Ceux qui se font administrer des doses de cynisme qualifieront la démarche du ministre de la Santé, Anil Bachoo, à minuit, jeudi, d’exercice de redécouverte de Lamerik — pas celui de Donald Trump et ses dérives, lor map. Ont-ils tort d’arriver à une telle conclusion après les constats faits dans des salles d’attente des hôpitaux et autres établissements de santé publique dans l’île ?
Avez-vous tenté l’expérience d’emprunter la route Royale de Bambous à 6h du matin ? Déjà, devant des grilles métalliques baissées, une file de patients se forme. Le Bambous Health Centre n’ouvrira ses portes que deux heures plus tard. Mais ils sont là, à prendre leur mal en patience. C’est vrai que pour les urgences à l’Ouest, l’hôpital régional Yves Cantin jouit encore d’une réputation positive. Mais là n’est pas le propos.
La leçon de minuit au sir Anerood Jugnauth Hospital peut simplement se résumer à un coup de sang du ministre, ayant décidé de quitter le confort de sa couette pour se mettre dans la peau de ces patients en quête d’un soulagement dans le service de santé publique. Si ces patients s’y trouvaient à cette heure, c’est qu’ils avaient un besoin urgent d’assistance médicale. Sur ce point, la réaction du ministre est des plus légitimes.
Mais était-ce le seul département des urgences du système public à vivre une telle ambiance d’impatience au moment de cette visite surprise ? Dans son post Facebook, il reconnaît ce fait de manière tacite. Mais n’est-il pas vrai qu’une des façons de gérer des coups de sang, même les plus justifiés, consiste à écrire sur ce qui a provoqué la colère puis à déchirer le papier pour éviter de raviver cette émotion ?
Mais hélas, dans sa précipitation, il a confondu la plume et une feuille de papier avec un clavier et sa page Facebook. Et sa colère n’a fait que gagner en intensité sur les réseaux sociaux. Il est vrai que la situation de détresse de ces patients dans la nuit mérite en urgence des soins et une empathie au-delà de toute commune mesure.
Néanmoins, face à cette déflagration, ceux qui étaient ciblés directement par ce post, voire les membres du personnel médical, sans brandir à l’égard du ministre l’avertissement Don’t shoot the piano player, la Medical and Health Officers Association, association professionnelle représentant les médecins du secteur public, a préféré faire preuve de sang-froid au lieu de jeter de l’huile sur le feu. Évidemment, la Medical and Health Officers Association doit défendre son clocher professionnel. Elle l’a fait de manière lucide en dépeignant l’ensemble des facteurs objectifs ayant débouché sur une réaction subjective. Surtout en proposant que « the Ministry convene regular meetings with all stakeholders to address systemic issues and find real solutions ». La voie du dialogue au lieu des arguments tapageurs pour épater la galerie.
Jusqu’ici, n’est-il pas vrai que le service de soins médicaux dans les hôpitaux est gratuit et accessible à tous les Mauriciens 24/24h ? Néanmoins, avec votre argent ou encore votre assurance médicale à hauteur de Rs 5 millions, êtes-vous sûr de pouvoir bénéficier de la présence d’un médecin à vos côtés dès que vous ressentez la moindre douleur au beau milieu de la nuit ? Pas si sûr ! Et pour les établissements privés, la première question n’est pas en relation avec votre problème de santé, mais : « Quelle est votre couverture d’assurance médicale ? » Ne fermons pas les yeux sur la multitude de cliniques privées en opération.
Pour mieux appréhender la problématique de la santé publique, un état des lieux chiffré de la situation sur le terrain peut faire partie de la prescription. Sait-on qu’en 2023, les hôpitaux et centres de santé publics ont accueilli 5,1 millions de patients, soit un peu moins de 14 000 par jour ?
À cette même époque, la République comptait 3 840 médecins, soit 30 pour une population de 10 000 habitants. Les hôpitaux affichaient 3 604 lits, soit 3,37 lits pour 1 000 habitants. L’infrastructure de santé publique se déclinait en cinq hôpitaux régionaux, deux hôpitaux de district, six hôpitaux spécialisés et trois centres résidentiels de désintoxication et de réhabilitation. Venaient s’y greffer des Out-Patient Services accessibles dans deux hôpitaux communautaires, 10 Mediclinics, 17 Area Health Centres et 113 Community Health Centres.
Des chiffres qui peuvent donner le tournis, voire même attiser les coups de sang face à l’attente interminable dans une salle d’attente en pleine nuit. Mais un sentiment de commisération face à la douleur de l’autre ne peut se traduire en chiffres. Combien vaut ce capital qu’est la capacité à reconnaître et accueillir les émotions et les besoins de l’autre, et d’y répondre avec sensibilité ?
Et c’est là tout le débat des services de santé publique.