Préoccupations légitimes

Le rideau est tombé, jeudi, sur la Telfair Saga. C’est du moins ce que l’on peut conclure à ce stade. Parce que, même si beaucoup de choses ont émergé de l’enquête judiciaire initiée par le Directeur des Poursuites Publiques, on a toujours comme le sentiment que tout n’a pas été dit sur le malheureux sort qui a été réservé à l’agent du MSM au no 8, là où règnent le trio Pravind Jugnauth/Leela Devi Dookun-Luchoomun/ Yogida Sawmynaden.

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Quoi qu’il en soit, ce qui est important et qui est désormais établi, c’est que la thèse du suicide à laquelle la police avait été prompte à conclure a été complètement démolie durant les auditions de l’enquête judiciaire, le témoignage de l’ancien chef du département médico-légal de la police, le Dr Satish Boolell, ayant été particulièrement éclairant sur les circonstances du meurtre de Soopramanien Kistnen.

Le débat n’est pas de savoir si le défunt était, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, un de ces agents du MSM qui vivait des prébendes du parti, de sa politique de protection et de distribution de carottes contre un soutien, mais porte sur ce qui l’a expédié dans l’au-delà.

Noircir le caractère de l’activiste orange – que personne n’a, au demeurant, présenté comme un enfant de chœur –, comme s’emploie à le faire cette même police qui a, commodément et rapidement, fermé le dossier en invoquant le suicide, ce n’est pas le sujet. Soopramanien Kistnen est comme ces centaines d’agents qui gravitent autour du pouvoir et qui vivent des “facilités” et autres contrats qu’ils obtiennent pour leur soutien actif et visible.

Le cœur du dossier est qu’un activiste du principal parti du pouvoir est mort dans des conditions troubles et que, sans la décision d’un organisme vraiment indépendant du pouvoir, le dossier aurait été définitivement fermé. C’est cela qui est terriblement inquiétant aux yeux de la population qui voit avec effroi avec quelle facilité un agent qui aurait pu devenir dérangeant a été liquidé.

En attendant les conclusions de la magistrate présidant l’enquête judiciaire, deux autres affaires ont projeté la circonscription no 8 dans l’actualité glauque de la politique telle qu’elle s’est développée dans le pays depuis quelques années: les Kistnen Papers portés par Resistans ek Alternativ à la connaissance du bureau du Commissaire électoral qui, lui-même, l’a référé à la police ainsi que le procès en invalidation instruit par Suren Dayal contre Pravind Jugnauth et ses colistiers.

Après le rejet de la pétition d’Ezra Jhuboo, il est permis de douter de l’issue de ces initiatives. Le judiciaire mauricien est connu pour son conservatisme et ses arrêts convenus, contrairement à ce qui peut parfois se produire en Inde et en Afrique du Sud, par exemple, mais cela ne peut en aucun cas interdire une réflexion sur la manière dont les élections sont organisées, sur le caractère désuet de la commission électorale et sur le rôle que peut jouer l’argent dans la réussite d’un camp plutôt qu’un autre, d’un candidat plutôt que son adversaire.

Il n’y a pas plus dramatique en démocratie que le statu quo et le satisfecit permanent. On ne peut pas continuer à appliquer en 2021 ce qui se pratiquait en 1968: le mode d’enregistrement des électeurs, la façon de voter et de procéder au dépouillement. Où est la Smart Island?

Le paradoxe est que même si Maurice a gardé le même injuste système du First past the post que la Grande Bretagne qui permet à une équipe minoritaire d’imposer ses décisions sur une majorité, le fait est qu’au pays de Sa Majesté, les institutions, elles, sont restées solides. A commencer par la Chambre des Communes.

Speaker parfois issu de l’opposition, impartial même lorsqu’il vient des rangs de la majorité, calendrier connu, séances fixes et non selon les caprices du prince régnant qu’est The Leader of the House et intervention du Speaker ou de la Cour suprême lorsque le Parlement est transformé en gadget personnel du Premier ministre. Comme en septembre 2019 lorsque le judiciaire avait jugé illégale la décision de Boris Johnson de proroger le Parlement.

Mais plus cruciale pour une démocratie mature est l’existence des commissions parlementaires. On se plaît à suivre en direct les auditions de PM et ministres invités à venir s’expliquer sur les dossiers brûlants ou polémiques du moment.

Cette semaine a vu la mise sur le gril du ministre Dominic Raab par la commission des Affaires étrangères des Commons. Ce ministre avait été critiqué pour n’avoir pas interrompu ses vacances au plus fort de la débâcle afghane. Aux Etats-Unis et en France, c’est la même chose: la notion de redevabilité ayant vraiment du sens.

Imaginons ici une commission Défense et Sécurité intérieure, par exemple, composée de parlementaires de tous bords convoquant le PM Pravind Jugnauth pour des explications en direct sur les travaux à Agaléga, sur les critères de sélection d’un Security Adviser étranger, sur les raisons d’avoir un commissaire de police intérimaire et sur les caméras de Safe City!

Imaginons Renganaden Padayachy et Harvesh Seegoolam devant se présenter devant la commission Finances et Budget du Parlement pour venir s’expliquer sur l’utilisation des réserves de la Banque centrale et des fonds de la Mauritius Investment Company ou sur la Gambling Regulatory Authority.

Ce serait bien d’avoir aussi le ministre Jagutpal en direct face aux parlementaires sur les dépenses de la Santé, sur la gestion de la Covid, cette pandémie qui n’épargne personne et qui vient de troubler la quiétude de l’ancien PM Navin Ramgoolam, à qui, en passant, nous souhaitons un très prompt rétablissement.

Bref, des pratiques vraiment démocratiques qui consistent pour les décideurs de venir non seulement s’expliquer mais aussi justifier leurs décisions. Est-ce possible chez nous? On rêve, diriez-vous? Non, parce que ce sont des préoccupations absolument légitimes. Auxquelles il est désormais urgent de répondre.

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