S’il n’a pas encore compris…

On ne sait pas si Pravind Jugnauth ira à la télévision lundi soir et s’il félicitera le peuple une nouvelle fois pour sa très grande mobilisation, hier, à Mahébourg et pour lui avoir indiqué la porte de sortie, mais s’il n’a pas encore compris qu’il y a une lame de fond qui réclame une autre manière de gouverner, qui veut le changement d’un système qui a touché le fond avec le MSM et ses méthodes et qui a dépassé sa date d’expiration, c’est qu’il est dans un dangereux déni qui risque de crisper davantage le climat social.

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Pourquoi Mahébourg a été aussi réussi que Port-Louis ? C’est simple. C’est parce que, avant le 29 août, il y avait eu le Speaker de tous les excès, la violation des principes démocratiques en général et du Parlement, en particulier, il y avait eu l’éviction brutale des squatters en plein confinement, le bonanza des achats de la Covid-19 pour les initiés et proches des ministres. Un budget de plus de Rs 1,5 milliard.

Il y avait déjà l’indécence permanente de la MBC et les accès de rage de son directeur général par intérim, qui semble rassembler toutes les « qualités » de médiocrité et d’incompétence que promeut le Sun Trust, alors que c’est chez un médecin qu’il devrait se retrouver ou à la police si on était encore un état de droit. Et ce nominé politique reste en poste pendant que l’ICAC est censée enquêter sur sa gestion.

À Singapour, le président du Changi Airport Group a démissionné parce qu’il a perdu son procès contre son employée de maison qu’il avait accusée de vol, alors qu’en fait celle-ci avait refusé de travailler aussi pour son fils et d’autres membres de sa famille. Mais ça, c’est à Singapour, l’autre supposé modèle !

Il y avait aussi la chute d’Air Mauritius et la fin de carrière précipitée de nombre d’employés, la politisation de la police qui débarque chez les gens à 6h du matin parce qu’une best loser caractérielle se retrouve vite « annoyed » et que ce même service public reste immobile face à des manifestants illégaux en faveur d’un ministre, les nominations scandaleuses guidées par le socioculturel, le naufrage du Wakashio et la marée noire. Après Port-Louis, après tout cela, il y a eu autant de facteurs de mécontentement. Aucune leçon tirée des cris de révolte de la rue.

Au lieu de prendre la mesure de cette colère populaire, il n’y a eu que de la provocation quotidienne de la part du gouvernement et de ses organismes politisés et vampirisés. Lorsqu’un ministre, Bobby Hurreeram, désigné porte-parole du MSM et de ses acolytes gouvernementaux, qui s’était signalé par sa grande finesse en interpellant un opposant en ces termes « si to piti torpa », traite la marée humaine rassemblée à Port-Louis d’événement « insignifiant », c’est qu’il invite les Mauriciens à se rassembler encore en plus grand nombre pour réclamer le départ du gouvernement et des piètres personnages comme lui.

Lorsqu’un autre éminent porte-parole du gouvernement qui s’appelle Joe Lesjongard a, entre autres commentaires sur la manif du 29 août, déclaré avoir remarqué que les Franco-Mauriciens étaient en nombre, on ne peut qu’être choqué voire dégoûté par de tels propos.

On ne sait pas si, grand opportuniste qu’il est, ce triste sire, spécialiste du changement de casaque, aurait débité une telle connerie s’il était encore un député du N°14 mais, pourquoi, diable, ce réflexe malsain de disséquer la composition de la foule de manifestants ? Tous ceux qui étaient à Port-Louis comme à Mahébourg hier étaient avant tout des Mauriciens qui n’avaient que le quadricolore à mettre en avant. Et les mêmes attentes pour une meilleure île Maurice.

Ce qui a mis du vent dans les voiles de la manifestation citoyenne d’hier, c’est encore beaucoup d’autres facteurs. Comme l’accident du remorqueur Sir Gaëtan, ses trois morts et son disparu, les victimes collatérales du Wakashio, l’introduction le 1er septembre de la contribution sociale généralisée en dépit des objections, la découverte d’un laisser-aller criminel après les radars défectueux, les hélicoptères en panne, les caméras de Mauritius Telecom incapables d’assurer le « traffic watch », le 29 août à Port-Louis et hier à Mahébourg.

Le « watch » de Sherry Singh ne semble fonctionner que lors des célébrations religieuses. Les citoyens, eux, peuvent toujours attendre. On aurait rigolé un bon coup si l’on ne savait pas que ce sont des milliards de l’argent des contribuables et des abonnés qui ont été investis dans ce qui était supposé être des équipements de pointe.

L’homélie du cardinal Piat aura aussi été pour quelque chose dans le questionnement des Mauriciens. Le chef de l’Église catholique, généralement plus réservé que le vicaire général Jean-Maurice Labour, a eu des propos forts pour décrire la situation dans le pays. Certains diront qu’après le 29 août il n’avait plus le choix que de se faire le porte-parole des Mauriciens qui souffrent. Mais il l’a fait quand même et devant le Premier ministre et les ministres toujours prompts à se faire voir dans les célébrations religieuses.

Même s’il n’y a pas de nouvelles manifestations citoyennes en vue, encore qu’il semble que ce soit le numéro 14 qui réclame la sienne, le message a été jusqu’ici extrêmement puissant : les Mauriciens en ont vraiment assez de la république des privilèges, de la corruption, du népotisme, du favoritisme, de la confiscation des organismes publics au profit d’une clique pourrie, de la culture de la médiocrité, d’un Premier ministre qui reste étonnamment mutique malgré de très graves allégations sur une drôle de transaction foncière réalisée en territoire étranger. Tirer les conséquences des bouleversements récents serait un début de lucidité et même un signe de sagesse. Mais c’est évidemment trop demander !

PS : Dans notre rappel des grandes dates qui ont jalonné l’histoire contemporaine, la semaine dernière, il y avait une grosse omission : celle de mai 1975, le soulèvement étudiant qui déboucha sur l’éducation gratuite, introduite à la veille des élections générales de 1976. Ce fut, en effet, un événement déterminant.

 

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