12 mesures pour une République de Maurice respectueuse des droits humains

LINDLEY COURONNE
Directeur Général
DIS-MOI

« La liberté n’est jamais donnée, elle se gagne. 

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La justice n’est jamais donnée, on l’exige… »

Dis-Moi est une organisation, qui milite pour les droits humains dans les pays du Sud-ouest de l’océan Indien (Madagascar, Maurice, Rodrigues, Agalega, Comores et les Seychelles) à travers le plaidoyer et l’éducation des citoyens aux droits humains. Dis-Moi est une association indépendante de tout parti politique.

Durant ces dernières décennies, la République de Maurice s’est graduellement transformée. Contre vents et marées, elle continue son difficile mais passionnant apprentissage de la démocratie, et parfois au milieu de soubresauts et autres bouleversements politiques. Beaucoup ont été fait par les différents gouvernements post-indépendants (Nous sommes quand même à l’avant-garde du continent africain en matière de développement) mais beaucoup reste à faire…

Parmi toutes les formes d’engagement, l’engagement politique doit rester le plus noble. Car dans une République démocratique, c’est la politique qui décide de tout : du permis et de l’interdit, des ressources à allouer, de la protection des catégories vulnérables de la population, de la création d’institutions destinées à améliorer la vie de la collectivité. La participation au pouvoir n’est pas par elle-même la condition de la liberté en démocratie. Ce qui importe, c’est le contrôle républicain que les citoyens peuvent exercer sur le gouvernement, permettant ainsi de vérifier que les décisions du pouvoir vont bien dans le sens du respect de leurs droits.

Pour être en accord avec les valeurs de la République et nos engagements internationaux, nos dirigeants politiques ne doivent pas seulement tenir des discours sur la démocratie mais surtout montrer par leurs actes qu’ils font de ces droits une réalité quotidienne. Le monde moderne, avec les nouvelles technologies devient un village global et les jeunes citoyens mauriciens s’attendent à ce qu’on tienne un discours en ligne avec le progrès. Il est grand temps pour les politiques de proposer une République qui serait plus en conformité avec ces changements sociétaux.

Les 12 mesures pour consolider l’État de droit :

1. Amender la Constitution pour intégrer les questions de droits humains vitales pour notre démocratie telles que les droits environnementaux, les droits économiques sociaux et culturels, les droits des personnes âgées, les droits des LGBTI…

Lorsque le texte constitutionnel fut rédigé dans les années pré-indépendance, le pouvoir colonial en place n’accordait aucune importance à la protection de l’environnement, encore moins à l’extrême pauvreté que le système avait engendrée : 60 ans après, les écologistes et scientifiques du monde entier répètent inlassablement que négliger l’écologie serait fatal pour la planète Terre. Dans un autre ordre d’idées, les mentalités ont heureusement évolué par rapport à l’homophobie caractérisée des années 60 et nos gouvernants devraient prendre en compte cette nouvelle donne, abolir la pénalisation de la Sodomie et ainsi faire comprendre que l’orientation sexuelle d’une personne n’est pas un crime. D’autre part, même si notre État providence accorde une grande importance aux personnes âgées, il faudrait aussi inscrire ces droits dans la Constitution. Il est grand temps que des Constitutionalistes revoient notre Constitution à la lumière des développements des dernières décennies.

DIS-MOI demande à l’État mauricien :

· de constituer un Comité national (politiciens, société civile) pour revoir la Constitution et y apporter des amendements significatifs et pertinents par rapport aux droits des citoyens de la République.

· de ratifier le 2e protocole facultatif se rapportant au Pacte International relatif aux droits économiques sociaux et culturels.

· d’inclure dans la Constitution, les droits environnementaux, les droits des personnes âgées, les droits économiques, sociaux et culturels et l’abolition de la peine de mort.

2. Protéger tous les droits des enfants

L’île Maurice a ratifié la Convention des droits de l’enfant et en tant qu’État partie doit veiller à ce que les enfants de la République de Maurice bénéficient de mesures de protection et d’une assistance spéciale et aient accès à des services essentiels pour le développement de leur personnalité. Beaucoup a été fait déjà par les gouvernements successifs, notamment la création d’un bureau des droits de l’enfant (Ombudsperson for the Rights of the Child). L’intention de la ministre de la Femme d’abolir le mariage à 16 ans est aussi un pas dans la bonne direction.

