Les entrepreneurs de Rodrigues sont inquiets. L’une des mesures annoncées dans le budget 2025/26 concerne l’abaissement du seuil d’enregistrement obligatoire à la TVA, qui passera de Rs 6 millions à Rs 3 millions du chiffre d’affaires dès le 1er octobre. Si cette mesure s’inscrit dans la volonté du gouvernement d’élargir l’assiette fiscale pour réduire le déficit budgétaire, son application généralisée suscite de nombreuses interrogations, notamment à Rodrigues, où le tissu économique repose quasi exclusivement sur des micro, petites et moyennes entreprises.
Le secteur touristique, principal moteur de l’économie rodriguaise, est particulièrement concerné. À partir d’octobre, tout opérateur touristique réalisant un chiffre d’affaires supérieur à Rs 3 millions devra se faire enregistrer pour les besoins de la TVA. Pour les petits entrepreneurs locaux, cette réforme fiscale est vécue comme un coup dur. Un entrepreneur dans le secteur touristique fait état de ses appréhensions. « À Maurice, un restaurant passe par des grossistes, tout est standardisé. Ici, à Rodrigues, ce n’est pas le cas. Nous travaillons avec des pêcheurs, des agriculteurs, des artisans locaux. Beaucoup d’entre eux ne sont même pas enregistrés à la MRA. Ils ne savent peut-être même pas ce que c’est », fait-il ressortir. Selon lui, la nouvelle règle au sujet de la TVA va forcer les petits opérateurs à se tourner vers des fournisseurs mauriciens ou étrangers pour pouvoir récupérer la TVA, abandonnant au passage les producteurs locaux. « Les touristes viennent à Rodrigues pour retrouver des produits frais, goûter aux saveurs locales, acheter des objets faits main, pas pour manger du surgelé ou des produits industriels. Nous risquons de casser cette authenticité qui fait notre force », laisse-t-on entendre avec regrets.
L’autre conséquence immédiate de cette mesure est la hausse prévisible des prix pour les consommateurs, rodriguais comme touristes. « Les produits locaux sont déjà plus chers que les produits importés. Les crevettes fraîches coûtent plus cher que celles congelées. Les légumes du coin, c’est pareil : il y a la cueillette, la transformation, la main d’œuvre. Avec la TVA, ce sera encore plus cher », explique un exploitant touristique. Il indique également que Rodrigues subit déjà une double peine : « Tout ce qui vient de Maurice est plus cher à cause du fret. Les importateurs rodriguais ajoutent leur marge. Donc, les produits surgelés ou industriels ne sont pas forcément bon marché non plus. Et si nous poussons les opérateurs à acheter davantage à l’extérieur pour récupérer la TVA, les prix vont grimper encore plus. »
Le risque est également social. Avec des coûts qui augmentent, les petites entreprises pourraient être contraintes de réduire leurs effectifs. « Si nous devons payer la TVA et que nous ne pouvons pas répercuter les prix sur les clients, nous serons obligés de réduire les charges. Cela veut dire moins d’emplois créés, ou des suppressions de postes », met-on en garde. Il ajoute que l’impact dépasse le simple secteur touristique : « À Rodrigues, tout est lié au tourisme. L’agriculture, la pêche, l’artisanat… Quand un chalet ou un petit hôtel achète des fruits, du poisson ou de la viande locale, c’est toute une chaîne économique qui vit de cela. Si les opérateurs se tournent vers des fournisseurs industrialisés pour s’aligner sur la logique TVA, c’est tout un écosystème qui s’effondre. »
Il regrette un manque de concertation avec les opérateurs rodriguais avant l’annonce de cette réforme. « Le gouvernement est dans une situation budgétaire difficile, nous le comprenons. Mais il faut adapter les règles à la réalité locale. À Maurice, il y a de grandes entreprises, des chaînes hôtelières, de gros importateurs. Ici, à Rodrigues, c’est différent : ce sont des petites structures familiales, des micro-entreprises », poursuit-on.
Il lance un appel : « Nous ne demandons pas d’être exemptés de tout, mais qu’il y ait un dialogue, une réflexion spécifique pour Rodrigues. Car cela représente une menace à ce qui fait la beauté et l’authenticité de l’île. » Les opérateurs locaux espèrent encore un assouplissement ou des mesures d’accompagnement avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle réglementation fiscale en octobre prochain.

