Stéphanie Anquetil : « SSR a été l’architecte d’un rêve d’indépendance pour Maurice »

Dans cette interview, la Chief Whip de l’opposition, Stéphanie Anquetil, indique que SSR fut l’architecte d’un rêve d’indépendance pour Maurice. Elle maintient également que la démocratie parlementaire a repris ses droits à Maurice.  « Aujourd’hui, je suis en mesure de dire que le Parlement est libre et apaisé. Je suis bien placée pour le dire puisque nous sortons de cinq années d’un ancien régime, sous lequel l’opposition a été opprimée. La liberté d’expression n’existait pas. Les tirages au sort des questions étaient une mascarade. Comme par hasard, les sujets, qui gênaient, étaient reléguées à la fin », affirme-t-elle. Elle déplore toutefois que les deux membres de l’opposition agissent comme s’ils étaient des députés à temps partiel au Parlement. Elle dit aussi sa fierté de porter le patronyme d’Anquetil. « Cela m’oblige à écouter la voix du peuple », insiste-t-elle. 

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Vous occupez la fonction de Chief Whip pour la première fois. Qu’est-ce que ce rôle implique au quotidien ?

Laissez-moi, en premier lieu, vous dire que pour moi être politicien n’est pas un métier mais un engagement. Je suis à mon troisième mandat comme député et j’occupe la fonction de Chief Whip pour la première fois après avoir servi comme Deputy Chief Whip de 2012 à 2014. Cette position me passionne. Je suis en contact permanent avec le Premier ministre et avec le Premier ministre adjoint et surtout avec tous les parlementaires, dont les ministres, les Junior Ministers et les Backbenchers.

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Vous savez, le Chief Whip est les yeux et les oreilles du gouvernement. Le Chief Whip doit mettre de l’ordre et assurer une bonne communication entre le gouvernement et l’opposition. Je vis les travaux parlementaires avec beaucoup de concentration, tenant compte de mes responsabilités. Comme vous le savez, ces derniers neuf mois ont été très intenses. Nous n’avons même pas eu de break.

Entre le 29 novembre et le 1er août ,nous avons eu 37 séances parlementaires. Cela a été intense. 23 projets de loi ont été présentés. Un seul projet de loi a été adopté en première lecture mais n’a pas encore été adopté par le Parlement, à savoir le Civil Appeal Bill. Nous avons eu 27 PNQs, dont 8 ont été répondues par le Premier ministre et 17 par les ministres. 251 interpellations ont été adressées au Premier ministre et 657 adressées aux ministres, soit un total de 908 Parliamentary Questions. Seulement 57 PQs, dont deux adressées au Premier ministre, n’ont pas été répondues.

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Contrairement au précédent régime, le Premier ministre répond en moyenne à cinq à six questions lors de la tranche du PMQT. Des fois il répond à toutes les questions, alors que l’ancien Premier ministre ne répondait qu’à une seule interpellation.

Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontée dans vos relations avec la présente opposition ?

Ce n’est pas une mince affaire. Je dois être très attentive à ce qui se passe au sein de l’hémicycle. Il s’agit de voir si l’ordre et le temps préétabli pour des orateurs lors des débats sur un texte de loi sont respectés. Je note scrupuleusement le temps utilisé par le Premier ministre lors du PNQ surtout, ainsi que le nombre d’interpellations supplémentaires, et me tiens prête pour lui indiquer le temps qu’il lui reste durant cet exercice important au Parlement afin qu’il puisse transmettre les messages importants qu’il souhaite avant que la Speaker ne déclare Time is over.
Il faut également se rendre compte qu’aujourd’hui, nous nous retrouvons avec 64 parlementaires du gouvernement et deux de l’opposition et un indépendant. Plus de la moitié des parlementaires, dont des ministres et Juniors, sont des néophytes. Ils ne maîtrisent pas encore les codes parlementaires. Il faut les aider. La Speaker a dû organiser une session de formation pour les initier aux Standing Orders et sur la façon de se comporter dans l’hémicycle et ce qu’il faut éviter de faire, surtout que les travaux parlementaires sont diffusés en direct à la télévision.

Au début, ils n’étaient pas très contents mais heureusement ils comprennent que je suis là pour les aider et les encadrer, que je suis à leur disposition à mon bureau pour toute aide ou information. Il faut aussi leur faire comprendre qu’avec 64 parlementaires sur les bancs de la majorité, ils ne peuvent pas faire de longs discours dépassant quinze minutes. Certains ont protesté mais ont fini par comprendre qu’il faut structurer leurs discours. Heureusement, nous pouvons travailler en toute quiétude.

Quelles sont vos relations avec les trois membres de la minorité parlementaire ?

