A sniper in the house?

Que vaut Yogida Sawmynaden?

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Question au vu de l’extraordinaire et totalement inédit déploiement d’artillerie lourde pour la comparution du ministre du Commerce en Cour de Port Louis jeudi dernier. Non, on n’avait jamais vu ça à Maurice. Toutes les rues jouxtant la Cour, artères capitales et très usitées, fermées à toute circulation par le commissaire de police. Mobilisation de l’armée et de forces d’intervention spéciales dévolues notamment à la lutte contre le terrorisme (le GIPM). Jusqu’à des snipers sur le toit d’un bâtiment jouxtant la Cour.

Des snipers. Le mot fait frémir. A l’image de ces tireurs d’élite militaire embusqués, ultra entraînés dans le maniement de fusils de précision. Pour tirer et ne pas rater sa cible.

Etions-nous en guerre ?

Le ministre était-il là pour une affaire liée au terrorisme ? A la mafia de la drogue ?

Non. Tout simplement pour une accusation ayant trait à un emploi fictif. Pour que la Cour décide s’il doit ou non répondre d’une accusation provisoire déposée contre lui par Simla Kistnen, qui l’accuse d’avoir déclaré au Bureau de l’Impôt qu’il lui paye Rs 15 000 mensuellement pour agir comme constituency clerk, alors qu’elle affirme n’avoir jamais tenu cet emploi et n’avoir jamais reçu cet argent.

Alors, tout ce déploiement militaire pour une affaire d’emploi fictif ?

Tout ce déploiement pour un « simple » ministre, alors que Pravind Jugnauth lui-même n’avait pas fait l’objet d’un centième de ce déploiement alors que, ministre au sein du gouvernement de son père, il fut contraint de comparaître en Cour en 2015 dans le cadre du rachat contesté de la clinique Medpoint ?

Au-delà de la question d’emploi fictif actuellement en Cour, le fait est que l’accusatrice du ministre est la veuve de Soopramanien Kistnen, ex-agent du MSM, retrouvé partiellement carbonisé dans un champ de cannes en octobre 2020. Et que ce cas, initialement classé comme « suicide » par la police, n’a pas fini de soulever des éléments extrêmement inquiétants et graves. La question qui est posée aujourd’hui, c’est de savoir si un agent du parti au pouvoir, proche du ministre du Commerce mais aussi du Premier ministre, a été assassiné. Et s’il menaçait d’exposer non seulement des pratiques frauduleuses concernant l’octroi de contrats (ce qui relève du délit d’initié, de corruption et d’abus de biens publics) mais aussi parce qu’il aurait eu en sa possession des documents en vertu desquels il aurait allégué que le Premier ministre et deux de ses ministres auraient largement sous-déclaré leurs dépenses électorales. Ce qui pourrait conduire à l’invalidation de leur élection. Et à la chute du présent gouvernement.

De là découle sans doute le déploiement démesuré de forces militaires autour de la comparution en Cour du ministre Sawmynaden jeudi dernier. Démesuré, car s’il y a depuis août dernier à Maurice une tendance inédite à la mobilisation populaire, les 150 000 personnes qui sont descendues dans les rues de Port Louis pour réclamer la démission du Premier ministre l’ont fait dans une ambiance mesurée, sans qu’il y ait aucun débordement. Démesuré, parce que si les ministres de l’Environnement et de la Pêche ont été hués à leur sortie du tribunal de Mahébourg l’an dernier suite au naufrage du Wakashio, et si le ministre Sawmynaden a été lui aussi hué à sa sortie du tribunal la semaine précédente, il n’y a jamais eu de menace directe à leur sécurité. Démesuré, parce que jeudi dernier, il n’y avait que quelques centaines de manifestants armés de leurs seules voix dans les rues de Port Louis. Mais nos dirigeants n’ont manifestement pas l’habitude d’être remis en cause par la rue comme ils le sont depuis août dernier… Du coup, il fallait frapper fort. Du coup, non seulement les unités policières mais aussi les unités militaires ont été mobilisées. Au point où des internautes ironisent qu’il ne manquait que l’Orchestre de la Police sur le terrain…

C’est totalement le contraire que l’on a pu voir, à quelques heures d’intervalle, aux Etats -Unis. Là-bas, mercredi dernier, des milliers de sympathisants du Président Trump ont pris d’assaut le Capitole, symbole de la démocratie américaine, pour tenter d’empêcher le Congrès de procéder à la reconnaissance des résultats de l’élection présidentielle du 3 novembre dernier donnant le Démocrate Joe Biden gagnant, et donc futur Président des Etats-Unis.

