Séminaire de recherche sur les Humanités Numériques & les Industries culturelles et créatives

Danyal PATEL,

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Île de La Réunion                                                                                                                               

Pour la petite histoire…

Les industries culturelles et créatives (ICC) jouent un rôle majeur dans l’économie mondiale. Dans l’océan Indien, leur essor se manifeste par une structuration croissante et des initiatives régionales visant à professionnaliser le secteur, valoriser le patrimoine et encourager la création. C’est dans ce contexte qu’a été lancé en 2023 le Master Humanités Numériques, porté par l’Université des Mascareignes et l’Université de La Réunion.

Le séminaire de recherche sur les Humanités Numériques & les Industries culturelles et créatives qui s’est tenu du 16 au 18 avril 2025, financièrement soutenu par le SCAC/l’Ambassade de France à Maurice, s’inscrit dans cette dynamique en réunissant chercheurs, étudiants, professionnels, créateurs, mais aussi rêveurs lucides pour interroger les synergies entre humanités numériques et ICC. Il vise à explorer les transformations du secteur à travers plusieurs enjeux : le rôle du numérique dans la médiation et la transmission du patrimoine, l’impact des technologies sur les processus de création et de diffusion, ou encore, les défis économiques et éthiques liés à cette mutation. Comme le souligne l’organisatrice de l’événement, Dr Neelam Pirbhai, « à travers une approche interdisciplinaire, ce séminaire entend questionner les ICC comme moteur de développement culturel et territorial dans l’océan Indien. En apportant des regards croisés sur ces problématiques, ce séminaire ambitionne d’ouvrir de nouvelles perspectives pour les ICC dans la région ».

Les intervenants

L’aventure a débuté, un mercredi après-midi, avec un enchaînement fluide d’interventions et d’échanges, où se sont entremêlées des thématiques aussi diverses que complémentaires : de l’intelligence artificielle à la linguistique, de la littérature aux métiers du livre, de la valorisation du patrimoine à l’économie du jeu vidéo, jusqu’aux projets de coopération régionale.

L’IA, un partenaire de demain ?

Selon Nicola Bertani, l’intelligence artificielle est probablement l’invention la plus révolutionnaire de tous les temps, devançant même la machine à vapeur ou le transistor. Elle facilite le travail, automatise les tâches, génère des idées, mais, comme tout outil, elle dépend de l’usage qu’on en fait. Il a aussi rappelé avec justesse que le pont numérique ne saurait être édifié sans vigilance. Il a évoqué les enjeux cruciaux de l’éthique, du droit d’auteur et les hypothèses dystopiques d’une humanité menacée par ses propres créations. Mais au-delà de tout cela, il a réaffirmé, tout comme Nirmal Kumar Betchoo, que l’intelligence artificielle, si elle est bien encadrée, peut être un formidable moteur de créativité.

Le numérique dans le monde du livre

Dans le monde de la culture et de la transmission du savoir, le numérique transforme l’enseignement, l’édition et la lecture. Il ne remplace pas les œuvres : il revisite les pédagogies, il enrichit les approches, comme l’explique Zibya Issack. Grâce aux technologies modernes, les mouvements littéraires reprennent vie et les lecteurs peuvent désormais s’y plonger de manière interactive et dynamique, rendant plus vivants les textes du passé.

Cette dimension créative du numérique s’est révélée dans de nombreuses interventions. Comme l’ont démontré Waaiza Udhin et Avinash Oojorah, le numérique ne vient pas supplanter les œuvres : il reconfigure les modes de transmission, enrichit les approches pédagogiques, et ouvre de nouveaux horizons au storytelling contemporain.

Cette nouvelle manière de lire et d’enseigner trouve un écho dans le travail de Amel Fraisse, qui a permis la mise en place d’une collecte massive de traductions multilingues d’œuvres transnationales. Grâce à l’IA et aux outils numériques, les textes fragmentés deviennent des connaissances structurées, enrichies sémantiquement, accessibles en plusieurs langues, et explorables selon une infinité de critères. Le savoir devient plus fluide, plus universel, plus inclusif.

Selon Séverine Martial, les métiers du livre conservent un rôle central. De l’auteur au libraire, chaque maillon de la chaîne éditoriale a un rôle déterminant. Ce sont leurs compétences, leur collaboration et leur passion qui permettent au livre – ce produit fini – d’exister, de circuler et de vivre dans les mains du lecteur.