Au Parlement je n’essaie pas de rivaliser avec qui que ce soit. J’ai ma propre personnalité, ma propre conviction et mes valeurs. Ce sont mes boussoles. J’ai mon histoire.
J’ai toujours respecté mes collègues de l’opposition. Aujourd’hui ils ne sont que deux. Je ne suis pas là pour les critiquer mais je suis choquée de voir qu’ils ne sont là que pour les grandes occasions. C’est comme si nous avions des députés de l’opposition à temps partiel. Ils ne sont là que pour la PNQ et s’ils ont des interpellations. Ils auraient dû être là à plein temps.

Il arrive que lorsque le leader de l’opposition pose sa question, il est tout seul. C’est le cas pour le Whip de l’opposition également, qui intervient souvent en l’absence de son collègue. Je reconnais que le député indépendant, Franco Quirin, est toujours présent. J’ai été choquée récemment lorsque la Speaker de l’Assemblée nationale m’a appelée pour m’annoncer qu’elle avait reçu un courrier du Whip de l’opposition qui refuse désormais de traiter avec moi. Il se dit embêté de ne pas être autorisé à parler avant le Premier ministre ou le ministre qui présente le projet de loi et souhaite avoir le même temps de parole que les ministres. Il a oublié que durant la période où il était Speaker et même avant, il y avait cinq orateurs de la majorité qui intervenaient toujours avant le Premier ministre. À cause de cela, Paul Bérenger avait dû intervenir au Parlement à 2 h du matin. Maintenant il traite directement avec la Speaker.

Alors que nous célébrons ce lundi la Journée internationale de la démocratie, quel regard jetez-vous sur le Parlement ?

Aujourd’hui, nous disposons d’une vraie démocratie parlementaire, contrairement à cinq ans de cela où prévalait une ambiance électrique avec un Speaker qui pratiquait des jeux d’influence. Il a fait beaucoup de mal au Parlement et opérait de manière autocratique. Les députés de l’opposition étaient malmenés et humiliés toutes les semaines.

Le groupe parlementaire travailliste m’avait confié le dossier des femmes et des enfants. C’était mon devoir de dénoncer ce qui se passait dans ces institutions. Je venais avec des preuves tangibles. À un moment donné, il a interdit la présentation des photos. Les travaux parlementaires étaient banalisés. À chaque séance, nous étions expulsés. Aujourd’hui, je suis en mesure de dire que le Parlement est libre et apaisé. Je suis bien placée pour le dire puisque nous sortons de cinq années d’un ancien régime sous lequel l’opposition a été opprimée. La liberté d’expression n’existait pas. Les tirages au sort des interpellations parlementaires étaient une mascarade. Comme par hasard, les sujets qui gênaient le gouvernement étaient relégués à la fin. Nous nous étions retrouvés dans des situations inédites. C’est terrible ce que nous avions vécu. C’était une période traumatisante. Alors que le Speaker était supposé être impartial et devait assurer la protection de la minorité au sein de la Chambre il faisait le jeu des lobbies.

Parvenez-vous à accomplir votre travail de député de la circonscription malgré vos occupations de Chief Whip ?

Lors des dernières élections, j’ai changé de circonscription et je n’ai eu que quatre semaines de campagne à Belle-Rose/Quatre-Bornes (No 18). Ce fut une campagne intense dans une circonscription qui compte 61 000 électeurs. Je vous avoue qu’il y a des endroits dans la circonscription que je ne connais pas encore. Ma force est que je suis une personne de terrain.

Ma plus grande satisfaction est que lors de la dernière élection générale je suis sortie en deuxième position après Arvin Boolell. J’ai obtenu 29 398 votes. On m’a fait comprendre que c’est le plus grand nombre de votes obtenus par une femme depuis les premières élections à Maurice. Par conséquent, j’ai une dette et une reconnaissance incroyables envers tous ceux qui m’ont choisie malgré la courte campagne de quatre semaines que j’ai menée grâce à l’aide du leader du PTr, Navin Ramgoolam, et à Arvin Boolell. Il y a des personnes qui ne connaissent pas Ramgoolam comme nous le connaissons, nous. Ils ne connaissent pas sa droiture.

Je me souviens qu’une fois durant le mandat 2010-14, lors de la réunion parlementaire précédant la séance parlementaire, un ministre avait affirmé qu’il ne répondrait pas à mon interpellation parlementaire. Le Premier ministre Ramgoolam lui a demandé pourquoi et il a répondu qu’il n’était pas prêt pour le faire. Le Premier ministre lui a dit : Je serai là demain pour t’entendre répondre à cette question.

Au sein du PTr, lorsque nous sommes des députés, nous sommes libres de poser les questions. Je voudrais dire publiquement ma reconnaissance à Arvin Boolell, qui s’est toujours dévoué pour la circonscription qu’il représente, pour tout le soutien qu’il m’a apporté pour être sa colistière et pendant la campagne intense que nous avons menée pendant la campagne électorale.

Est-ce qu’il y a une symbiose entre les députés de tous les partis au Parlement ?

Tout à fait. Les parlementaires de tous les partis sont toujours là lors des réunions avant la séance hebdomadaire.

