Feel-fear factor

D’abord la forme. Rien n’empêchait le ministre des Finances de prononcer son discours du budget sans masque, debout derrière un micro sécurisé. Ça aurait évité à bien des téléspectateurs, lassés de suivre cette lecture, par moments inintelligibles, de zapper et d’aller voir ailleurs.

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Renganaden Padayachy a préféré poursuivre avec sa posture assise, peut-être pour pouvoir mieux manier sa tablette et ainsi se donner le style du geek branché. Heureusement, masque oblige sans doute, qu’il nous a épargné les tirades creuses en longueur et les inutiles allusions politiciennes, entrecoupées de quelques gorgées d’eau.

Sur le fond, malgré toutes les assurances données et la mobilisation de tout l’arsenal propagandiste du régime, ce budget-là est bien plus inquiétant qu’il n’y paraît. Il y a cette impression que celui qui a été présenté le jeudi 4 juin, avec ses quelques mesures visant à atténuer les craintes d’une impatience sociale, est l’officiel et qu’il y aura un autre, officieux, celui de la Mauritius Investment Corporation avec ses Rs 80 milliards qui seront distribuées à des opérateurs en difficulté et cela, hors du contrôle de l’Assemblée nationale.

Une hérésie démocratique lorsqu’on sait que dans d’autres pays il y a pléthore de garde-fous pour prévenir et corriger les dérives de l’exécutif. En France, le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et le Sénat servent de recours à l’arbitraire d’un gouvernement autoritaire et abusant de ses pouvoirs. En Grande-Bretagne, Boris Johnson a dû s’expliquer devant un comité parlementaire sur le comportement de son conseiller Dominic Cummings qui a violé le couvre-feu. Ici, le gouvernement s’arroge tous les pouvoirs. Même celui de prendre notre argent pour le distribuer à sa guise.

Comme après chaque budget, à l’annonce de quelques mesures qui semblent « populaires », certains ont vite fait de crier que le gouvernement fait « la part belle au social ». Vraiment ? La baisse du prix de la bonbonne de gaz est une révolution ? Ah bon ? Quelqu’un se souvient que ce même gouvernement a commencé, dès janvier 2015, à ponctionner Rs 4 sur chaque litre d’essence pour alimenter un Build Maurtius Fund qui avait accumulé en moins de trois ans plus de Rs 4 milliards. Plus récemment, en avril 2020, le gouvernement a pris encore une fois Rs 4 sur le prix payé par tous à la pompe pour, cette fois, soutenir le Covid Solidarity Fund. Une décision prise au lieu de baisser les prix du carburant qui a dramatiquement chuté du fait de l’inactivité mondiale engendrée par le confinement quasi planétaire observée au plus fort de la pandémie. Alors le gaz, un grand cadeau ? Non. C’est ce qu’on appelle prendre un boeuf d’une main pour redonner un oeuf d’une autre. Pas de quoi claironner.

Les 12 000 logements ont apparemment beaucoup impressionné aussi. A commencer par les membres de la majorité qui ont bien « tap latab ». Ils devraient plutôt avoir honte de tant d’indécence et attendre plutôt de voir sortir de terre ces fameuses maisons avant de laisser éclater leurs pulsions jubilatoires. Ce gouvernement, le même qui est en place depuis décembre 2014, avait promis 10 000 logements sur cinq ans, soit 2 000 par an. Après cinq ans, seulement 2 000 ! soit 400 par an. Et ça ose exploser de joie !

La construction aussi semble emporter une adhésion plus qu’enthousiaste. Du moins de la part de ceux qui sont payés pour chanter les louanges du gouvernement ou qui ont un intérêt avéré ou caché à se montrer obséquieux jusqu’au ridicule. Il a été annoncé que Rs 4 milliards de plus iront au Metro Express, ce qui implique un surcoût, alors qu’il nous avait été fermement assuré que pas un sou de plus ne sera ajouté au coût initial. Et l’on ne viendra pas nous dire que ce sont les 70 jours du couvre-feu qui ont fait gonfler les coûts de ce projet.

Plus fondamentalement, alors qu’on nous explique que c’est pour booster l’emploi qu’une centaine de milliards sera injectée dans la construction, il y a déjà le fait que les 4 milliards annoncées pour le Metro Express iront d’abord aux travailleurs étrangers de Larsen & Toubro. On espère juste qu’ils ne continueront pas à être confinés dans des dortoirs qui deviennent des foyers d’épidémies en tous genres.

On a aussi vu quel a été le bilan humain du chantier de Côte d’Or au coût de Rs 5 milliards avec quatre travailleurs chinois décédés dans des accidents de travail. On espère que les emplois prévus dans la construction iront aux Mauriciens et que ce ne sera pas encore du tout-béton qui enlaidit le pays, qui lui fait perdre son âme insulaire et qui fait surtout fuir les touristes, aujourd’hui très sensibles à l’authentique, au naturel et à l’architecture locale.
Le plus inquiétant dans ce budget est la disparition du National Pension Fund et son remplacement par la Contribution sociale généralisée sur le modèle de ce qui existe en France où le ministre des Finances a fait ses études. Que Monsieur Padayachy veuille importer des modèles d’ailleurs, ce n’est finalement pas la question.

Celle qui nous interpelle, c’est que son gouvernement n’a pas de mandat, n’a aucune légitimité pour supprimer un système qui est en place depuis plus de quarante ans. Ce n’était pas dans son manifeste électoral et ce n’était pas dans le discours-programme du 24 janvier 2020 non plus.

S’agissant de la pension, les seuls engagements pris auprès de l’électorat est qu’elle sera portée à Rs 9 000 au 1er décembre 2019 et quelle atteindra Rs 13 500 en 2024. Imaginons ce qu’aurait été le résultat de l’élection du 7 novembre 2019 si Lalians Morisien avait dit aux électeurs qu’il allait abolir le NPF. S’il veut réformer le système, il doit largement consulter pour trouver un consensus. Ce n’est pas le cas et c’est inacceptable.

Avec toutes les interrogations que subsistent, autant dire que le sentiment au lendemain du premier budget de Renganaden Padayachy est celui d’un Feel fear factor assez répandu.

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