Le-Mauricien a rencontré cette semaine le ministre du Travail, des Relations industrielles et de l’Emploi, Reza Uteem. Il affirme que son ministère a un rôle clé dans le développement économique du pays et s’appesantit sur les mesures prises pour accueillir les travailleurs étrangers en vue de sortir de la liste noire des États-Unis. Il met en avant que sur le plan économique, le nombre croissant de demandes d’entreprises pour des travailleurs étrangers témoigne d’un certain optimisme à Maurice. Et quant au budget qui sera présenté jeudi, il fait ressortir que le Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam se trouve face à une tâche particulièrement ardue : équilibrer le budget tout en soutenant l’économie. Reza Uteem avance également qu’un abaissement de la note par Moody’s serait une catastrophe pour l’économie et le secteur financier de Maurice.
Après quelque 15 ans au sein de l’opposition parlementaire comme porte-parole pour les questions financières, vous voilà au gouvernement occupant le portefeuille du ministère du Travail et de l’Emploi. Est-ce un nouveau défi pour vous ?
De par ma formation d’avocat, il ne m’a pas été difficile de m’adapter à ce ministère qui traite des droits des travailleurs. En tant qu’avocat, je m’étais déjà familiarisé avec les différentes législations régissant les conditions de travail, ainsi qu’avec les diverses instances existantes pour résoudre les conflits professionnels.
Le plus grand défi a résidé dans la transition du secteur privé au secteur public, car au niveau gouvernemental, d’autres considérations entrent en jeu, notamment l’intérêt général de la population. Aujourd’hui, lorsque les syndicats viennent présenter leurs doléances, je perçois mon ministère comme un intermédiaire chargé de la médiation et de la conciliation. L’objectif est de veiller que les conditions des travailleurs soient respectées et améliorées, tout en évitant que le patronat ne se retrouve dans une situation le contraignant à licencier des employés. Le ministère doit donc s’assurer que les revendications des travailleurs soient raisonnables et financièrement soutenables.
Je consacre beaucoup de temps à recevoir les syndicalistes, car j’estime que mon ministère est avant tout une instance de défense des droits des travailleurs et de garantie de leur respect.
Parallèlement, je suis également ministre de l’Emploi. À ce titre, je suis responsable de toutes les questions relatives aux travailleurs étrangers, notamment leurs modalités de recrutement et le respect de leurs droits. Dans ce contexte, je reçois régulièrement les représentants des petites et des grandes entreprises. Je dois tenir compte de leurs besoins, en prenant en considération les secteurs confrontés à une pénurie de main-d’œuvre.
Qu’avez-vous hérité de votre prédécesseur ?
Sur le plan des recrutements des travailleurs étrangers, il y avait beaucoup à entreprendre au regard des décisions arbitraires et d’une perception de deux poids deux mesures. Certains recruteurs avaient un traitement VIP alors que d’autres avaient toutes les peines du monde. Un système d’appels était géré de façon très opaque. Nous avons dû mettre en œuvre de nombreuses réformes.
Vous avez récemment annoncé la digitalisation entre les demandes et les offres d’emplois. Où en êtes-vous avec ce projet ?
Nous attendons l’allocation budgétaire afin d’obtenir les dotations nécessaires pour l’acquisition d’un logiciel. Celui-ci facilitera la mise en relation entre les demandeurs d’emploi et les entreprises proposant des postes. Actuellement, ce processus est manuel. Grâce à ce nouveau système, les entreprises sollicitant l’aide du ministère pour le recrutement recevront une notification électronique contenant une liste de candidats potentiels. De même, les chercheurs d’emploi seront informés des opportunités d’emploi disponibles auprès de ces entreprises.