Parlez-nous du Parliamentary Gender Caucus.

Le Caucus fonctionne très bien contrairement à l’ancien régime. Sous l’ancien gouvernement, c’était le Speaker et son adjoint qui présidaient les réunions. Je ne crois pas que c’était une bonne chose d’avoir deux hommes à la tête de ce comité. En vérité, il n’a pas fonctionné. Il n’a jamais publié un communiqué et n’a organisé aucune activité.

Aujourd’hui le comité fonctionne. D’ailleurs, une réunion du Gender Caucus est prévue cette semaine et nous devrions rencontrer le commissaire de police. La Speaker est la personne idéale pour présider ce comité. Elle connaît le combat des femmes. Nous sommes libres de parler.

Est-ce que le fait d’être Chief Whip vous laisse le temps de vous occuper de dossiers comme la femme et l’enfant qui vous ont toujours intéressée ?


C’est vrai que j’avais la charge de ce dossier à l’époque. La différence aujourd’hui est que nous avons une ministre qui travaille. Ce qui n’était pas nécessairement le cas pour l’ancienne ministre. Je me souviens avoir pris une photo. J’ai présenté mes excuses mais je ne regrette rien. J’avais présenté son vrai visage.

Savez-vous qu’à cette époque deux députées femmes, Dorine Chukowry et Tania Diolle, ont présenté une motion contre moi au Parlement pour rapporter mon cas au Directeur des Poursuites Publiques (DPP). Mais mes fonctions ne m’empêchent pas de poursuivre mon combat qui est toujours le même.

Nous venons de célébrer le 140e anniversaire de la mort d’Emmanuel Anquetil. Comment ce tribun vous inspire-t-il ?

Anquetil, c’est mon patronyme. Cela m’oblige à écouter la voix du peuple. Je vous avoue que j’ai parlé de ma famille pour la première fois lors de la célébration du 140e anniversaire de la mort d’Emmanuel Anquetil. Dans la famille, nous ne sommes pas des demandeurs. Le peu que nous possédons, nous l’avons obtenu à la sueur de notre front. Je suis surprise de voir la richesse accumulée par certaines personnes qui ne sont plus au Parlement aujourd’hui.
Je n’ai pas connu Emmanuel Anquetil. Lorsqu’il est décédé en 1947, mon père n’avait qu’un an. Je suis de la quatrième génération. Il était donc le frère de mon grand-père. Même aujourd’hui, nous parlons encore de lui dans la famille. Nous l’avo,ns toujours appelé Tonton La Grève en raison du combat qu’il avait mené. On m’a toujours raconté comment il était difficile de porter ce nom à l’époque.

Emmanuel Anquetil a toujours dénoncé les injustices sociales. Il a lutté pour le droit des travailleurs et contre l’exploitation du gouvernement colonial. Comme il était un grand orateur, il soulevait des masses. Craignant une révolte populaire, le gouverneur de l’époque l’avait déporté à Rodrigues. C’était une déportation politique. Beaucoup de mes parents ont dû quitter le pays à cause des pressions qu’ils subissaient.

Mon père est le seul qui est resté. J’ai pris ce flambeau parce que le nom d’Anquetil n’a jamais été sali. Il était dans la droiture. Il n’a pas laissé de richesse mais un monde syndical uni. Malheureusement, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je suis doublement fière que mon patronyme soit associé à la lutte pour les droits des travailleurs. Aujourd’hui le Registrar General Building porte son nom, de même que des rues dans différentes villes. Il y a un monument à Bassin. Il sera réaménagé.

Nous célébrons demain le 125e anniversaire de la naissance de SSR.

Sir Seewoosagur Ramgoolam, qui fut bien plus qu’un homme politique ; il fut l’architecte d’un rêve d’indépendance pour Maurice, un rêve tissé de justice sociale, d’unité et de dignité. Il croyait profondément en la force d’un peuple uni dans sa diversité, il a fait de son combat une offrande pour les générations futures. Son héritage n’est pas seulement inscrit dans les institutions, mais gravé dans la mémoire collective d’une nation qui lui doit sa liberté.

« J’ai toujours respecté mes collègues de l’opposition. Aujourd’hui ils ne sont que deux. Je ne suis pas là pour les critiquer mais je suis choquée de voir qu’ils ne sont là que pour les grandes occasions »

« J’ai obtenu 29 398 votes. On m’a fait comprendre que c’est le plus grand nombre de voix obtenues par une femme depuis les premières élections à Maurice. Par conséquent, j’ai une dette et une reconnaissance incroyables envers tous ceux qui m’ont choisie malgré la courte campagne de quatre semaines »

« Je suis la quatrième génération. Emmanuel Anquetil était donc le frère de mon grand-père. Même aujourd’hui, nous parlons encore de lui dans la famille. Nous l’avons toujours appelé Tonton La Grève en raison du combat qu’il avait mené »

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