Tu votes ou tu votes pas ?

Qui est un électeur / une électrice ?
Cette question, curieusement, aura été une des interrogations phares des élections législatives de vendredi dernier à Maurice. Car toute la journée du scrutin aura retenti de la surprise / colère, de ceux qui se rendaient soudain compte que malgré leur désir d’aller voter, ils ne pouvaient le faire, car non-inscrits sur les listes électorales.
La Commission électorale (CE) a, elle, tenté de minimiser les faits en déclarant qu’il n’y avait « que » 6 813 électeurs dans ce cas, ce qui, sur un total de 941 719 électeurs enregistrés, ne constitue « que » un taux de 0,72%.
Des questions, pourtant, demeurent.
1) Sur quoi la Commission électorale s’est-elle basée pour avancer le chiffre de 6 813 ?
S’agit-il du décompte des personnes qui sont allées dans les centres de vote et qui ont rapporté sur place le fait de ne pas avoir pu voter ? Mais quid de ceux/celles qui ne seraient pas allés sur place ?
2) A ce titre, la Commission Electorale aurait-elle induit en erreur un certain nombre d’électeurs/électrices ?
Certaines personnes rapportent en effet que si elles n’apparaissaient pas sur le site de la Commission électorale, elles avaient quand même eu l’heureuse surprise, en allant au centre de vote, de constater que leur nom y figurait. Combien donc de personnes ne se sont pas rendues au centre de vote parce qu’elles ne figuraient pas sur le site de la CE? N’est-il pas grave que le site internet d’une telle institution induise des électeurs en erreur ?
3) Est-ce une chose qui est déjà arrivée ?
Dans certaines circonscriptions, les réactions de certains Returning officers rodés à l’exercice depuis plusieurs scrutins, indiquaient clairement qu’ils n’avaient « jamais vu ça ». Chose également confirmée par les candidats et agents comptant de nombreuses élections au compteur.
4) Pourquoi donc cela est-il arrivé cette fois ?
Selon la CE, des officiers de recensement sont passés à travers l’île du 11 au 24 janvier. Les électeurs non-inscrits seraient donc ceux qui n’auraient pas été présents à leur domicile au moment des passages des officiers. En août, le public aurait été invité, par voie de presse, à vérifier qu’il figurait sur les listes. Ceux qui ne l’ont pas fait auraient donc failli à leurs responsabilités, et ne devraient s’en prendre qu’à eux-mêmes. Pourtant, comment expliquer les cas rapportés où au sein d’un même foyer, certains membres d’une famille figuraient sur la liste et d’autres non alors qu’ils étaient tous présents au moment du recensement ? Comment expliquer que des personnes ne vivant plus au pays depuis des années figuraient elles sur les listes ? Beaucoup des non-inscrits affirment qu’ils habitent et votent dans la même circonscription depuis de nombreuses années, qu’ils n’ont pas vu d’officier, et qu’ils n’auraient jamais pensé à aller vérifier qu’ils étaient bien sur la liste. La CE a-t-elle toujours mis en pratique la politique de rayer ceux qui n’étaient pas présents au moment du recensement ou cela a-t-il été pratiqué de façon plus drastique cette fois ?
5) Cela porte-t-il à conséquence ?
Si l’on se limite au chiffre de 6 813 avancé par la CE, une moyenne de 340 électeurs n’a pu voter dans chacune des 20 circonscriptions. Et cela n’est pas négligeable si l’on note l’écart entre le 3ème candidat, élu, et le 4ème candidat, non élu, dans certaines circonscriptions.
N°1 : Différence de 47 voix
N°3 : Différence de 109 voix
N°14 : Différence de 185 voix
N°15 : Différence de 49 voix
N°16 : Différence de 25 voix
N°17 : Différence de 162 voix
N°19 : Différence de 92 voix entre le leader du ML, Ivan Collendavelloo, et la candidate MMM Jenny Adebiro
Insignifiant ?….
6) La Commission électorale a-t-elle le droit de rayer des électeurs ?
C’est aussi la question qui se poserait, au vu de la Constitution et de la Representation of the People ‘s Act. Car s’il est stipulé que le registre électoral doit être réactualisé chaque année, il n’y serait pas dit que la Commission a le droit de rayer des électeurs hors cas de décès.
7) Un tel système peut-il perdurer ?
Il a toujours été de mise de saluer le professionnalisme et l’élégance avec laquelle Irfan Rahman et son équipe ont longtemps présidé à cet exercice. Mais ces élections jettent dans une lumière crue l’archaïsme de notre système électoral. Comment peut-on encore, en 2019, dépendre d’un recensement des électeurs fait maison par maison, entre 9h et 16h ? Aujourd’hui, les Mauriciens, femmes comme hommes, travaillent des heures extensives en dehors de leur foyer, les aînés ne se contentent pas de rester à la maison, et il y a davantage de personnes vivant dans des blocs d’appartements ou lotissements où il faut des codes pour pénétrer. En 2019, peut-on encore dépendre de la « bonne volonté » des canvasseurs de la Commission électorale ? Peut-on fermer une liste électorale au mois d’août, sans aucun recours pour ceux qui ne sont pas inscrits lorsque la date des élections est déclarée, des mois plus tard ?
Nous nous retrouvons à une étape de nécessaire modernisation de la gestion du registre électoral, et de meilleure conscientisation des électeurs. Certes, ceux qui ignoraient qu’ils devaient vérifier qu’ils étaient inscrits ont « tort » eu égard aux règlements existants. Il y a aussi là une part de responsabilité individuelle qu’il faut réaffirmer. Il y a aussi la responsabilité des partis politiques, au niveau de leurs bases dans chaque circonscription. Mais au-delà, le rôle d’une Commission électorale, dans une République démocratique, devrait être de faire que tous les électeurs puissent exercer leur droit de vote, et ce dans les meilleures conditions. Le rôle d’une Commission électorale ne peut s’apparenter à celui de punir des électeurs désirant voter.
Car un processus électoral, dans un pays comme le nôtre, est trop sensible pour s’accommoder du doute…

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