Qu’avez-vous fait de notre solidarité?

Et soudain tout s’éclaire. Mais d’une lumière crue, malsaine, inquiétante.  

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Ces jours-ci, Maurice se targue d’avoir « vaincu » la Covid-19. Plus de cas depuis deux semaines. Et pourtant. Au Parlement cette semaine, c’est une véritable déclaration de guerre qu’a lancée le gouvernement avec la présentation du Covid-19 Bill. Une guerre pas au virus, mais à la population mauricienne.  D’abord dans la façon même de faire.  Qu’est-ce qui justifie la présentation en urgence d’un projet de loi qui vient modifier pas moins de 58 de nos lois existantes, mélangeant pêle-mêle et dans le désordre modalités de paiement des factures d’eau et d’électricité à des changements de fond concernant l’utilisation dérégulée des réserves de la Banque de Maurice par le gouvernement, des modifications majeures aux lois du travail et la restriction de certains droits fondamentaux du citoyen, comme la liberté de mouvement ?

C’était donc pour ça le prolongement du couvre-feu ?  Alors qu’il n’y a plus de cas actif de la Covid-19; alors que nous ne sommes pas  en confinement total depuis belle lurette, vu que plus de 173 000 Work Access  Permits avaient été délivrés par la police depuis plusieurs semaines ; alors que quelque 300 000 personnes ont pris le chemin du travail ce vendredi 15 mai.  Comment se justifiait le prolongement du couvre-feu jusqu’au 1er juin ? était- ce réellement dans le souci de notre santé ? Ou est-ce parce que sous ces  dispositions, tout rassemblement, toute manifestation est impossible, sous peine d’arrestation immédiate pour breach of curfew ?

Car réalisons bien dans quelle situation nous sommes.  Dans un pays où il n’y a plus de cas actif de la Covid-19, nous n’avons le droit de  sortir de chez nous que pour aller travailler et retour à la maison. Autrement,  nous n’avons le droit de sortir que deux fois par semaine, selon un ordre  alphabétique établi, pour les seuls besoins d’aller au supermarché, à la boulangerie ou chez le coiffeur. Si on est trouvé sur le chemin en dehors de  ces deux jours, nous sommes passibles d’amendes exponentielles et de peines  d’emprisonnement. La nouvelle loi criminalise la maladie et donne des pouvoirs accrus à la police.  Ainsi, si vous êtes « soupçonné » d’avoir la Covid-19, la police pourra, sans  mandat, entrer chez vous, perquisitionner (à la recherche de quoi ?) et vous  arrêter. Really ??? Oui.  Sous la nouvelle loi, le Pharmacy Act est amendé pour permettre que des sociétés désireuses de fabriquer des médicaments à Maurice puissent s’enregistrer rapidement et commencer à opérer sans être soumises aux contrôles habituels. Et c’est une pure coïncidence si, ces derniers jours, une vague de transferts a frappé des voix discordantes au sein de l’organisme qui régit ce secteur…

Quant aux travailleurs, ils seront rétro-propulsés au début du siècle dernier.  Sous la nouvelle loi en effet, un employeur pourra licencier un employé en lui octroyant un mois de salaire, peu importe son nombre d’années de service. Il peut aussi le mettre en congé forcé sans solde pour une période indéfinie, puis le reprendre sous de nouvelles conditions. Et plus de droit de grève ou de  négociations collectives pour des secteurs comme ceux de l’aviation et de la santé. Vraiment ? Véridique.

Mais il ne s’agit là que de mesures temporaires disent certains. Ces mesures  d’exception ne visent qu’à gérer la situation exceptionnelle créée par la Covid- 19, et seront réamendées par la suite.  Mais jeudi dernier, l’OMS a annoncé que la Covid-19 pourrait « ne jamais disparaître » et devenir une maladie avec laquelle l’humanité devra apprendre à vivre. C’est peu de dire que le pouvoir aura beau jeu d’affirmer que ces lois doivent rester en vigueur tant que la Covid-19 elle ne disparaît pas…  Et comment, par ailleurs, faire confiance à un pouvoir qui n’a cessé de montrer, depuis quelque temps, d’inquiétantes velléités du tout-contrôle ? Avec la  suspension immédiate du permis de diffuser de Top FM en mars dernier,  finalement renversée par la Cour. L’arrestation de Rachna Seenauth pour avoir  relayé une caricature du Premier ministre sur les réseaux sociaux, sa détention  en cellule pendant toute une nuit sans accès à ses avocats eux-mêmes verbalisés par la police le lendemain pour avoir violé le couvre-feu alors qu’ils venaient assister leur cliente pour sa déposition ? Et la déclaration il y a quelques jours de l’ex-chef juge Eddy Balancy à l’effet qu’il n’avait jamais vu une loi aussi « mal rédigée » que celle régissant notre couvre-feu ?

Le Covid-19 Bill accroit de façon très forte les pouvoirs discrétionnaires de  certains membres de l’exécutif comme le Premier ministre, le ministre des  Finances et le ministre de la Santé. Le pouvoir, on y prend goût. Et il peut donner  lieu à tous les abus. En Inde, à quelques jours du déconfinement, plusieurs états  ont décidé de porter la semaine de travail à 72 heures. En réaction, l’universitaire  Pratap Bhanu Mehta dénonce « ces ordonnances qui confirment les pires craintes  que l’on pouvait avoir : l’urgence de la pandémie est utilisée pour user de  pouvoirs arbitraires à un moment où il est impossible de manifester ». Rings a bell ?

Aujourd’hui, on nous dit que ce qui importe, ce ne sont pas les droits des  travailleurs, mais de sauver le travail. Vraiment ? N’avons-nous donc rien  appris de cette crise ? N’avons-nous pas compris que sans santé de l’humain, il  n’y a pas d’économie ? Que le travail ne peut exister que par et non au détriment des travailleurs ? C’est ça, « the new normal » ? C’est ça la solidarité ? Le  construire ensemble ? Encore plus de domination ? Plus d’exploitation ? Plus de  punition ? Ici comme ailleurs, bien des signes, dont le fameux vocabulaire  guerrier, disaient la prise de pouvoir autoritaire sur des populations  désorientées, ayant perdu tous leurs repères et rythmes existants, abreuvées de  nouvelles anxiogènes sur un virus hautement contagieux même si  marginalement fatal, des populations confinées avec tout ce que cela représente  d’affaiblissement physique et mental.  « Si on est confinés trop longtemps, s’il n’y a pas « d’autre », le cerveau s’éteint. On le voit sur les photographies en neuro-imagerie maintenant », souligne le  neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Nos cerveaux qui « s’éteignent », face à des  gouvernements qui affirment que c’est leur « fermeté » qui nous permet de nous  en sortir. Comme si le mieux ne venait pas aussi de nos efforts. Comme si Jacinda Arden n’a pas montré, en Nouvelle-Zélande, qu’une voie non-autoritaire, une  voie au contraire hyper collaborative, empathique et solidaire entre  gouvernement et population, était capable d’amener des résultats encore meilleurs. Aujourd’hui, comme hélas prévisible, le réveil est brutal.

« Il y a ce qui est légal, et il y a ce qui est légitime, les deux ne vont pas  nécessairement de pair », dit l’écrivain d’anticipation politique Alain Damasio.  Dans les pays dits autoritaires ou démocratiques, il peut y avoir une panoplie  d’attitudes ou de réactions face à l’arbitraire du pouvoir : désintérêt, adhésion,  hostilité, résignation, résistance passive ou active.

Lesquelles choisirons-nous ?

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