Une première dans l’histoire agricole du pays avec Agrïa, filiale de l’ER Group, qui plante ses premières vignes à Bel-Ombre. Ce projet inédit pour l’agriculture mauricienne amorce un virage décisif. Pour cette entrée en fanfare dans la viticulture, Agrïa s’est associée au Domaine de Montille et entend commercialiser du vin dès 2029 et positionner le pays sur la carte mondiale des vins de terroir. Ce vignoble s’inscrit dans la stratégie agricole de l’ER Group, qui vise à bâtir de nouvelles filières agricoles durables, compétitives et à forte valeur ajoutée.
La présentation du projet a eu lieu au Château de Bel-Ombre ce 15 septembre en présence d’Arvin Boolell, ministre de l’Agro-Industrie, de la Sécurité alimentaire, de l’Économie bleue et de la Pêche. Il a procédé à la mise en terre symbolique des premiers ceps, en présence des partenaires et experts français du projet. Agrïa s’étant associée à Etienne Bizouard de Montille, vigneron et propriétaire du Domaine de Montille, en Bourgogne, ainsi qu’à d’autres domaines viticoles en Californie, aux Etats-Unis, et à Hokkaido, au Japon.
Ce projet offre de nouvelles perspectives économiques, sociales et touristiques pour le sud-ouest du pays. Mais le vignoble de Bel-Ombre s’inscrit également dans la lignée stratégique agricole de l’ER Group, qui veut à la fois diversifier les cultures, réduire la dépendance aux importations et bâtir de nouvelles filières durables et compétitives basées sur l’innovation, le transfert de savoir-faire et l’agriculture responsable.
Thierry Sauzier, CEO d’Agrïa, raconte que chez Agrïa, ils ont un terrain dans le Sud-Ouest, à Bel-Ombre. Ajoutant que ce projet de vin découle de l’amitié née entre Etienne Bizouard de Montille et un autre Mauricien à Paris, et que lui-même a eu la chance de connaître lors de ses études. De cette rencontre est né ce projet de partenariat. Et pour explorer cette idée d’une plantation de vignes à Maurice, le terrain de Bel-Ombre a été évalué pour voir si les sols étaient propices pour la culture de raisin.
Fin 2024, poursuit Thierry Sauzier, ils ont alors pris la décision d’importer des plantules d’un pépiniériste français de trois cépages différents : le touriga, un cépage portugais, le chenin blanc et le cabernet franc. Ces cépages ont ensuite passé le temps qu’il fallait en quarantaine. Enfin, ce lundi, lors d’une cérémonie protocolaire à Bel-Ombre, les plants de vignes ont été mis en terre sur un hectare de terrain dans un endroit appelé Ponama à Bel-Ombre.
À termes, ils espèrent produire 15 hectares de vignes, avec à peu près 75 000 pieds de vignes, pour produire annuellement entre 70 000 et 80 000 bouteilles de vin. « Nous allons produire du vin à Maurice avec l’aide du Domaine de Montille, un très grand domaine viticole en Bourgogne datant de 300 ans et qui a aussi exploité son savoir-faire en Californie, pour produire du vin, en Europe de l’Est, et plus récemment au Japon. Nous allons maintenant produire du vin à Bel-Ombre, avec des investissements qui seront faits, dans une cuverie, afin d’écraser le raisin, d’en sortir le jus, et de le faire devenir du vin à terre. »
Thierry Sauzier fait référence à Etienne de Montille, qui sera partenaire et actionnaire sur le projet, et sur lequel il reconnaît pouvoir compter en matière de compétence et de savoir-faire. D’autant plus qu’en âge, le Domaine de Montille célébrera prochainement ses 300 ans d’existence. « Nous ne savons pas, à l’heure où nous parlons, sous quelle marque le vin sera commercialisé, mais ce sera clairement un vin mauricien, produit à Maurice mais avec une expertise étrangère, transférée aux Mauriciens qui travailleront sur le projet de la vigne. Ce qui va nous permettre de commercialiser notre vin comme étant un vin mauricien », confie-t-il.
Les premières vendanges sont attendues en 2028/29. Et la première récolte de raisin, elle, pour 2029, car le procédé prend trois ans entre l’importation des plantules et la récolte. Et comme à Maurice le climat est tropical, les promoteurs du projet souhaitent produire un vin de meilleure qualité.
