Ridwaan Hosany (artiste) : « peindre et expérimenter jusqu’à atteindre son propre style »

Depuis le 1er décembre, le Caudan Arts Centre (CAC) propose une exposition rétrospective des œuvres de l’artiste Vaco, s’échelonnant sur dix mois. Dans une récente interview accordée à Le-Mauricien, le directeur artistique du CAC, Ashish Beesoondial, soulignait que le projet Vaco du CAC recèle tout un symbolisme au service de la valorisation de l’art mauricien dans son ensemble, « qui est concrétisé à travers des ateliers divers que propose le CAC ».

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Le premier atelier à avoir vu le jour est directement lié à l’artiste créole que Maurice a perdu il y a un an, plus précisément le 4 février 2023. Un atelier pour dessiner et peindre à la manière de Vaco, animé par son associé, Ridwaan Hosany. Rencontre avec cet homme qui a passé la moitié de sa vie aux côtés de Vaco et qui continue à perpétuer son art tout en se laissant guider par les précieux conseils de son « mentor » : « Il me disait toujours : “Peignez, expérimentez jusqu’à atteindre votre propre style”. »

Ce conseil, Ridwaan Hosany compte bien le mettre en pratique car jusqu’à présent, il s’est consacré à sa carrière d’enseignant d’art, et à Vaco, aux côtés de qui le travail était une véritable passion. « Pou ou vinn enn artis abouti, ou bizin ena letan pou ou et ou lar », affirme-t-il.

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Tout a commencé pour Ridwaan Hosany lorsque son père qui peignait des enseignes commerciales l’oriente sur un des projets de Vaco : décorer un van d’opérateur touristique à partir d’une maquette. Il avait alors 23 ans et avait acquis certaines notions de dessin et de peinture mais ne connaissait pas encore Vaco. Il rencontre alors le directeur de la compagnie, celui-ci lui montre la maquette de l’image qui devait être transférée sur le van, et lui dit qu’« un artiste lui rendrait visite ».

« C’était vers 1996-1997. Vaco est venu chez moi pour voir le travail. Il s’assurait que les formes et les couleurs correspondaient aux originaux. Il a vu que je pouvais le faire. Nous avons appris à mieux nous connaître et quand il avait de gros projets – de grands tableaux pour des compagnies ou des commandes pour l’étranger – il faisait appel à moi. Auparavant, il faisait tout lui-même. Par la suite, il faisait une maquette et c’est moi qui exécutais le travail. Cela pouvait être une fresque, comme ce que nous avons fait pour un hôtel dans l’Est ou encore sur un canevas. Lorsqu’on travaillait sur les canevas, il dessinait et je mettais les couleurs sous sa direction. Une des particularités de son travail est la ligne noire : au début, c’est lui qui le faisait. Par la suite, c’était moi ! », confie Ridwaan Hosany.

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Selon ce dernier, Vaco utilisait un feutre pour faire les traits noirs. « Moi, je le faisais à l’acrylique et au pinceau. Un jour, il m’a vu faire et il était émerveillé. Depuis, j’ai commencé à faire les traits aussi. » Ridwaan Hosany note qu’une quinzaine d’années, avant son départ Vaco avait commencé à lui confier des tâches plus importantes comme la composition d’œuvres – formes et couleurs titrées de son livre – à partir de ses instructions. « Li ti pe kase ranze par rapor a se ki so klian ti pe oule ek li ti pe dir mwa ki pou mete kot sa. »

En outre, Ridwaan Hosany peignait aussi sur des plywood, du bois, des murs, de la céramique et des vitraux. Chaque tâche nécessitait des compétences spécifiques. Pour les vitraux, c’est un vitrailliste qui faisait le travail final. « Il faisait la maquette et me demandait de l’agrandir par rapport à la dimension du vitrail, de le peindre et d’y inclure les traits noirs. Ensuite, on soumettait la nouvelle maquette, grandeur nature, au vitrailliste pour l’exécution, et il supervisait le travail. Par exemple, il a fait des vitraux pour l’église de Grand-Baie, sur commande. »

Pour le canevas et le plywood, dira Ridwaan Hosany, Vaco utilisait de la peinture acrylique pour les véhicules – van, minibus, voiture, vespa, jeep -, de la peinture à l’huile. « Nou ti mem penn enn pirog pour lotel “Chez Vaco” ek enn desin pou avion Air Mauritius », indique-t-il en se remémorant un des derniers travaux exécutés aux côtés de l’artiste : une fresque, à Baie-du-Cap, non loin du centre communautaire, l’année dernière. « Bann la organiz la fwar artizanal laba tou le mwa. »

Même s’il n’était pas très bien à ce moment-là, il avait fait le déplacement pour voir le travail car, précise notre interlocuteur, « il faut savoir que le rendu d’un travail exécuté sous forme de fresque n’est parfois pas le même que ce qu’on voit sur la maquette. Donc, il supervisait le travail et donnait des directives de changement s’il n’était pas satisfait au fur et à mesure que le travail avançait ».

