« Court ! »

— Tu ne m’as pas dit qu’il y avait eu une mortalité dans ta famille.

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— Qu’est-ce que tu racontes : tout le monde est bien, Dieu merci. Pourquoi tu me demandes ça ?

— Qu’est-ce que ton bonhomme faisait l’autre matin devant l’église de Flacq, habillé comme pour un enterrement ?

— Comment tu sais ça, toi ? Tu veilles mon bonhomme maintenant?

— Arrête de causer n’importe, donc ! Quelqu’un qui passait en voiture a vu ton bonhomme devant l’église et me l’a dit.

— Tu es pire que les caméras de Smart city, toi ! Mon bonhomme n’allait pas à un enterrement, il avait une affaire en Cour.

— Ah bon. Qu’est-ce qu’il a fait comme ça pour aller en Cour ? Il est dans l’affaire Britam ?

— Ce sont les grands paltot qui sont dedans : lui, il a tapé contre une voiture qui était devant lui.

— Je ne savais pas ça, moi. Il a blessé quelqu’un?

— Mais non. Il a juste tapé avec la voiture devant lui. La police a dit qu’il avait « drive without due care and attention. »

— Quand il a fait son accident ?

— Il y a trois ans comme ça.

— Et c’est maintenant que ça passe devant la Cour ?

— C’était le troisième ou la quatrième fois. Avant, à chaque fois, on l’avait fait venir en Cour pour lui annoncer que le case était renvoyé à une date ultérieure.
— On convoque ton bonhomme pour lui dire que l’affaire est renvoyée ? On ne pouvait pas lui envoyer une lettre?

— Ca, je ne peux pas te dire. Une fois, pendant le deuxième confinement, un policier est venu taper à la porte de bon matin pour dire que mon bonhomme devait se présenter en Cour à neuf heures. Quand il est arrivé, on lui a dit que l’affaire avait été, encore une fois, renvoyée.

— Comme ça, une affaire en Cour prend du temps ?

— Et encore, il paraît que c’est allé assez vite. On me dit qu’il y a des affaires qui traînent en Cour pendant des années et des années.

— Pourquoi, hein?

— Parce qu’il y a trop d’affaires, pas assez de magistrats et que certains avocats sont spécialistes dans les renvois.

— C’est comme ça que ça se passe?

— Oui, toi. Dans certains cas, quand l’affaire arrive enfin en Cour, après des années, les gens impliqués ont fini d’oublier les détails de leur case, je te dis ! Il arrive même, on me dit, que des gens impliqués soient déjà morts.

— Ton bonhomme a eu de la chance alors si son case, comme tu dis, n’a pris que trois ans. Qui il avait pris comme avocat?

— Personne puisqu’il avait reconnu qu’il était en tort depuis le commencement.

— Comment ça s’est passé en Cour ?

— Il était convoqué pour 9h, mais sur le board il était écrit que le case allait passer à 11h. Alors, il s’est dit qu’il allait passer voir un cousin éloigné qui habite à Flacq pour passer le temps. Heureusement qu’il n’a pas été. Comme il allait quitter la cour de la Cour, un policier a crié son nom.

— Qu’est-ce qu’il avait fait comme ça : il avait oublié de mettre son masque?

— Parce qu’on allait prendre son case tout de suite. Mon bonhomme est entré immédiatement dans la salle.

— Il était seul?

— Non, toi. Il y avait des dizaines de personnes avec toutes sortes de cases : accidents, possession de gandia, conduite sans permis, bagarres, vols. Un policier a demandé aux personnes d’éteindre leur téléphone et de bien boutonner leurs chemises ou jackets.

— Pourquoi?

— En signe de respect pour la magistrate. Quand elle est arrivée, les policiers ont crié Court ! et tout le monde s’est levé avant de s’asseoir et la Cour a commencé à siéger. Mon bonhomme m’a dit que c’était comme dans une usine.

— Une usine? Pourquoi?

— Ils travaillent à la chaîne, toi. Tu as un clerc qui appelle un accusé, un policier répète son nom et s’il est là, un autre policier le fait entrer dans le box.

— Mais si l’accusé n’est pas là?

— Le policier qui est à la porte dit « absent, your honnor » et la magistrate écrit quelque chose dans le dossier que lui a donné le clerc.

— Et pour celui qui est présent en Cour, qu’est-ce qui se passe?

— Le clerc vient devant le box, lit à toute vitesse en créole l’acte d’accusation et lui demande : coupable, pas coupable ? Si l’accusé dit coupable, le clerc se tourne vers la magistrate qui écrit quelque chose dans son dossier, consulte son diary et donne une date. Alors, le clerc revient vers l’accusé et lui dit « Ou bizin revinn la Cour tel date l’année prochaine. »
— Et pour celui qui dit qu’il n’est pas coupable, qu’est-ce qui se passe?
— On fait la même chose : le magistrat écrit dans son dossier, consulte son diary, donne autre date au clerc qui revient vers l’accusé. Il lui dit de revenir, avec son avocat s’il en a un, à une autre date l’année prochaine.

— C’est tout?

— Oui, toi. Mon bonhomme me dit que les cases défilent l’un derrière l’autre et que chaque case dure à peine quelques minutes. C’est du cuit vidé!

— Et ton bonhomme, comment ça s’est passé dans son case?

— Il a eu droit au même traitement à toute vitesse. Comme il a plaidé coupable, il doit retourner en Cour en juillet de l’année prochaine.

— Mais il n’a pas fini de plaider coupable?

— Oui, il faut aller en Cour pour le jugement. Si ton ami, qui veille les affaires des gens, voit mon bonhomme bien habillé à Flacq en juillet de l’année prochaine, dis-lui qu’il ne va pas à un enterrement, mais en Cour!

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