Il y a trente-cinq ans, un souffle d’espérance traversait Rodrigues. Sous l’impulsion de Jeux Antoinette Prudence, d’un groupe de fidèles engagés et de prêtres visionnaires, le centre Carrefour voyait le jour au cœur de Port-Mathurin, un espace de lumière et de parole libre, dans une île en pleine quête d’identité.
C’était en 1990. Rodrigues rêvait d’autonomie politique, de reconnaissance, de dignité. Dans ce vent d’unité et de foi, le centre Carrefour s’est érigé comme le symbole d’une Église vivante, proche du peuple, militante et courageuse. Durant trois décennies, Carrefour a fait battre le cœur de l’Église rodriguaise. Enfants, jeunes, couples, femmes, mouvements sociaux et associations : tous y ont trouvé un lieu pour grandir, parler, réfléchir, et construire ensemble une société plus juste.
Mais aujourd’hui, le constat est saisissant : le monde a changé. La société rodriguaise, comme tant d’autres, s’est transformée sous la pression du consumérisme, des technologies et de l’individualisme. « Si le tir n’est pas rectifié, nous risquons de tomber dans la routine », avertit le père Jean Maurice Labour, fondateur spirituel et témoin vigilant de cette longue marche.
Du 4 au 6 novembre 2025, plus d’une centaine de participants – prêtres, laïcs et fidèles – se sont réunis au centre pour réfléchir à son avenir et sa mission.
Autour des quatre axes fondamentaux – forces, faiblesses, opportunités, menaces – une vérité s’est imposée : le centre Carrefour doit se réinventer pour survivre. Ni subventionné par l’État, ni soutenu financièrement de manière stable, le centre peine à moderniser ses infrastructures et à maintenir la richesse de ses actions. Pourtant, tous s’accordent : il reste une flamme à raviver, une lumière à entretenir.
Vers une autonomie réelle et créative
Rodrigues a obtenu son autonomie politique, mais l’autonomie du cœur et des institutions demeure fragile. Le centre Carrefour veut aujourd’hui se transformer en un pôle d’innovation sociale et spirituelle, un lieu vivant alliant culture, technologie, formation, restauration et entrepreneuriat social. Ce projet ambitieux ne vise pas seulement la survie, mais la renaissance : celle d’un lieu capable d’autofinancer ses missions tout en restant fidèle à l’Évangile et à la dignité humaine.
Dans une société où les fidèles s’éloignent, séduits par des spiritualités « instantanées », le père Labour a rappelé que « le monde est devenu un consommateur de religions ». L’enjeu est donc immense : retrouver une foi libre, sincère et incarnée. Une Église ouverte à tous – croyants, chercheurs de sens, blessés de la vie, jeunes en quête d’espérance : telle est la vision qui anime la nouvelle étape de Carrefour.
Trente-cinq ans après sa fondation, le centre Carrefour n’est pas un bâtiment. C’est une mémoire vivante, une école de courage, un champ à labourer encore.
Malgré les vents contraires, il continue d’incarner ce rêve d’un peuple debout, d’une foi vivante, d’une humanité réconciliée.
« Le chantier est long, mais il faut labourer la terre qui existe déjà », a dit le père Labour. Carrefour n’est pas à la croisée des chemins : il est le chemin lui-même – celui qui mène vers une autonomie du cœur, de la foi et de la société.