DIS-MOI demande à l’État mauricien :

· d’élargir le champ d’action de l’Adoption Council car il existe de nombreux enfants abandonnés et de nombreuses familles désirant adopter un enfant. La structure présente est clairement dépassée.

·  de créer une structure adaptée aux besoins d’enfants souffrant de troubles psychiatriques car rien de structuré n’existe à présent pour les encadrer.

· de former les enfants aux droits et aux responsabilités de manière pédagogique afin qu’ils soient à même de remplir leur rôle de citoyen.

· de promouvoir une éducation de qualité pour les enfants handicapés et d’offrir des soins de santé de base et un accès adéquat aux lieux publics.

3. En finir avec l’instrumentalisation (perception) de la police

La sécurité est l’un des droits fondamentaux de l’être humain. L’État doit garantir la sécurité de tous et pour cela il utilise une force publique, chargée de veiller au respect des lois et au maintien de l’ordre. En théorie, les policiers doivent être les premiers défenseurs des droits humains et s’assurer que la justice existe à tous les niveaux. Et surtout s’assurer que ceux qui veillent au respect de la loi ne la violent pas cyniquement.

Les violations des droits humains commises par des agents de l’État sont inacceptables dans un État de droit. Elles portent atteinte à la légitimité et à la crédibilité des institutions de la République. Il y a eu de la part des gouvernants de ces dernières années une volonté de reformer la police nationale, mais ces réformes devraient être plus ‘holistic’ entreprenantes et non pas effectuées “piece meal”. Plusieurs gouvernements ont proposé la création d’une police des polices pour enquêter sur les abus des agents de l’État. Mais cette réforme fondamentale est toujours remise aux calendes grecques.

Les citoyens, depuis quelque temps, ont perdu confiance en la police et ont la perception qu’elle est instrumentalisée à des fins politiques quand elle ne pratique pas une politique de deux poids deux mesures de façon ouverte. Une République digne de ce nom ne peut bafouer l’État de droit et les pouvoirs publics doivent s’assurer que le Commissaire de police fasse son travail en toute impartialité.

Dis-Moi demande à l’État mauricien :

· de créer une police des polices pour enquêter sur les abus commis par les agents de l’État contre les citoyens.

· d’élargir le champ d’action de la Police Complaints Division de la National Human Rights Commission (NHRC) pour que cessent le fléau de la brutalité policière et autres tortures qui continuent de plus belle dans la République de Maurice.

· de ratifier le 2e Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et ainsi abolir la peine de mort.

· de consolider le programme de réinsertion des détenus.

4. Consolider les mesures prises en faveur des personnes âgées

Le concept des droits des personnes âgées commence à faire son chemin dans le monde et à Maurice. Il devient évident, avec le vieillissement des populations, que les personnes âgées devraient être formellement considérées comme des catégories vulnérables. L’ONU et ses divers partenaires travaillent actuellement dans ce sens.

Dis-Moi demande à l’État mauricien :

· la prise en charge de la maltraitance des personnes âgées par les autorités à travers un Senior Citizens Council ou une unité spécialisée/ou alors un Comité national de vigilance de la maltraitance au ministère de la Sécurité sociale.

· un personnel médical formé pour donner soin, attention et pouvoir intervenir sur le champ.

· de mettre en œuvre une politique de prévention de la maltraitance envers les personnes âgées-handicapées, ceci passe obligatoirement par l’éducation des jeunes.

· enfin, la concertation de notre gouvernement avec les autres pays de la région et du continent pour faire émerger une Convention des Droits des Personnes Âgées.

5. Réactiver le Media Trust et cesser les abus contre la presse

La liberté de la presse est l’un des principes fondamentaux de tout système démocratique qui repose sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression. Les attaques des politiciens, les poursuites légales et condamnations des journalistes ou encore le refus d’amender ces lois archaïques, qui empêchent les journalistes de jouir de leur liberté d’expression, est inacceptable. Le monopole de la chaîne de télévision nationale et publique est indigne d’une République qui se veut démocratique. Le refus de libérer les télévisions privées, malgré plusieurs annonces publiques, est scandaleux pour une société qui se veut moderne. Le rapport Robertson a mis en évidence les nombreuses failles de l’État en matière de liberté de la presse et a fait une série de recommandations pour pallier les manquements y relatifs. Cependant, il n’y a eu jusqu’ici aucune action suivie.

