Au lendemain de son installation comme président de la Commission internationale des droits de l’Homme, Satyajit Boolell a rencontré Le Mauricien pour évoquer le rôle de la Commission, et la direction qu’il compte conférer à cette institution. La commission compte également deux vice-présidents, Me Melany Nagen, avocate, et Vijay Ramanjooloo, psychologue clinicien. Les deux autres membres sont en l’occurrence Jean-Marie Richard et Touria Prayag.
Dans cet entretien, l’ancien Directeur des Poursuites Publiques, Satyajit Boolell, souhaite que la loi soit amendée pour que la commission puisse toucher l’ensemble du pays, à savoir aussi bien les secteurs public que privé. Il propose également que toutes les agences officielles œuvrant pour la défense des droits de l’Homme puissent opérer sous un même chapeau. « Nous pourrions alors mobiliser nos ressources et protéger les plus vulnérables, ceux qui sont au bas de l’échelle sociale, et conscientiser les gens concernant leurs droits et leurs responsabilités », avance-t-il. Pour le président de la Commission, c’est sur la base du respect des droits de l’homme qu’on juge la maturité d’un pays.
Comment avez-vous accueilli cette nomination à la présidence de la Commission nationale des droits de l’homme ?
Cette nomination est une autre occasion qui m’est offerte pour servir le pays à un autre niveau. La Commission des droits de l’homme a un rôle important à jouer. C’est une commission qui répond à une exigence internationale. C’est un domaine dans lequel je suis très à l’aise puisque j’étais déjà actif en tant que président de l’ONG Dis-moi.
Ensuite, les droits humains englobent la pensée de l’avocat car c’est le combat contre l’injustice, contre la discrimination. Le rôle de l’avocat consiste à se mettre entre l’État et l’individu qui est accusé par l’État. Je remercie le président de la République, le Premier ministre et le leader de l’opposition pour la confiance qu’ils ont placée en moi.
Donc, après une carrière au Parquet et comme DPP, c’est donc une poursuite de votre parcours de légiste ?
Oui. Le rôle du DPP consiste à se mettre au service de l’administration de la justice. Il est concordant avec ce que je fais aujourd’hui. Il s’agit maintenant de veiller à ce que les institutions respectent les individus. Nous sommes là comme un chien de garde pour veiller à ce que les droits de tout un chacun soient respectés.
Pourriez-vous nous rappeler quel est le rôle de la Commission des droits de l’homme dans le pays ?
La Commission est gérée par deux législations : le Protection of Human Rights Act et la National Preventive Mechanism Act. Ce sont deux divisions de la Commission. La National Preventive Mechanism Act concerne particulièrement la prévention contre la torture et veille à ce que les droits des personnes les plus vulnérables – que ce soient les jeunes qui sont dans la drogue, les personnes âgées qui sont hébergées dans les homes, ou les prisonniers incarcérés et qui veulent se réhabiliter pour réintégrer la société – ne soient pas bafoués.
La Human Rights Division vient renforcer les droits fondamentaux, qu’ils soient civils ou politiques, vis-à-vis des personnes qui travaillent dans l’institution. Je dois préciser que la juridiction de la Commission est limitée à la fonction publique, aux compagnies appartenant à l’État, et ne s’ingère pas dans les affaires impliquant le président de la République, le chef juge, le Directeur des poursuites publiques ou les commissions établies par la Constitution, telles que la Public Service Commission.
Alors que je commence à assumer mes fonctions, je dois faire deux observations, à savoir que la loi doit être amendée pour que les droits fondamentaux touchent l’ensemble du pays, que ce soit le secteur public ou le secteur privé. Ceux qui travaillent dans le secteur privé sont confrontés aux mêmes problèmes que ceux qui évoluent dans la fonction publique.
Mon deuxième constat est qu’il y a trop d’agences qui font le même travail. Il y a trop de duplications : l’Equal Opportunities Commission, l’Independent Police Complaints Commission, l’Ombudsperson for Children, la National Human Rights Commission. Nous sommes un peu trop « peuplés » d’agences pour atteindre le même but.