Là-bas, alors même que des informations claires indiquaient que des supporters de Trump (membres d’extrême droite et de groupes néo-nazis) fomentaient des actes violents, la police du Capitole, relevant du Président Trump, a refusé les offres de renfort faites par le Pentagone et le FBI… Manquant de réactivité, pas seulement face à l’ampleur de la foule, mais aussi, manifestement, face à sa constitution. Car cette affaire met aussi en lumière ce que certains aux Etats Unis appellent le White lawlesness, l’impunité blanche. Un fait reconnu par le nouveau Président Joe Biden lui-même qui, jeudi après-midi, déclarait : “No one can tell me that if it had been a group of Black Lives Matter protesting yesterday, they wouldn’t have been treated very, very differently from the mob of thugs that stormed the Capitol. We all know that’s true, and it is unacceptable.” 

Aux Etats-Unis, le Président en exercice a ouvertement pris la parole pour inciter ses partisans à prendre d’assaut le siège de la démocratie de son pays. “We’re going to try to give our Republicans — the weak ones – the kind of pride and boldness they need to take back our country,” a déclaré Trump à ses supporters mercredi matin. Et des images hallucinantes le montrent par la suite, lui et ses proches, se déhanchant sur l’air du Gloria de Laura Branigan, jubilant en regardant sur des écrans télé les manifestants en train de saccager le Capitole.

Si le U.S. Capitol Police Chief, Steven Sund, a été amené à démissionner vendredi dernier, aucune sanction n’a été prise contre celui qui est clairement l’instigateur de ces violences, nommément Donald Trump. Et alors que Facebook et Twitter ont décidé de fermer définitivement ses comptes, pour l’empêcher d’utiliser leurs plateformes pour diffuser ses dangereux messages et appels, le fait demeure que jusqu’au 20 janvier, Trump reste à la tête des Etats Unis. Trop dangereux pour poster sur les réseaux sociaux, mais toujours en contrôle de l’exécutif, du militaire. Et des codes nucléaires

S’il a démontré qu’il peut, jusqu’au 20 janvier prochain, faire de chaque jour aux Etats Unis un « horror show », selon les mots de la House Speaker Nancy Pelosi, quel recours contre Trump ? Son vice-Président, Mike Pence, a clairement fait comprendre qu’il ne compte pas répondre à l’appel qui lui a été fait d’utiliser le 25ème amendement, qui permettrait au Cabinet de révoquer Donald Trump, Pence prenant les rênes jusqu’à la prise de pouvoir de Joe Biden le 20 janvier. Dans ces conditions, le seul autre recours est l’impeachment. Mais si elle aurait l’avantage de permettre au Sénat d’inclure une clause interdisant à Donald Trump d’être à nouveau candidat à la présidence, cette procédure est longue et difficile. Et demanderait que les représentants républicains votent contre Trump, alors qu’ils sont nombreux à ne pas s’être désolidarisés de lui suite aux événements de mercredi dernier.

à Maurice comme aux Etats-Unis, les événements inédits et jugés choquants de cette semaine posent une question : celle des pouvoirs que nos démocraties accordent à ceux qui tiennent les rênes du pays. Et les recours possibles face à des abus. Les institutions, certes, n’ont jamais été faites que par ceux et celles qui les dirigent. Mais pandémie, crise, incertitudes, peur de l’avenir, colère, et possibilités de manipulations décuplées par les réseaux sociaux font que se pose aujourd’hui avec plus d’acuité la question de l’utilisation de l’intimidation, de la peur, de la brutalité et de la violence pour tenter, contre leur propre pays, d’asseoir des pouvoirs vacillants.

Les snipers ne sont pas toujours uniquement sur les toits…

 

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