Dis-Moi demande à l’État mauricien :

· d’introduire une Freedom of Information Act et réactiver le Media Trust

· de dépénaliser les diffamations criminelles contre les journalistes

· d’abolir et amender certaines lois archaïques qui nuisent à la liberté d’expression des journalistes

· d’instaurer des mesures pour que les journalistes puissent protéger leurs sources

· de permettre l’émergence des télévisions privées.

6. Introduire dans le cursus scolaire une éducation citoyenne et aux Droits Humains

On ne naît pas démocrate, on le devient. Maurice est une République depuis 1992 mais ce n’est que tout récemment que l’idéal républicain a commencé à être vulgarisé. Il n’est donc pas étonnant que la majorité des citoyens mauriciens vivent au sein d’une République sans en connaître les valeurs qui la sous-tendent.

L’éducation aux droits humains, « ce vaccin contre l’intolérance, l’injustice et l’indifférence » (Mary Robinson), a cette capacité d’ouvrir les yeux de l’apprenant aux droits et aux responsabilités qu’il a en tant que citoyen. Face aux défis nationaux et transnationaux qui s’imposent en ce début de troisième millénaire, il paraît tout à fait évident qu’une éducation à la citoyenneté et aux droits humains doit dépasser une ‘instruction civique’ pour mettre en lumière et promouvoir des valeurs essentielles d’un projet de société démocratique qu’il nous faudra construire si l’on veut que le terme de ‘modernité’ ait un sens.

Dis-Moi demande à l’État mauricien :

· d’introduire dans le cursus scolaire du primaire et du secondaire l’éducation aux droits humains en ligne avec le Plan d’Action de l’Assemblée Générale de l’ONU, adopté par Maurice.

· de promouvoir les droits humains dans les manuels scolaires du primaire et du secondaire.

· que l’Institut de pédagogie (MIE) forme tous les nouveaux professeurs à l’éducation citoyenne et aux droits humains.

7. Mettre en place des politiques volontaristes en faveur des personnes handicapées

Les gouvernements, qui se sont succédé depuis l’indépendance, ont jeté les bases pour un travail foncier en faveur des personnes handicapées. Mais beaucoup reste à faire au niveau de l’accès aux lieux publics et surtout au niveau de l’emploi des personnes handicapées.

Au niveau national, le prochain gouvernement devra mettre en place une politique

cohérente sur l’accès aux lieux publics, l’emploi, les soins adéquats et les différentes

pensions d’invalidité pour tenir réellement en compte l’existence des 60 000 handicapés de notre République.

Dis-Moi demande à l’État mauricien :

· que le Training and Development of disabled persons Board fasse un travail en profondeur pour améliorer la condition de vie des personnes handicapées.

· que la pension d’invalidité soit universelle et pourvue dès la naissance d’un handicapé et non à 15 ans comme c’est le cas maintenant.

· l’accès à un transport gratuit et adéquat.

· un encadrement et un accompagnement adéquat pour tous les handicapés afin de s’assurer qu’ils soient dans les meilleures conditions tout au long de leur vie.

· de ratifier le protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux Droits des personnes handicapées.

· que la pension d’invalidité de base soit maintenue automatiquement après 60 ans.

8. Présenter un plan national de lutte contre la pauvreté et la précarité

Même s’il y a différentes définitions du terme ‘extrême pauvreté’, il est généralement reconnu qu’environ 10 000 familles vivent dans un dénuement matériel extrême au sein même de la République de Maurice. Un gouvernement élu pour diriger le pays devrait logiquement venir avec un programme national pour éradiquer l’extrême pauvreté. Pas avec des pamphlets et du ‘lip service’ comme on dit, mais avec une volonté politique ferme et inébranlable qui se donne les moyens.

La pauvreté est bien souvent considérée comme une fatalité alors qu’elle est dans bien des cas la conséquence d’une accumulation de violations des droits fondamentaux. Bien qu’indispensables, les démarches caritatives et d’assistance ne doivent pas être considérées comme des solutions premières. L’hébergement d’urgence n’est pas le droit au logement.

Dis-Moi demande à l’État mauricien :

· d’organiser dès le début du mandat des États Généraux de l’extrême pauvreté et présenter un programme national de lutte contre l’exclusion avec des indicateurs fiables, une évaluation régulière et des outils concrets.

· de veiller à la représentation et à la participation des plus démunis à l’élaboration des programmes visant à mettre en œuvre les droits économiques, sociaux et culturels.

·  de ratifier le 2e  protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

· d’inclure dans la Constitution la protection des droits économiques, sociaux et culturels

· de s’attaquer au problème de l’amiante comme problème national.