Concernant les travailleurs étrangers, nous améliorons le système. Depuis le début de l’année, nous avons émis 11 000 permis d’emplois. En même temps, notre opération en vue de détecter les travailleurs illégaux porte ses fruits. D’après les dernières indications, plus de 3 000 travailleurs étrangers en situation irrégulière ont déjà quitté le territoire mauricien. Nous avons également régularisé la grande majorité des travailleurs dont les permis étaient expirés et qui continuaient à travailler au niveau de l’industrie de la construction et celle du textile. D’autre part, si un employeur ne régularise pas ses travailleurs étrangers, il n’obtient pas de nouveaux contrats. Avec l’aide de la MEXA, nous avons accompli un grand progrès.
Le ministère est donc plus sévère désormais vis-à-vis des employeurs qui emploient les travailleurs étrangers au noir ?
Dans le passé lorsqu’un travailleur étranger était dans l’illégalité, il était déporté sans qu’aucune sanction ne soit prise contre l’employeur. Cela a changé et il peut être poursuivi. Aujourd’hui il est plus vigilant et passe par le ministère du Travail pour faciliter les procédures.
Très prochainement, nous commencerons à donner des permis aux agences de recrutement des travailleurs indiens. Un accord a été conclu avec les autorités indiennes pour que le recrutement se fasse à travers l’agence nationale de recrutement indienne. Ce qui nous permettra d’assurer qu’il n’y ait aucune exploitation de la part des recruteurs véreux. Notre but est de nous assurer qu’aucun travailleur étranger n’ait à payer le moindre sou pour venir travailler à Maurice.
Cela s’applique-t-il également aux Malgaches. Nous avons entendu que l’ambassadeur avait émis des protestations récemment ?
Au niveau de Madagascar, les négociations avec le gouvernement malgache se poursuivent en vue de la conclusion d’un protocole d’accord. Entre temps, l’ambassade de Madagascar doit nous donner son autorisation pour le recrutement des travailleurs malgaches afin de s’assurer que le recrutement ne soit pas effectué par des compagnies qui sont sur la liste noire dans la Grande Ile.
Donc, nous pouvons affirmer qu’avec l’application stricte de la loi tout reviendra dans l’ordre ?
Je souhaite remplacer un système fondé sur des décisions arbitraires et ministérielles par un modèle dans lequel les employeurs mauriciens doivent prouver qu’il leur est impossible de trouver les ressources humaines nécessaires localement avant d’obtenir l’autorisation d’importer des travailleurs.
Le paradoxe est qu’alors qu’il existe une pénurie de main-d’œuvre beaucoup d’employés mauriciens quittent le pays pour aller travailler ailleurs …
Il faut comprendre qu’aujourd’hui, le marché du travail est en constante évolution. Plusieurs facteurs influencent le choix du lieu de travail des employés, et le salaire reste un élément déterminant. Ainsi, certains Mauriciens choisissent de partir à l’étranger pour bénéficier d’une meilleure rémunération, tandis que des travailleurs étrangers viennent à Maurice attirés par des salaires plus avantageux et de meilleures conditions de vie.
La concurrence est donc forte, d’autant plus que la recherche d’étrangers ne se limite pas à Maurice. Par ailleurs, plusieurs pays, comme le Ghana, la Namibie et le Kenya, sont actuellement en négociation avec Maurice pour faciliter le recrutement de leurs citoyens.
Quel est le plafond à ne pas dépasser en termes de travailleurs étrangers ?
La situation varie d’un pays à l’autre. À Singapour, 25 % de la population active est composée de travailleurs étrangers. En revanche, en Arabie saoudite, aux Émirats-Arabes-Unis et dans plusieurs pays du Moyen-Orient, ce pourcentage peut atteindre 80 %. Tout dépend également des secteurs. À Maurice, certains domaines comme la construction et le textile connaissent de forte demande de main-d’œuvre étrangère. De plus en plus d’entreprises opérant dans l’hospitalité et l’agro-industrie soumettent des demandes de recrutement.
L’accueil des travailleurs étrangers implique toutefois la mise en place d’une infrastructure adaptée. Autrefois, les employeurs convertissaient des résidences en dortoirs, mais ces logements ne sont souvent pas appropriés. Par ailleurs, les plaintes des voisins se multiplient face à ces installations. À l’échelle gouvernementale, nous nous préparons à délivrer des permis pour des dortoirs pouvant accueillir un minimum de 100 personnes, équipés d’aménagements adéquats.