Pour avoir des résultats concrets et efficaces, pour pouvoir prendre des mesures qui donneront des résultats, il faudrait que nous nous regroupions sous un seul chapeau. Nous pourrions alors mobiliser nos ressources et protéger les plus vulnérables, ceux qui sont au bas de l’échelle sociale, et conscientiser les gens concernant leurs droits et leurs responsabilités.
Aujourd’hui, avec toute la bonne volonté qu’on a eue sous la Children’s Act, le Probation Office est débordé par le nombre de cas concernant les jeunes de moins de 18 ans qui sont impliqués dans des affaires criminelles. Le Probation Officer doit faire une évaluation de chaque enfant concerné. Ils sont débordés. Par conséquent, un enfant accusé d’un abus sexuel, que ce soit dans un shelter ou ailleurs, reste dans le milieu où il a commis ses crimes en attendant que le Probation Officer s’occupe de lui. La police ne peut rien faire avant que le Probation Officer n’ait décidé du sort de cet enfant. Je ne dis pas cela pour critiquer mais pour souligner l’importance d’une harmonisation des ressources de manière à ce que nos actions soient efficaces et donnent des résultats.
Les droits humains n’ont pas émergé d’un jour à l’autre ; ce sont les résultats de tout un cheminement, de toute une maturité dans la pensée politique et philosophique, depuis la Magna Carta jusqu’à la Déclaration universelle des Droits humains. Il faut être conscient de ses droits.
Malgré cette évolution, on observe des tentatives de génocide à Gaza. Ce sont des droits très importants. Nous avons une responsabilité non seulement au niveau domestique mais également au niveau international. On doit s’assurer que Maurice reste un pays crédible, où il fait bon vivre, où il y a un État de droit et qui est ouvert à tous les citoyens et à tous les investisseurs du monde. On peut avoir cette crédibilité lorsqu’on valorise les droits humains.
Vous avez parlé des deux législations qui régissent la Commission des Droits de l’Homme. Qu’en est-il des conventions internationales ?
Maurice est signataire d’une série de traités au niveau international, dont la Convention relative aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention contre la torture et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, entre autres. Tous ces traités nous placent devant une obligation morale et politique d’intégrer ces conventions dans nos législations locales. Ce sont les baromètres qui reflètent les valeurs individuelles du pays.
Dans le dernier rapport de la Convention contre la torture, il nous est demandé d’introduire le Police and Criminal Evidence Bill afin d’assurer un code régissant la conduite de la police. C’est à la suite des commentaires de la Commission contre la torture que l’Attorney General a amendé le Code pénal. Dans le même ordre d’idées, un grand chantier est ouvert : il s’agit de moderniser notre Code pénal, qui date de 1938. Celui-ci est dépassé et ne répond plus aux exigences modernes.
Aujourd’hui, nous faisons face à la criminalité, la cybercriminalité et aux fraudes perpétrées par des escrocs. Des individus peuvent dévaliser une banque en l’espace de quelques minutes. Il est impératif que notre Code pénal soit révisé pour s’attaquer à ce genre de criminalité. Le Code pénal reste le texte principal pour lutter contre ces crimes. Il faut toutefois le dépoussiérer afin de garantir un procès équitable devant une cour de justice. Il est également nécessaire d’assurer une « égalité des armes » entre la poursuite et la défense, et de respecter les droits des victimes. Celles-ci doivent pouvoir venir devant la cour et expliquer tous les préjudices qu’elles ont subis.
