Chiens de faïence, politiciens en défiance

En hiver, autrefois, les bourgeois se chauffaient encore au bois. Sur le bord des cheminées décorées de babioles à la mode chez ces seigneurs frivoles, prônaient une paire de chiens peints, en céramique, posés l’un en face de l’autre et qui semblaient ne jamais se regarder. On pourrait y établir une correspondance entre Serge Clair et Xavier Duval.

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Beaucoup se demandent ce que viennent faire ces chiens antiques dans nos histoires d’hommes politiques. D’abord, ce sont deux vieux loups habiles entrés depuis très longtemps avec suprématie dans les rangs de la diplomatie. Papy Clair, alors âgé de 36 ans, fonde l’OPR en 1976. Fiston Duval à l’âge de 29 ans commence sa carrière en 1987. Tous deux ont donc une longue expérience et en connaissent parfaitement les rouages, ce qui rassurent les uns et inquiètent d’autres. Ne nous fions donc pas aux apparences : ces deux personnages hauts en couleur qui se sont fréquentés, tantôt en alliés, tantôt en pestiférés, pèseront lourd dans la balance le jour du vote.

Le petit pavillon électoral blanc restera le préféré des Rodriguais, mais quelle couleur va choisir le tout nouveau Parti Rodriguais Social Démocrate ? Le plus proche du blanc est jaune. Les deux sont indissociables dans l’Å“uf On pourra aisément confondre les deux, mais le petit drapeau jaune risque de se transformer en gilet jaune si les promesses ne sont pas tenues. Attention aux formations nouvelles qui font rêver, mais qui peuvent aussi tourner au cauchemar, comme ce manque chronique d’eau qui remonte depuis bien avant l’autonomie, aux conséquences intolérables, à la flambée des prix des légumes, tant en période de sécheresse qu’en temps très pluvieux ou cyclonique : comment en sommes-nous arrivés là ? Que ferons-nous des cent mille visiteurs que nous espérons héberger annuellement lorsque nous ne sommes toujours pas capables de satisfaire à nos propres besoins. Comment traiter ou recycler écologiquement nos ordures, garder nos belles plages propres, si nous n’avons même pas d(incinérateurs ni de poubelles. Où sont envoyés les résidus concentrés nocifs des stations de dessalement ?

Le plus gros problème à Rodrigues c’est que les lois ne sont pas appliquées, on cherche des plants de cannabis dans les moindres recoins de l’île, mais tout le reste — fort peu caché — échappe à la vigilance des équipes responsables de l’environnement, comme les dépôts sauvages d’immondices, les bÅ“ufs, cabris, moutons qui détruisent les plantations, les nuisances sonores de voisins qui mettent à fond leur musique préférée, ou laissent aboyer leurs chiens affamés toutes les nuits. Piégeons une fois pour toutes ces cascadeurs en moto ou en 4X4 qui prennent la ligne blanche pour de la décoration routière ; ces écoliers qui balancent de tout par les fenêtres des bus ; la fumée d’échappement de véhicules mal réglés ; l’abandon d’épaves de voitures, de camions sur la voie publique ou dans bois.
Chaque homme, chaque femme représente une voix, et ces quelques voix dans un si petit pays comme le nôtre, ça compte ! Tous les politiciens des pays démocrates ne sont généralement élus que grâce à une petite majorité, ce qui veut dire que près de la moitié de la population restera toujours contre eux. La majorité (ce chien en faïence, disons populaire) restera toujours assez près de l’opposition (ce frère jumeau canin en faïence, un rien moins populaire).

Si maintenant, à l’heure qu’il est, ils ne se regardent pas du haut du bord de la cheminée, il suffit d’un petit coup de dépoussiérage d’une petite main de petite bonne à tout faire pour qu’ils se font face, yeux dans les yeux, par accident, imprévu, détresse, par coïncidence ou voulu d’avance, et voilà notre fameux regard en chiens de faïence, cette expression née au XVIe Siècle et qui veut dire : se dévisager avec méfiance, hostilité ou même se mesurer du regard, se fusiller avec les yeux, donc pas tout à fait en cohabitation pacifique, ni durable, ni franche… Papy Clair, Fiston Duval, mais aussi Nicolas-le-Mouvementé Rodriguais-depuis-toujours-dans-l’ombre peuvent finir par lasser à la longue.

Hélas, nous avons besoin de ces gens-là. Mais vont-ils enfin regarder la réalité en face et faire ce qu’ils disent qu’ils vont faire ? Les Best Losers de Rodrigues ont les best housing en toute propriété. Tous ont choisi cette profession autant difficile qu’ingrate, un métier qui procure tantôt joie, tantôt tristesse, produit inexorablement des hauts et des bas, un sale boulot dont nul autre n’aura le culot d’encaisser le jackpot !

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