Nous envisageons également un partenariat public-privé, permettant d’octroyer des terrains en bail aux promoteurs immobiliers pour ces infrastructures. De plus, nous explorons la possibilité de transformer certains Business Parks inoccupés en dortoirs. Par ailleurs, les installations utilisées par Larsen & Toubro pour la construction du métro pourraient être mises à disposition des entrepreneurs.
De nombreuses mesures sont prises pour faciliter le recrutement et l’accueil des travailleurs étrangers à Maurice. Toutefois, notre pays a été placé sur la liste noire des États-Unis en raison de préoccupations liées au travail forcé et au trafic humain. Le gouvernement sera donc intransigeant envers les employeurs dont les pratiques pourraient nuire à la réputation de Maurice.
Vous avez parlé des droits des travailleurs étrangers. Êtes-vous satisfaits du traitement réservé aux travailleurs mauriciens ?
Chaque jour, mon ministère reçoit des plaintes de travailleurs signalant que leurs droits ne sont pas respectés par leurs employeurs. Les salaires ne sont pas versés à temps, et dans de nombreux cas, le 14eᵉ mois n’est pas payé par plusieurs entreprises.
Par ailleurs, certains employeurs refusent d’évoluer et d’améliorer les conditions de travail de leurs employés. Je lance un appel à ces employeurs — bien que cela ne les concerne pas tous — afin qu’ils changent leur état d’esprit. Il est impératif qu’ils cessent de voir les travailleurs uniquement comme un coût de production à réduire à tout prix. Cette mentalité doit évoluer, car ce sont les travailleurs qui génèrent les profits. Un employé épanoui est un employé productif. L’entreprise doit veiller au bien-être de ses travailleurs et les considérer comme des partenaires contribuant aux revenus et aux bénéfices de la structure.
Les officiers du ministère jouent quotidiennement un rôle de conciliateurs, tentant de réconcilier les attentes légitimes des travailleurs avec les contraintes économiques auxquelles les employeurs doivent faire face. Toutefois, il est crucial d’éviter une situation où les entreprises seraient forcées de fermer leurs portes faute de pouvoir rémunérer leurs employés. Nous envisageons d’encourager les entreprises et les organismes paraétatiques à intégrer un représentant des travailleurs au sein de leur conseil d’administration. Cette initiative permettrait aux employés de mieux comprendre la vision et les orientations stratégiques de l’entreprise, tout en offrant à l’organisation une meilleure connaissance des attentes et préoccupations de ses travailleurs.
Quel regard jetez-vous sur l’économie en général. La situation a-t-elle évolué depuis la présentation de State of the Economy par le Premier ministre en décembre dernier ?
Je dois dire que le ministre du Travail et de l’Emploi joue un rôle clé dans le développement économique du pays. La politique migratoire de travailleurs étrangers a un impact direct sur la productivité des entreprises. De plus, le règlement des problèmes industriels dans les meilleurs délais contribue à créer un environnement propice à la croissance.
Sur le plan économique, le nombre croissant de demandes d’entreprises pour des travailleurs étrangers témoigne d’un certain optimisme à Maurice. De nombreuses sociétés cherchent à élargir leurs activités, ce qui reflète une dynamique économique positive.
Il ne faut pas oublier le poids de l’héritage économique que nous portons, un fardeau accentué par des politiques marquées par le manque de transparence et les mensonges de l’ancien gouvernement et de l’ancien ministre des Finances. Pour pallier ces imprécisions budgétaires, nous avons dû adopter des budgets additionnels, car les revenus avaient été surévalués tandis que les dépenses étaient sous-estimées, ce qui a aggravé le déficit budgétaire. Ce déficit, financé par des emprunts, explique pourquoi la dette publique a atteint près de 90 % du PIB.