Vous avez toujours été un promoteur des droits des victimes lorsque vous occupiez le poste de DPP…
J’ai toujours mené une lutte dans ce sens. J’ai aussi souligné que la cour ne fournit pas toutes les réponses. L’une de nos priorités sera de voir comment alléger les tribunaux, qui sont débordés par des affaires de trafic de drogue. Il y a un rajeunissement de la population carcérale pour les cas de drogue. C’est trop sérieux. Les jeunes sont devenus des consommateurs, des dealers et des trafiquants. Il faut s’assurer qu’ils sont réhabilités de manière à réintégrer la société. La commission veillera également à ce que le certificat de moralité soit beaucoup plus juste envers les consommateurs de drogue. Nous nous occuperons aussi des personnes en situation de handicap. Nous avons été sévèrement critiqués par le comité mis en place dans le cadre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. L’île Maurice a été critiquée sur plusieurs aspects. Il faudra faire un suivi et s’assurer que la Commission continue de solliciter l’État afin que toutes ces mesures soient prises en considération.
La commission n’a pas de pouvoirs exécutifs…
Non, nous n’en avons pas mais nous avons le pouvoir de lever le drapeau rouge. À ce propos, on n’hésitera pas à dénoncer, s’il y a lieu de le faire, ceux qui sont responsables d’appliquer les droits humains même s’il sont attachés à de grosses compagnies.
Avez-vous eu le temps de faire un relevé des cas qui sont devant la commission en ce moment ?
Je commence à peine de le faire. Il y a beaucoup de cas dans le monde carcéral, d’autres basés sur la discrimination, sur le fait que les gens ont été traités arbitrairement. Il faudra qu’on fasse plus de dissémination de nos activités. On verra les résultats ensuite.
Une Constitutional Review Commission sera instituée bientôt, souhaiteriez-vous y participer ?
Bien sûr. J’aurais souhaité prendre part à cette commission. On parle maintenant de la troisième et quatrième génération des garanties des droits humains. Elles comprennent les droits de la nature, les droits écologiques, des droits économiques et sociaux, de la qualité de la vie. En même temps, on a également mentionné qu’il y aura le Public Interest Litigation.
Au niveau de la Commission des Droits de l’Homme, nous l’accueillons favorablement parce que nous serons les premiers à entrer les actions en Cour pour défendre les intérêts des personnes vulnérables dont les droits ont été bafoués. Les membres de la Constitutional Review Commission auront à abattre un travail considérable. Il faudra passer en revue la Constitution actuelle et ajouter d’autres droits. Toutefois, cela devra être fait dans un sentiment de continuation.
Une des priorités de l’État consiste à consolider les valeurs de justice et de liberté afin de promouvoir l’élan de la nation mauricienne. Ces valeurs devront encourager le mauricianisme, favoriser une culture et un réflexe mauricien. Cela commence avec le fait qu’on n’aura pas à déclarer son identité ethnique lorsqu’on se présente comme candidat aux élections législatives. Le système de meilleurs perdants est toujours fondé sur un recensement qui date de 1972. Il est toujours difficile d’accepter ces changements. Ce sera pénible mais il faudra que les Mauriciens évoluent et apprennent à se respecter les uns les autres. Le changement ne se fera pas du jour au lendemain, mais on avance dans la bonne direction.
Comment avez-vous accueilli les amendements constitutionnels apportés par le nouveau gouvernement ces derniers mois ?
Jusqu’à présent, le gouvernement a été réactif. Il y a eu des urgences à la suite d’observations du Comité international des droits humains. Mais le gros chantier, c’est-à-dire un projet global, viendra à partir du moment où on va réviser la Constitution. Cela débouchera sur une série de législations et sur une vague pour une nouvelle ile Maurice.
Durant votre service comme DPP, vous avez été confronté à des défis difficiles. Vous avez lutté pour le respect des droits du bureau du DPP. Comment avez-vous accueilli les mesures qui ont permis de rétablir le DPP dans ses droits ?
J’accueille tout cela favorablement, parce qu’aux termes de la Constitution, le DPP est un bureau indépendant. On a essayé de diluer cette indépendance. De plus, on ne peut pas parler d’indépendance sans indépendance financière.
