Rencontre : La brocante hétéroclite de Raymond

Route Nicolay, un vendeur d’objets insolites, d’origine allemande, Raymond Mertz, attire le regard. Les gens qui font le va-et-vient ne peuvent louper son étal. Il y règne un désordre indescriptible. Parmi les divers objets, il faut bien fouiner et avoir l’œil affûté. Raymond, lui, veut créer de l’événement autour de sa vente personnalisée qui attire de nouveaux profils entre amateurs ou collectionneurs. Tous repartent en faisant de bonnes affaires.

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Le klaxon des voitures, le va-et-vient des automobilistes et celui des passants, rien ne peut perturber Raymond dans sa vente. Il a su se tisser un réseau tentaculaire auprès des férus de vieux objets. Au moment de la rencontre, Raymond était avec un client qui avait déniché une lampe d’époque et un petit livret de collection. L’homme avenant, causant, se raconte.
Cela fait une quarantaine d’années que Raymond collectionne, achète et revend en Belgique des objets, et, quand il additionne le tout, il raconte avoir déniché plus de 2 000 objets dans plusieurs pays dont l’Allemagne, la Belgique, la Hollande, la France, le Grand-Duché de Luxembourg, situé au cœur de l’Europe occidental. « J’ai une expérience internationale, cela constitue un bel avantage », dit-il tout content de son loisir.

« Ne jetez rien, tout se recycle, se revend »

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Raymond qui achète régulièrement de vieux objets trouve que chiner est devenu un réflexe, car à force de pratique, il lui arrive de déceler du premier coup d’œil des perles rares sous forme d’objets bruts mais qui vaut leur pesant d’or. Comme ce gramophone d’époque, un peu désuet, mais avec une belle finition de couleurs qui attend impatiemment qu’un vinyle s’y incruste pour envoyer à la cantonade de la belle musique d’antan.
La brocante de Raymond, ce n’est pas uniquement la chasse aux vieux gramophones, lampe, à pétrole, de la porcelaine, mais pratiquement de tout, ce qui permet forcément au collectionneur averti qu’il est de sauver ces objets de la déchetterie. Et, lui, de marteler : « Ne jetez rien, tout se recycle, se revend, se donne. Vendez, donnez à des connaisseurs. » Une manière à lui de préserver le patrimoine de ces pays et de recréer sa collection comme une sorte de petit musée en pleine rue à ciel ouvert.
De contracteur en bâtiment, son métier principal, il est devenu à la retraite brocanteur. Sa passion de la brocante remonte à l’âge de 17 ans lorsqu’il avait fait sa première acquisition en achetant une horloge en 1969 en Belgique à Rs 100, ce qui constituait un budget considérable à l’époque. Cela fait une trentaine d’années qu’il a gardé précieusement cette horloge. « J’achète maintenant des objets qui me font plaisir, soit je les dépose chez moi, où je les entrepose dans mon entrepôt-dépotoir. J’ai là un gramophone, une réplique de l’Inde, juste à côté une lampe à pétrole avec le quinquet à l’intérieur, un autre objet d’art déco qui date des années 1940. J’ai aussi une vieille statue en bois de rose représentant un rasta datant de plusieurs années. Avant la loi, le bois de rose s’échangeait comme l’ivoire. On défend l’ivoire, mais on ne parle pas de l’ivoire qu’on a déjà depuis 100 ans. »

« Une vie retrouvée dans différents objets »

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L’intérieur de son antre qui lui sert à entreposer ses objets hétéroclites est une caverne d’Ali Baba, on dirait une tornade dévastatrice qui a laissé sur son passage des traces. Dans un coin, un transistor de l’époque de guerre, sur une étagère, des chandeliers, de vieilles carailles, et même une matraque dont Raymond fera une rigolade : « Bienvenu à Maurice. On n’a jamais le temps de ranger, tout est empilé les uns sur les autres. Je collectionne de tout sauf l’abstrait. J’ai aussi une figurine en terre cuite à plusieurs visages, elle est tellement affreuse que moi, je la trouve jolie, et elle est magnifiquement bien faite par un grand artiste, mais l’œuvre n’est pas signée malheureusement. J’aime à la fois tout ce qui est beau, mais en paradoxe aussi, tout ce qui est horrible et laid. »
Raymond achète tous les jours des objets des particuliers et il lui est même arrivé une fois d’avoir de vieux livres datant de 1664 et 1665, en Belgique, et à Maurice, des livres datant de 1850. « Je collectionne aussi des lithographies qui sont très recherchées. Il y en a dont je ne peux me séparer, c’est comme cela que démarre ma collection qui ne finit jamais. »
De loin, il désigne une locomotive en résine, un vieux modèle ancien, un lustre en coquillage fait main. « J’achète du bois, de la porcelaine en biscuit qui est une faïence cuite entre 980°C et 1 040 °C sans glaçure (sans émaillage), une porcelaine tendre ou dure, cuite sans glaçure à haute température. Je n’ai aucun objet en plastique, sauf un vase en synthétique. Et quand le synthétique devient de l’art, j’achète et je revends. J’ai aussi un vieux moulin, des fers à repasser datant de nos grands-mères. À cette époque, les ménagères avaient beaucoup de muscles, les vêtements étaient repassés à la main avec ce petit fer à repasser de la taille d’un jouet d’enfant. Aujourd’hui, si on demande à une femme de repasser avec ce fer, elle ne pourra pas. »
Pour Raymond, le prix de chaque objet est calculé selon son façonnage, les heures de travail qu’il a nécessitées. « Il m’arrive de vendre sous la valeur. Parfois, j’ai de la veine, comme une assiette datant de 1800 que j’ai vendue à Rs 3 000. Les trucs le plus chers sont des meubles, des Louis Philippe. »
Son travail consiste à exposer ses objets tous les jours pendant deux heures avant de les ramasser. « C’est plus qu’une passion, c’est toute une vie retrouvée dans différents objets. Quand on est dans la brocante, c’est instructif ; on apprend et on partage ses connaissances avec d’autres et vice-versa. Il n’y a pas de limite, c’est tellement complexe. Une personne ne pourra pas dire, je connais tout, car il y a des tapisseries, des peintures, des horloges. Il faut tout répertorier, les connaître ou apprendre la provenance de chaque objet. »
Pour Raymond, chaque objet a une culture, une identité. « Dernièrement, j’ai eu un chandelier avec sept bougies, celui des juifs. J’ai du plaisir à expliquer à ma clientèle l’origine, la matière de l’objet acheté. » L’objet coup de foudre de Raymond est la fleuriste. « Elle est un peu érotique avec sa longue jupe fendue, émaillée par l’usure du temps, faite en porcelaine biscuit. J’aime bien la mettre à côté d’un marquis et de me dire : il fait la cour à la fleuriste. »
Un masque maori bien travaillé fait aussi partie de ses objets préférés, fait avec du laiton. «C’est un métier où à chaque instant on est surpris par les objets qu’on récolte. Si je pouvais faire ce métier encore 50 ans, je serai l’homme le plus heureux du monde. »
Raymond se déplace aussi sur Pamplemousses. Et pour lui, le négoce coule de source (achat, vente, échange), tout cela faisant partie de son lot au quotidien.

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