Le Premier ministre et ministre des Finances se trouve face à une tâche particulièrement ardue : équilibrer le budget qui sera présenté la semaine prochaine tout en soutenant l’économie. Nous pouvons donc nous attendre à une réduction des dépenses et à l’élimination des gaspillages, mais aussi à la mise en place d’un cadre propice à l’investissement, afin d’encourager les opérateurs mauriciens et étrangers.
Son exercice d’équilibriste consistera à maintenir une rigueur fiscale tout en développant des stratégies pour attirer les investisseurs étrangers et dynamiser l’économie. Il devra capitaliser sur l’optimisme qui prévaut actuellement et saisir l’opportunité de relancer des secteurs clés tels que l’agro-industrie pour assurer notre sécurité alimentaire, les activités portuaires, l’économie bleue et le secteur financier.
Quid du tourisme ?
La connectivité jouera un rôle crucial dans le développement du secteur touristique. Malheureusement, Air Mauritius continue à subir les conséquences de l’ancienne administration, et ses services nécessitent encore des améliorations. Il pourrait être pertinent d’envisager une ouverture du ciel mauricien à d’autres compagnies aériennes, ce qui permettrait de diversifier nos marchés touristiques, notamment en direction de la Chine, du Moyen-Orient et de l’Afrique.
Il est encourageant de voir qu’un nouveau directeur général, André Viljoen, prendra ses fonctions en octobre, apportant ainsi une nouvelle direction à la compagnie. Par ailleurs, mon collègue Richard Duval travaille activement sur de nouveaux produits touristiques pour renforcer l’attractivité de notre destination.
Les agences de notations comme Moody’s nous surveillent. Craignez-vous le pire ?
Il est évident que le Premier ministre et ministre des Finances fera tout pour éviter une dégradation de la notation souveraine du pays. Un abaissement de la note par Moody’s serait une catastrophe pour l’économie mauricienne, en particulier pour le secteur financier mauricien. Les banques internationales refuseraient de prêter aux banques locales ou n’accepteraient de le faire qu’à des taux d’intérêt très élevés, assortis de nombreuses garanties. Une telle situation affecterait gravement l’économie et la stabilité financière du pays.
La semaine dernière a été marquée par le traité conclu par Maurice avec le Royaume-uni concernant la souveraineté de Maurice sur Diego Garcia ?
C’est un accord historique. Le MMM avait, à travers Paul Bérenger, eu le privilège de faire partie du comité interpartis créé par sir Anerood Jugnauth sur les Chagos. Nous avions eu la possibilité d’être partie prenante de certaines initiatives prises par l’ancien gouvernement. Nous devons être reconnaissants aux pays et organisations internationales qui nous ont soutenus dans notre démarche. Je pense à l’Union africaine, qui a toujours été à nos côtés. Nous sommes heureux que le gouvernement britannique ait accepté de renégocier le deal après notre arrivée au pouvoir en novembre dernier. Ce qui nous a permis d’exercer notre souveraineté sur l’ensemble des Chagos, dont Diego Garcia. Le comité ministériel pour le voyage aux Chagos s’est réuni une première fois cette semaine. Un autre comité sera chargé d’analyser les projets envisagés dans l’archipel.
La polémique autour de la NEF a-t-elle provoqué des secousses au sein du gouvernement ?
Nous avons eu des discussions franches au sein du cabinet, où tous les ministres ont eu l’occasion de s’exprimer. Le ministre Subron a reconnu ses erreurs et a assumé pleinement sa responsabilité. Dans son désir de bien faire, la situation lui avait échappé. Cette affaire appartient désormais au passé.
Nos opposants politiques ont tenté d’exploiter cette situation en attisant les tensions, mais la bonne nouvelle est que l’alliance gouvernementale reste solide. Le ministre Subron accomplit un travail remarquable dans le domaine de la Sécurité sociale, et nous apprécions l’apport de ReA dans nos discussions et l’élaboration des politiques publiques.