La capitale de la magouille

Non, on ne va pas gloser sur notre cher Port-Louis. On va plutôt voir comment la 8e circonscription, celle du leader du MSM et Premier ministre, est devenue, en six ans à peine, la capitale de la magouille. Les plus sévères pourraient même dire le chef-lieu de la pègre. Il y avait les protections manifestes, le patronage décomplexé, les emplois octroyés pour obtenir des soutiens, la présence permanente de certaines agences de l’État comme Mauritius Telecom, bref, tout un arsenal public mis au service d’un seul homme et de son parti.

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On aurait pu penser qu’après l’épisode Ashok Jugnauth dont l’élection au no 8 avait été invalidée pour une histoire de recrutements pré-électoraux et de promesses d’un cimetière, les mœurs politiques allaient s’améliorer dans cette circonscription. Oh que non! Le même système a été maintenu, développé et affiné.

Depuis son installation au poste de PM le 23 janvier 2017, après une 2e place obtenue aux élections de 2014, derrière Leela Devi Dookun-Luchoomun, on n’a plus compté les inaugurations d’abribus, de bazar, de sub-halls, de link road et de complexe polyvalent au no 8. Sans compter le fameux Côte d’Or à la pelouse envahie par les champignons et qui sert désormais à l’organisation de concerts. Question de faire croire qu’il sert quand même à quelque chose, cette chose à Rs 4,7 milliards.

Lorsque le scandale des achats Covid éclate, on va vite découvrir que le directeur de HyperPharm qui avait décroché des contrats pour près de Rs 150 millions est, de manière probablement fortuite, un heureux habitant du no 8 et qu’il avait auparavant, en tant que bon mandant de Pravind Jugnauth, été nommé sur le Medical Council, que présidait un certain Kailesh Jagutpal, l’actuel ministre de la Santé.

On nous racontera que ce n’est qu’un simple concours de circonstances. Comme l’est aussi la drôle de posture des policiers de St-Pierre qui n’enregistrent pas les dépositions relatives au décès de Sooparamanien Kistnen pour ne pas provoquer des “fuites”.

Tout le monde savait que les us et coutumes politiques instaurées au no 8 étaient exécrables depuis quelques années déjà, mais ils ont pris une tournure bien plus dramatique depuis la campagne électorale de 2019. Et celle-ci est résumée de la manière la plus éloquente qui soit dans ce qui est désormais connu comme les Kistnen Papers, nom de code donné par ceux qui ont choisi de les circuler. Eh oui, encore lui!

Et c’est tout ce faisceau de découvertes qui rend cette affaire du meurtre maquillé en suicide encore plus suspecte. Il est d’abord très bizarre que le MSM, que le Sun Trust, que les intervenants radiophoniques attirés du parti soleil qui revendiquent tout savoir de ce qui se déroule au no 8 n’aient pas déploré, à défaut de pleurer, la disparition de ce “soldat,” comme ils aiment appeler les membres et activistes du Sun Trust.

Aujourd’hui, on se demande bien pourquoi. Tant de faits mystérieux autour d’un disparu, à commencer par l’absence des élus aux funérailles de l’activiste qui était pourtant un élément clé de la circonscription, ont de quoi interpeller. Le peu de compassion démontré vis-à-vis de sa veuve pose aussi question.

Après avoir pris connaissance des dessous des mœurs politiques du MSM dans le fief de son chef, par le biais de l’enquête judiciaire initiée par le DPP, on découvre, cette fois, le journal des dépenses de campagne des candidats Pravind Jugnauth, Leela Devi Dookun-Luchoomun et Yogida Sawmynaden. Très parlant, là aussi.

Certains invoqueront Dieu plutôt que de répondre à des questions directes et précises. Ils pourraient peut-être dire qu’il ne s’agit que d’un autre “carnet la boutique” sauf que c’est l’agenda du maestro du MSM au no 8 qui, en tant que “comptable”, a soigneusement consigné dans un diary de AML de Monsieur Ken Arian, le neveu des amis intimes de Sooparamanien Kistnen au no 8 tous les détails des mouvements d’argent lors de la campagne 2019.

Parcourir les 180 pages de ce bilan comptable des dépenses électorales du MSM à Moka/Quartier Militaire aux dernières élections générales est éminemment instructif et éclairant. On peut ainsi lire qu’il y a eu des “contributions” d’un des candidats à hauteur de Rs 1,6 million, alors que ce ne sont que des dépenses se situant entre Rs 120,000 et Rs 123,000 qui ont été officiellement déclarées par les candidats de la circonscription.
On peut aussi constater qu’il y a eu jusqu’à 55 bases organisées avec leur “location, animation et ravitaillement”, un budget conséquent, alors même que le code de conduite de la Commission électorale les interdisait. Le rôle de Bassoo Seetaram, qui est de la garde très rapprochée de Pravind Jugnauth, est également confirmé.

L’heureux bénéficiaire du contrat de transport d’Air Mauritius et d’approvisionnement en poisson des prisons de Vinod Appadoo était aussi celui qui se chargeait de remplir les réservoirs d’essence des voitures mobilisées pour la campagne. Le temps d’être remboursé par le parti. Ou d’être nommé au Prime Minsiter’s Office comme les agents politiques que sont Sanjay Karria et Loveish Ramnochane.

La capitale de la magouille est aussi devenue celle des “suicides” inexpliqués. Les conditions de la disparition de la jeune fonctionnaire  du PMO habitant la circonscription No 8 suscitent ainsi les pires soupçons. Pourquoi elle, pourquoi une employée du ministère de Pravind Jugnauth? Autant de questions qui taraudent l’opinion publique.

Et la question fondamentale qu’il faudra poser sur les raisons de la mort de Soopramanien Kistnen est celle-ci: et si, en sus des conditions de l’octroi des marchés publics, l’activiste avait aussi décidé de présenter son diary des dépenses électorales à des enquêteurs de l’ICAC ou de la police, et même déposer dans le cadre des pétitions électorales? Avec les conséquences dramatiques que l’on peut deviner. C’est sûr, le feuilleton du no 8 va gagner en intensité en 2021.

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