et destiné à l’artisanat « de qualité ».

Sous la direction de l’ancien prennent également vie des œuvres collectives. À l’instar de ce tabernacle mêlant diverses formes d’arts, visible dans la chapelle d’une communauté chrétienne de Madagascar.

À l’avenir, c’est une nouvelle boutique qui devrait voir le jour en un point stratégique : « Nous avons trouvé une maison aux abords de la Rova (le palais de la Reine). Nous y exposerons des œuvres uniques, de l’artisanat et des petites pièces destinées aux touristes. »

De nouveaux chapitres s’écrivent à l’encre de Madagascar. Cette terre qui lui offre l’ensemble des défis qui ravissent son âme d’artiste. Et qui permettent au “Dadabe” d’affirmer : « P****, je crèverai ici ».

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