Ridwaan avait une grande admiration pour Vaco et son départ a laissé un grand vide dans sa vie. « C’était un gentleman. On passait beaucoup de temps à discuter politique, philosophie… il était toujours prêt à aider les autres. J’ai beaucoup appris de lui. »

Enseignant d’art au collège Saint-Helena, lorsque Ridwaan Hosany, âgé de 50 ans, a commencé à travailler avec Vaco, il avait un rêve : devenir enseignant d’art. Après environ deux ans à exercer comme tel au collège Aleemiah, il prend de l’emploi au collège Saint-Helena en 1999 et entame des études professionnelles. En 2006, il termine son B.Ed au Mauritius Institute of Education. « Vaco m’a beaucoup aidé dans mon enseignement par rapport aux formes et couleurs. J’ai aussi initié mes élèves à son art. »

Et vous-même, est-ce que vous peignez ? « Oui, j’ai fait quelques commandes de paysages et de portraits mais je n’ai pas eu l’occasion de développer mon propre style. Je suis rentré dans la peinture de bâtiment et la décoration intérieure. Vaco me disait toujours : “Peignez, expérimentez jusqu’à ce que vous trouviez votre propre style. Me pou vinn enn artis abouti, ou bizin ena letan pou ou ek pou ou lar.”

Ses conseils sont encore très frais dans ma tête et je vais m’y mettre ! » Entre-temps, Ridwaan Hosany suit les projets d’art de ses élèves du Higher School Certificate et anime des ateliers d’art à la manière de Vaco. Le prochain est prévu le samedi 24 février, dans Lespas Kreatif Vaco, au CAC.

Exposition rétrospective au CAC

Pour marquer ses cinq années d’existence, le CAC a ouvert une exposition rétrospective de l’artiste créole mauricien, Vaco, de son vrai nom Joseph Charles Jacques Désiré Baissac, en décembre 2023. Il est prévu que l’exposition dure dix mois. Une occasion tout indiquée pour rendre hommage à celui qui a peint « la langue créole » et qui est décédé en février 2023.

La rétrospective Vaco retrace à travers une soixantaine d’œuvres sa carrière d’artiste entamée en 1958, à l’âge de 18 ans avec une première exposition. Elle se décline en trois parties : la nature, la femme et la langue créole. Une visite de l’exposition nous guide sur l’évolution du travail de l’artiste. Stage avec Serge Constantin et Siegfried Sammer au Plaza, ensuite études d’art en France et à Bruxelles.

Vaco passera 20 ans de sa vie en Afrique du Sud dans la restauration tout en conservant sa passion pour l’art et en continuant à exercer. L’artiste se serait intéressé au fauvisme en explorant divers éléments de la nature. Il élaborera une approche simplifiée, mais colorée. « Les détails texturaux et le volume de ses sujets sont minimisés. Une technique de peinture plate est privilégiée à celle du clair-obscur », lisons-nous sur la note explicative au CAC. Elle souligne aussi la particularité « des contours noirs distincts, qui mettent en évidence les formes tout en accentuant l’impact des couleurs ». L’on relève aussi qu’au départ, il était inspiré par Malcolm de Chazal.

Le CAC montre également le dernier travail entamé par l’artiste et qui est resté inachevé. Une toile d’une dimension de 60 cm par 80 cm. Il est désormais intitulé « Dernie koumansman ». Il présente une composition locale : la végétation comprenant papayers, cocotiers, canne à sucre. Le spectateur rentre dans l’image à partir de la plage, s’arrête sur les voiliers dans le lagon et avance vers la montagne du Morne avant se rejoindre l’oiseau de Vaco. Le crayonnage est complet, les contours noirs presque, la mise en couleur à l’acrylique en est à ses débuts : du rouge pour représenter un flamboyant en fleur.

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