Les vignes, après leur période de quarantaine dans une serre, ont été plantées pour la première fois lundi dernier. Le défi, selon Thierry Sauzier, est de veiller qu’il n’y ait pas de prédateurs et d’insectes. Il explique : « Nous savons que des vignes ont été plantées à Maurice. Nous savons que des raisins ont déjà été récoltés, mais personne n’a vraiment eu la possibilité d’aller loin dans ce genre de projet, et je pense que cela résulte souvent du fait que nous n’avions pas l’expertise nécessaire que nous avons aujourd’hui avec le partenaire français, Etienne Bizouard de Montille. »
Porter haut la culture du vin à Maurice
Parlant du Domaine de Montille, Thierry Sauzier évoque une référence dans le milieu viticole, mais également de son savoir-faire dans la production de vins bio. « Nous nous dirigerons vers les vins bio si le terroir et le climat nous en donnent l’opportunité. »
En termes d’investissement d’ENL, d’ER ou d’Agrïa dans le projet, Thierry Sauzier parle de « partenaires égaux » avec le Domaine de Montille. « Pour l’instant, nous sommes en phase de test. L’investissement qu’on a mis dans le projet est un investissement relativement minime. C’est ce qu’on appelle un Proof of Concept Investment. Mais nous allons à terme, dans le projet, investir autour de Rs 400 millions, ce qui inclura les plantations, la cuverie pour produire le vin et, vraisemblablement aussi, des espaces restructurés touristiques pour pouvoir promouvoir des activités autour du vin. »
Etienne Bizouard de Montille, du Domaine de Montille, évoque pour sa part un projet né d’un songe et sous le signe de l’amitié. Il développe : « je me souviens, dans ce rêve, appeler Emmanuel Kœnig, mon ami mauricien de toujours, pour lui demander s’il était prêt pour aller vendanger notre vigne à Maurice. »
Il en est lui-même le premier surpris, car Etienne Bizouard de Montille, un habitué de Maurice, avait exploité d’autres vignobles au Brésil et en Thaïlande, mais avoue que le projet de Maurice est loin de lui déplaire et annonce déjà une première vendange espérée en 2028/29. « Maurice, c’est aussi un bon présage, car mon aïeul, Antide Bizouard de Montille, dit la Courtine, était lieutenant d’artillerie. Il avait débarqué en 1788 à l’Isle de France et avait même participé à la bataille de Grand-Port. »
Pour mieux étudier le sol de Bel-Ombre, il s’est entouré d’une équipe d’experts, dont Yves Herody, géologue et agronome reconnu, et Benjamin Bois, climatologue, afin de déterminer, à partir de cartes et de données géologiques et climatiques, les potentialités viticoles de l’île. « Les terres d’Agrïa conviennent parfaitement à ce projet d’envergure. J’ai été soutenu par Philippe Espitalier-Noël et les équipes du groupe ER. Il y a un potentiel viticole énorme sur les sites de Ponoma et Canal Vacoas. Si les premières vendanges sont attendues en 2028/29 et les premières bouteilles un an après, ce vignoble permettra, à terme, de produire environ 75 000 bouteilles ou 6 000 caisses, destinées principalement au marché interne. Mais nous serons très fiers de présenter ces vins issus d’un terroir mauricien au-delà de l’océan Indien. »
Il dit aussi procéder à une élaboration d’une dizaine de cépages, avec l’ambition de produire du rosé, du rouge et du blanc, tous sélectionnés comme étant les plus adaptés au climat de notre terroir. « Nous félicitons les autorités mauriciennes de leur intérêt pour ce projet et leur aide dans ses premiers pas. La présence aujourd’hui d’Arvin Boolell en témoigne; elle nous honore et nous conforte dans cette formidable aventure. » Tout en ayant aussi l’idée de jeter les premières bases en vue sur le long terme de faire de la vigne de Maurice le premier vignoble tropical au monde cultivé en agriculture biologique.
Etienne Bizouard de Montille est de la 9e génération de vignobles du Domaine de Montille, qui comporte 35 hectares de vignes situées dans les meilleurs crus en Côte d’Or, cultivé en bio depuis une trentaine d’années et en biodynamie depuis une vingtaine d’années. Par ailleurs, le Domaine de Montille produit environ 180 000 bouteilles de vins, qu’elle exporte dans une quarantaine de pays, dont Maurice.
Indiquant que pour Maurice, l’offre de vins s’est tellement affinée chez quelques grands groupes hôteliers prestigieux – tels Constance et Heritage – qu’il devient un facteur différenciant et attractif pour une clientèle exigeante. « Les compétences en sommellerie se sont largement développées à Maurice sous l’impulsion de sommeliers français et la création, en 2008, de l’Association des sommeliers de l’île Maurice, qui forme de nombreux sommeliers mauriciens. Ce sont eux qui diffuseront, partageront et porteront encore plus haut la culture du vin à Maurice. En tant que vigneron, je souhaite les remercier de leur passion et de leur engagement. »
De son côté, Arvin Boolell salue la vision d’Agrïa et se dit persuadé que, dans trois à quatre ans, 80 000 bouteilles seront sur les tables. « Nous allons trouver le bon vin mauricien, un bon cru. Le projet d’Agrïa doit servir de modèle pour les autres planteurs. C’est aussi une bonne synergie entre le privé et le public », dit-il. « Aujourd’hui, au-delà de l’agriculture traditionnelle, qui sera consolidée, il y a aussi l’agriculture verticale, hydroponique, aéroponique… Mais avec une technologie avancée. Et c’est ça l’agriculture. Nous voulons que tout le monde participe. La jeunesse, ceux qui sont dans l’agriculture traditionnelle. »