Or, le bureau du DPP était un département du bureau de l’Attorney General. Ce qui va à l’encontre de la philosophie qui avait poussé à la création de ce bureau. C’est une excellente nouvelle que le bureau a retrouvé son budget, a retrouvé son statut de bureau. Et bien sûr, il doit répondre au Parlement sur ses dépenses. Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas redevable comme tous les autres bureaux. C’était une injustice, une mesquinerie d’avoir fait ce tort immense à un bureau qui fait partie d’un ensemble d’institutions alors que la Constitution garantit les valeurs démocratiques de Maurice.
Je dois dire, toutefois, que je suis contre la création du National Prosecuting Office, dont la création a été annoncée. Je pense qu’on fait fausse route. Il convient de clarifier la section 72 si jamais il y a une ambiguïté entre le rôle du DPP et celui du commissaire de la Constitution. Mais avoir une simple législation devant le Parlement constitue un pas en arrière.
Un jugement rendu par le défunt Juge Rajsoomer Lallah explique en des termes clairs qu’il y a des institutions à Maurice créées sous la Constitution, dont celle de l’Electoral Commissioner, sont des « non political executive institutions », sont redevables à la Cour s’il y a un problème concernant leur pouvoir. Un challenge contre le DPP doit être jugé par la Cour suprême. Si vous retournez au parlement, vous vous placez dans le filet des politiciens et cela constitue un gros risque. Le jour où ils ne s’entendront plus avec vous, ils changeront cette législation par une simple majorité et vous embarrasseront. Si j’ai tort tant mieux. Mais je suis contre l’idée d’avoir un National Prosecution Service calqué sur ce qui existe en Grande-Bretagne. Contrairement à Maurice, il n’y a pas de Constitution en Grande-Bretagne. Cependant, Maurice a une Constitution écrite qui comprend la section 72. Un tel service ne se prête pas au contexte mauricien. En général, le gouvernement a restauré l’image, le statut et la confiance qu’on devrait avoir au bureau du DPP.
Maurice est sur la liste noire des États-Unis concernant le trafic humain. Etes-vous concerné par cela ?
Oui, c’est quelque chose qui nous concerne. Je sais que les États-Unis travaillent avec le bureau du DPP, mais comme je le dis, tout ce qui se passe pour l’instant, c’est réactif. On est en train d’ouvrir le pays à des milliers de travailleurs étrangers. La question se pose : est-ce qu’on a fait – est-ce qu’on le fait – un filtrage correct pour savoir qui, comment, et comment on arrive dans le pays ? Qui sont les agents qui vont venir, qui sont les demandeurs, et il nous faut des ressources pour aller vérifier tout ça.
Beaucoup sont perdus dans la nature. Certains se livent à la prostitution, mais il faut qu’on soit vigilant sur qui on laisse rentrer, et comment on va les contrôler. Si on est menacé d’être sur la liste noire du Trafficking in persons, je suis un peu déçu, parce que depuis un bon bout de temps, nous étions sous le Scrutiny des États-Unis. On doit être vigilant et il faut qu’on ait les ressources nécessaires.
La pension de retraite de base domine les débats sur le budget en ce moment. Qu’en pensez-vous ?
Mon opinion personnelle est que le Rationale qui explique qu’on cesse le BRP à l’âge de 60 ans est bien expliqué ; il y a un vieillissement de la population, et ceux qui sont au travail ne vont pas pouvoir le soutenir. Je pense que les Mauriciens ne sont pas dupes. Ils comprennent cela, mais ce qui se passe, c’est que cet argent qu’ils recevaient à 60 était une somme conséquente, qui venait alléger leur budget. Il faut aider ceux qui sont au bas de l’échelle. Le gouvernement a un devoir de le faire, et je sais qu’il va le faire, mais le sacrifice doit venir de tout le monde.
Le mot de la fin.
Il faut qu’on soit vigilant afin que les valeurs de ces droits soient respectées au sein de toutes ces institutions gouvernementales. Il faudra que ça touche aussi bien le privé que le public. C’est sur la base du respect des droits de l’homme qu’on juge la maturité d’un pays.
Jean Marc Poché