L’urgence sociale

Pendant que le Premier ministre fait le tour du pays pour annoncer la bonne nouvelle – celle de son rêve de voir le métro, qui défigure le paysage urbain et qui est source de gêne considérable pour les riverains de ce vaste chantier et la circulation –, à Cote d’Or, à l’aéroport et sur tout le territoire, l’urgence sociale se rappelle cruellement à son bon souvenir.

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C’est dans sa propre circonscription qu’ont été enregistrés, cette semaine, deux graves cas de mœurs et de comportement violent. À Dagotière samedi dernier, deux enfants, parce que c’est comme ça qu’il faut les appeler, même s’ils sont âgés de 13 et 15 ans, ont sodomisé un de leurs camarades du même village, âgé de 8 ans. Jeudi, à Quartier Militaire, c’était au tour d’un policier en civil, impliqué dans un accident de la route, d’être agressé à coups de couteau par l’individu dont le véhicule avait été accroché par le sien.

C’est comme ça qu’on règle les petits problèmes de circulation et même lorsque l’un des protagonistes se trouve être un agent de l’ordre. Qui n’a pas entendu les réflexions de citoyens ordinaires, critiques, sarcastiques parfois pleines de rancœur lorsqu’ils voient qui sont ceux qui sont recrutés comme policiers: de frêles adolescents dont l’ambition semble s’arrêter à obtenir un job “dan gouvernement”. Avec ce que cela dit du ressentiment éprouvé, d’une part, par une partie de la population qui s’estime grugée en permanence et, de l’autre, de la qualité de ceux qui devront faire face aux malfrats et autres caïds.
Ce qu’on voudrait considérer comme n’existant qu’à la marge, comme la face cachée de notre société, est, en fait, de plus en plus le pays réel. Et ce n’est pas en multipliant les opérations “coupe ruban” dans sa circonscription que le Pm circonscrira le feu qui couve et qui a le potentiel d’exploser un jour ou l’autre.

Clamer, comme si cela était un cadeau personnel, que le gouvernement a dépensé Rs 388 millions au seul No 8 de 2015 à 2018, comme il l’a fait à Quartier Militaire le 5 avril dernier, alors qu’il procédait à son énième inauguration “home” d’un complexe qui pourvoit aménités sociales et sportives correspond, sans doute, à des attentes très locales, mais cela ne répond en rien à la lente mais irréversible dislocation de la société dont nous sommes à divers degrés témoins au quotidien.

Tout ne s’achète pas. Heureusement. Cela est d’ailleurs valable pour tous ceux qui ont dirigé ce pays et qui aspirent à revenir aux affaires. Procéder à des distributions tous azimuts en utilisant l’argent des contribuables peut, dans l’immédiateté, assurer des votes mais nos dirigeants peuvent et doivent aussi voir plus grand et se pencher de manière plus globale sur le type de pays dans lequel nous voulons vivre et celui que nous laisserons à nos enfants.

Croire qu’aligner des milliards par-ci, ériger des structures bétonnées et clinquantes par-là résoudra tous nos problèmes est une stratégie à courte vue. Est-ce que le métro express à Rs 17 milliards et le Safe City à Rs 19 milliards nous préserveront des pires calamités sociales? Non, ils plombent la dette publique d’une manière qui n’est pas soutenable et ils absorbent une grosse partie du budget qui aurait dû aller à la construction d’une société plus inclusive, plus participative, plus apaisée et surtout montrant plus d’empathie et de bienveillance.

Nous sommes devenus une société de frustrés, de colériques, de violents parce que certains d’entre nous pensent que c’est la seule façon de faire entendre notre voix. Il y a, dans la société, ce sentiment grandissant d’être discriminé par les accapareurs politiques des organismes de l’État, leurs familles et leurs agents. On se mesure pas assez ce que le népotisme, le favoritisme, le clanisme engendrent comme rejet et frustration.
Pravind Jugnauth n’est, certes, pas responsable de la déliquescence que vit ce pays depuis quelques années déjà, même si sa politique de bribes électoraux et ciblés permanents lui confère une part non-négligeable dans la situation que nous connaissons mais c’est lui qui est aux affaires et c’est à lui d’initier une politique pour non pas résoudre tous les problèmes sociaux de ce pays, ce ne serait pas raisonnable, mais à tout le moins de tout entreprendre pour les atténuer.

La première chose qu’il aurait dû faire, au lieu d’aller discourir à toutes les activités des organisations dites socioculturelles, c’est leur demander de se pencher sur les dérives sociales et de s’atteler à leurs préoccupations premières qui sont d’être à l’écoute de ceux qui ont des difficultés dans la vie et qui ne savent pas comment les gérer. Il est vrai que les dirigeants socioculturels sont plutôt connus comme des agents politiques, des opportunistes et des “rodères boute”, mais les renvoyer à leurs responsabilités sociales serait un bon début.

Il y a quelques années, ce sont des adolescents qui étaient difficiles à gérer. L’école ou la paroisse étaient parfois d’un petit recours et d’un grand secours. Toutes ces structures ont disparu. Les familles ont aujourd’hui énormément de peine à gérer leurs enfants, oui des enfants parce que le développement a fait qu’elles ont aujourd’hui moins de temps à consacrer à leur éducation, à ce qu’ils font à l’intérieur et l’extérieur de la maison. Internet a tout remplacé. Les tablettes ont fait le reste.

20Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un enfant de 15 ans qui, en compagnie d’un compère âgé de 13 ans, concoctent, un samedi après-midi, un macabre plan pour aller violer un autre enfant, pourtant considéré comme un ami? Quel est le sens de l’amitié à cet âge? Que regardent-ils, que voient-ils dans leur quotidien pour être déjà incapables de maîtriser leurs pulsions? Est-ce qu’ils croient que c’est un jeu? Qui peut croire que ce qui est mal et qui fait mal peut être une blague? Où allons-nous? Après les enfants mules et les enfants violeurs, what next?…

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