Tous corrompus !

Du riz possiblement un jour impropre à la consommation du fait d’une hausse de son taux d’arsenic, des maladies géolocalisées comme la dengue et le chikungunya bientôt endémiques, nouveau record dans la destruction des forêts tropicales, USD 1 000 milliards de dégâts par an résultant de la montée des eaux, 4 000 espèces animales menacées d’extinction… Les mauvaises nouvelles s’enchaînent à un rythme effréné, toutes ayant le réchauffement planétaire comme dénominateur commun. Malgré cela, le changement climatique n’a plus la cote, semble de moins en moins intéresser la masse populaire, pas plus d’ailleurs que nos dirigeants. Pire : à l’échelle mondiale, le phénomène n’inquiète même plus.

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Ce dangereux paradoxe n’a cependant pas été relevé par des écologistes, pas plus que par des experts du climat, philosophes ou autres auteurs d’une énième étude anthropologique, mais par des… économistes. Autrement dit par des acteurs indirects du paradigme capitaliste, à l’origine, faut-il le souligner, de notre marche effrénée vers le progrès, et « accessoirement » du bouleversement climatique en cours. Autant dire que si ceux-ci nous mettent en garde et nous promettent des heures sombres, c’est que la menace doit être d’autant prise au sérieux. Ils sont d’ailleurs rejoints par une enquête de l’institut Ipsos, et portant sur deux tiers de la population mondiale, laquelle démontre que l’enjeu global du changement climatique perd en intensité à l’échelle globale.

Mais qu’est-ce qui explique ce soudain désintéressement ? Pourquoi, alors que le monde se devrait au contraire d’aborder la question avec le plus grand sérieux du fait de la menace existentielle pesant sur l’humanité, la cause climatique est-elle de moins en moins entendue, pour ne pas dire passée sous silence ? Plusieurs facteurs viennent aujourd’hui apporter un éclairage nouveau à la problématique. À commencer par la loi de la proximité, dans le sens géographique autant que temporel du terme. Le changement climatique n’affecte en effet pas uniformément le monde entier, car quand bien ses conséquences existent-elles, elles ont rarement la même intensité. En outre, ce changement de températures et de rythme des catastrophes associées ne promet de s’installer durablement qu’au fil des décennies, et ne peut dès lors être directement perceptible aux yeux du grand public sur un court laps de temps.

Mais d’autres raisons viennent expliquer cette atténuation des facteurs émotionnels suscités il y a encore quelques années, soit à l’heure où un champ lexical dramatique avait été dessiné par des acteurs d’horizons aussi variés que Joe Biden ou la militante Greta Thunberg. Le marasme social est l’une d’elles. Comment en effet en vouloir à quelqu’un passant le plus clair de son temps à chercher à survivre – que ce soit en régions arides, en zones de guerre ou simplement dans un environnement social à l’agonie – de négliger ou d’ignorer la cause climatique ? Cela ne fait aucun sens.

Et il en est de même dans les régions les plus favorisées du monde, où l’érosion sociale gagne là aussi du terrain, faisant de facto basculer les priorités de la survie globale sur le long terme à celle de l’individu dans l’instantané. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à voir se multiplier les grèves sociales au détriment de rassemblements pour le climat, là où ces derniers étaient encore dominants il y a quelques années à peine.

Le plus aberrant, dans la conjoncture, c’est que le fond du problème demeure là encore le capitalisme, ou du moins cet irrépressible besoin de recherche exponentielle de profits, et ce, dans la logique d’une croissance éternelle. Un mythe, certes, mais à ce point exacerbé et institutionnalisé qu’il aura réussi à convaincre la masse silencieuse que son bien-être ne peut être réfléchi que dans un sens large et un objectif immédiat. Ce faisant, nos industriels auront – le plus sciemment du monde et, c’est vrai aussi, avec beaucoup de panache et de réussite – déplacé l’urgence du réchauffement planétaire pour le remplacer illico par l’allégorie d’un confort court-termiste, seule garante finalement de leur propre enrichissement.

Cette logique est pourtant non seulement délétère, mais elle corrompt notre faculté de réflexion. Dès lors, la survie de notre espèce, tout autant que des autres, apparaît davantage comme une chimère vendue par des lanceurs de fausses alertes, ou du moins exagérées, que d’une très probable éventualité. Preuve qu’entre ce que nous dit la science et ce que nous promet le monde industriel, nous avons déjà fait notre choix. Et tant pis si nous apprenons plus tard qu’il s’agissait du mauvais.

Michel Jourdan

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