Actualité commentée : Agaléga, entre démagogie et méfiance compréhensible

En réaménageant la piste d’atterrissage sur plus de 300 mètres (soit beaucoup plus longue que celui de l’aéroport militaire de l’île américaine de Guam) et en transformant le ridicule point de débarquement maritime actuel de St James en un véritable mini-port moderne, il n’y a aucun doute que le gouvernement est animé de louables intentions envers Agaléga. Quelque part, le Premier ministre, Pravind Kumar Jugnauth, a un peu raison quand il a affirmé à Rodrigues, la semaine dernière, que tout le bruit que font certains autour de ces projets en cours dans la petite île avec l’apport de l’Inde relève d’une bonne dose de « démagogie ».

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Mais, disons-le tout de suite, l’embêtant, malheureusement, pour le Premier ministre et son gouvernement, est que ce sont eux-mêmes qui, avec leur culture du secret, agissent de façon à permettre que la « démagogie » qu’ils entendent dénoncer fasse son lit. Or, pour que tout le monde, Agaléens, Mauriciens, Rodriguais, Chagossiens,  tous ceux attachés aux notions de souveraineté et d’intégrité territoriale nationales soient rassurés que l’Inde ne va pas accaparer une partie de notre pays-archipel pour en faire une base militaire, il suffirait que l’accord passé entre la Nouvelle Delhi et Port-Louis sur l’île soit rendu public une fois pour toutes. Tout un chacun y verra alors clair.

Absolument rien d’autre — insistons là-dessus —, y compris l’assurance que le leader du MMM, Paul Bérenger, membre de l’opposition, a dit avoir obtenu de Shri Ram Nath Kovind, le président de la République indienne, lors de sa visite chez nous en mars de l’année dernière que son pays n’a aucun « agenda caché sur Agaléga» ne saurait être une garantie solide. Particulièrement quand on sait combien le gouvernement nationaliste de Narendra Modi s’attelle à élargir sa sphère d’influence politique, économique, commerciale et militaire dans un océan qui, avant tout, selon ses stratèges, porte le nom océan Indien.

Après le viol de la souveraineté mauricienne par l’ancien maître colonial britannique et son complice, le très démocratique gouvernement américain, dans le cas de Diego et des Chagos — un acte illégal dont tous les vrais patriotes de ce pays, qu’importe leur bord politique, espèrent ardemment qu’il sera condamné par la Cour internationale de Justice demain — les Mauriciens, eux aussi, ont le droit, très compréhensible, d’être méfiants, d’entretenir le doute que, derrière les bonnes intentions indiennes envers les Agaléens, ne se cache, finalement, un enfer. Celui d’être une cible dans l’éventualité du déclenchement d’un conflit armé majeur Inde-Chine toujours possible dans notre partie du monde, jadis Zone de Paix.

Après le douloureux épisode Diego et les Chagos, chaque Mauricien conscient du danger est comme le chat échaudé qui maintenant refuse de toucher même à une bonne glace sous la canicule présente. Chez une importante majorité des Mauriciens existe l’appréhension qu’il ait pu y avoir un troc entre le gouvernement indien et le gouvernement mauricien. Un arrangement qui impliquerait que Narendra Modi, le grand frère de la Nouvelle Delhi, a donné un coup de main à haute valeur politique ajoutée à son petit frère mauricien Pravind pour réaliser à Agaléga ce que ses adversaires dans les précédents gouvernements mauriciens, eux, ont été incapables de faire en contrepartie d’une tête de pont militaire dans la région.

En tout cas, personne ne peut empêcher aux citoyens de notre pays d’entretenir quelque soupçon même à l’égard d’un pays ami comme l’Inde. D’autant plus quand on réalise que, malgré ses liens tout aussi étroits avec les Seychelles. Là-bas, l’opposition de Wavel Ramkelawan a réussi à faire capoter un projet sur l’île Alphonse qui ressemblait comme deux gouttes d’eau aux développements en cours sur Agaléga. Quoique les Seychelles soient tout aussi dépendant de l’assistance économique et technique de l’Inde que Maurice, ses politiciens tenaces de l’opposition ont su taper sur la table de leur Assemblée nationale pour qu’y soit déposé, en toute transparence, l’accord concernant l’île Alphonse. Et, à la fin de la journée, ils ont dit non à l’Inde, car les risques pour la sécurité de leur pays étaient immenses.

Cela dit, les développements infrastructurels enclenchés sur Agaléga doivent continuer. En dépit de la résistance souvent alimentée par certains qui profitent pour souffler sur les braises d’un séparatisme d’avec la République de Maurice qu’ils souhaitent, et cela avec plus de vigueur que les Agaléens eux-mêmes.

Ces développements infrastructurels sont effectivement trop longtemps promis, trop longtemps dus, trop lointemps mérités. En 1999, Navin Ramgoolam, alors à la tête du gouvernement, s’est rendu à Agaléga devenant ainsi le tout premier Premier ministre mauricien à faire l’honneur d’y poser les pieds près d’un demi-siècle après un gouverneur anglais (Sir Robert Scott). Ramgoolam s’était déplacé à bord d’un transall de l’armée française stationnée à La Réunion. Il avait beaucoup promis, comptant à l’époque sur La France pour l’aider. Mais, sauf quelques maisonnettes et un abri contre les tsunamis, rien de plus conséquent n’avait suivi. De son côté, au pouvoir de l’an 2000 à 2005, l’alliance MSM-MMM ne trouva pas mieux que d’essayer de concéder une large partie de l’île du Nord (la plus spacieuse des deux îles d’Agaléga) à un conglomérat pour exploitation touristique. Avec pour conséquence que, en 2005, avec le retour au pouvoir de l’Alliance sociale PTr-PMSD et le MR de Rama Valayden, le projet touristique fut carrément, et de manière revancharde, saboté.

Si les développements en cours se concrétisent — mais, précisons-le, sans aucune dangereuse consession militaire à l’Inde —, les quelque trois cents résidents d’Agaléga vont définitivement enfin sortir d’un isolement misérable, déprimant, stressant et vont pouvoir voyager beaucoup plus vers le Mainland Mauritius. Et nous aussi dans le sens contraire. Ce serait une avancée indéniable et personne de bon sens ne devrait, à notre avis, chercher à y faire obstacle.

Toutefois, le gouvernement doit scrupuleusement veiller à ce que la nouvelle piste d’atterrissage ne détruise pas sur son passage les maigres vestiges du patrimoine historique des Agaléens. Nous en avons particulièrement deux en tête : le village de Vingt-Cinq où les esclaves recevaient vingt-cinq coups de fouet lorsqu’ils se révoltaient contre leurs conditions de vie et le Bassin-Capucin, qui est un petit lac d’une grande beauté d’environ 2 arpents situé à 300 mètres de la mer. Le gouvernement doit donner des précisions sur le tracé de la piste d’atterrissage et il doit également conforter Agaléens sur leur droit de résidence et surtout leur droit au sol.

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