L’articulation entre transmission et ancrage culturel a également été au cœur de l’intervention de Pascale Siew, des Éditions Vizavi. À travers la figure de Tikoulou, elle nous a rappelé combien l’écriture peut contribuer à forger une identité nationale et à préserver un patrimoine immatériel souvent menacé.

Entre patrimoine et innovation : les nouveaux espaces des industries culturelles

Dans un registre plus expérimental, Géraldine Hennequin nous a présenté Next Art Factory, une initiative fondée sur les principes du social business de Muhammad Yunus. Cette structure à but non lucratif met en lumière de nouvelles manières de penser l’économie culturelle, ancrées dans des logiques sociales et inclusives.

Le professeur Alain Cucchi nous a encouragés à réfléchir à l’évolution actuelle de l’apprentissage : on passe des méthodes traditionnelles à une utilisation réfléchie de l’intelligence artificielle, notamment pour organiser le sens des contenus. Une réflexion importante, surtout à une époque où les frontières entre les disciplines et les supports deviennent de plus en plus floues.

Areff Salauroo, représentant du groupe La Sentinelle, a pour sa part, montré comment l’innovation médiatique est aujourd’hui une nécessité vitale. Leur engagement dépasse les limites traditionnelles des médias pour toucher des domaines tels que l’éducation, la formation, l’immobilier ou encore l’emploi.

Nathalie Noël et Stéphane Boquet ont mis en exergue comment les technologies immersives, comme les QR codes et la réalité augmentée, transforment les lieux liés à la mémoire de l’esclavage en ponts entre le passé, le territoire et l’avenir. Mais comme l’a rappelé Olivier Sébastien, ces avancées ne doivent pas faire oublier l’importance de l’accessibilité. L’inclusion doit être réelle, en tenant compte des personnes en situation de handicap, souvent oubliées dans ces innovations numériques.

Sur le plan patrimonial, Kamless Narain, de la National Library, a impressionné l’auditoire par l’ampleur du travail de numérisation entrepris. Certains documents, datant de 1777, renaissent aujourd’hui à travers des outils technologiques de pointe : scanner A0+, reconnaissance optique de caractères, infrastructure robuste : un patrimoine documentaire désormais vivant, disponible, et accessible à tous.

Art, média et plateforme : nouveaux vecteurs des industries créatives de l’océan Indien

Le volet culturel et créatif du séminaire a pris une tournure ludique avec l’intervention de Jessica de Lanux et Loïc Manglou, qui nous ont introduits à l’univers des jeux vidéo à dimension pédagogique et sociale. Meaningful and serious games sont de véritables œuvres d’art interactives, porteuses de récits puissants et d’enjeux économiques notables. Eliana Timol, de la MFDC, a poursuivi cette exploration en nous emmenant dans les coulisses de la production cinématographique mauricienne avec des voyages visuels à travers les époques.

Enfin, Astrid Audibert et Arielle Randrianarivony, de la Commission de l’Océan Indien, ont présenté un ambitieux projet régional de développement des Industries culturelles et créatives. Des plateformes comme kiltir.org ou l’écosystème Konek jouent un rôle structurant dans la mise en réseau des acteurs et dans la démocratisation de l’accès numérique à l’échelle de la région. La projection du film Pie dan lo du Gao Shan Animation Studio, suivie d’un échange avec Armand Desponts, a su captiver l’attention de tous.

Une aventure humaine avant tout

Au-delà des idées échangées et des savoirs partagés, ce séminaire restera avant tout comme une aventure profondément humaine. Il n’aurait pu voir le jour sans l’engagement des étudiants de Master Humanités Numériques, du SCAC/de l’Ambassade de France à Maurice, des universités de La Réunion et des Mascareignes et de tous ceux et celles qui, dans la lumière comme dans l’ombre, ont contribué à en faire un succès.

En somme…

Pendant ces quelques jours, une multitude de voix se sont croisées pour tracer, ensemble, les contours d’un même rêve : faire du numérique un pont. Un pont entre le passé et l’avenir, entre la culture, la recherche et la technologie. Un pont aussi entre les îles et les continents – de Maurice à La Réunion, en passant par la France et au-delà.

À travers cette belle diversité, nous avons découvert les multiples visages des Humanités Numériques et des Industries Culturelles et Créatives. Ce séminaire fut un temps suspendu, fait de réflexions stimulantes, de découvertes enrichissantes et de dialogues passionnés — si riches, d’ailleurs, que l’on aurait volontiers sacrifié quelques instants de pause pour prolonger la conversation.           

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