9. Abolir le système ‘Best Loser’ à travers une réforme électorale

Le Communautarisme à la sauce mauricienne (sous l’appellation du Communalisme) n’est rien d’autre que de la discrimination fondée sur la race, la religion, la caste ou l’ethnie. Il est pratiqué par la quasi-totalité des grands partis politiques à Maurice qui, lors des campagnes électorales surtout, ne se cachent même plus pour s’appuyer sur des mouvements sectaires. Le Communalisme est institutionnalisé par le système ‘best loser’.

Le communalisme est ouvertement pratiqué par des politiciens (plus souvent dans leurs actes mais parfois aussi dans leurs discours) qui divisent la République en communautés distinctes, permettent parfois à des organisations communalo- religieuses de prendre la loi entre leurs mains et prétendent représenter ou défendre les intérêts d’une communauté. De telles pratiques continuent d’affaiblir l’unité nationale et d’ériger des cloisons au sein même de notre République.

Dis-Moi demande à l’État mauricien :

· de s’assurer que le choix des ministres soit basé sur la méritocratie et non pour satisfaire des groupes socio-culturels.

· d’abolir le système Best Loser qui institutionnalise la discrimination raciale et religieuse dans notre système électoral.

· de renforcer le cadre légal pour punir les actes de discrimination et les déclarations communales.

· d’éliminer les pratiques communales dans tous les secteurs et autres organisations gouvernementales et semi-gouvernementales.

10. Développer un programme écologique cohérent

Alors que les bonnes intentions fusent, c’est un triste constat que de réaliser que la transition vers une économie plus soutenable reste difficile. Le concept Maurice Ile Durable (MID), une excellente idée, n’a pas vraiment « décollé » par manque de volonté politique.

Dis-Moi demande à l’État mauricien :

· de mettre sur pied un programme national d’éducation à l’écologie.

· de supprimer progressivement les dépenses de l’État allant à l’encontre de la logique écologique.

· de s’assurer que la production d’énergie soit faite à partir de sources renouvelables.

· de mettre en place un programme de gestion des déchets et des ressources naturelles.

· de favoriser une étroite collaboration des pays de la région en matière de partage des connaissances

afin de renforcer la diversité biologique et la capacité à absorber les changements climatiques.

11. Œuvrer résolument pour les droits de la femme

Il y a un immense fossé actuellement entre la doxa des politiciens et leurs actions en faveur des droits de la femme. Le prochain gouvernement devra s’atteler prioritairement à rétablir l’équilibre hommes/femmes dans tous les domaines économiques, sociaux et surtout politiques. Le prochain gouvernement devrait aussi, faire du fléau de la violence contre les femmes son cheval de bataille. Les mesures prises pour lutter contre les violences faites aux femmes sont, à ce jour, très insuffisantes et il est inacceptable que dans une société comme Maurice, qu’il n’y ait pratiquement pas de shelters pour les femmes victimes de violence.

Même commises dans la sphère privée, les violences contre les femmes sont une affaire d’État. Elles sont le reflet d’une discrimination de genre, d’un rapport social homme/femme inégalitaire. Il incombe donc aux États de prendre les mesures nécessaires pour améliorer les mécanismes de prévention et s’assurer que les violations contre les femmes soient punies.

Dis-Moi demande à l’État mauricien :

· d’accorder les paroles aux actes et d’œuvrer pour la balance hommes-femmes dans tous les domaines.

· de s’assurer que la police protège efficacement les femmes dont les partenaires violent impunément les ‘Protection Orders’.

· de mettre en œuvre un traitement rapide et efficace des allégations de violences et travailler à une meilleure harmonisation entre les procédures pénales et civiles.

· d’inclure l’éducation aux droits humains dans le système éducatif et renforcer la culture du respect des droits de la femme (et des humains en général) des jeunes générations.

12. Reconnaître pleinement les droits des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels,  transgenres)

Les droits des LGBT sont des droits humains. À Maurice, la communauté LGBT est toujours victime de discrimination même si le pays a fait des avancées dans ce domaine. Cependant, malgré les dispositions légales (l’Employment Rights Act, l’Employment Relations Act et l’Equal Opportunities Act), qui rendent illégales la discrimination envers les homosexuels, l’homophobie continue à perdurer à tous les niveaux.

Maurice, étant signataire de la résolution du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur les droits humains, l’orientation sexuelle et l’identité du genre depuis 2011, DIS-MOI demande que le gouvernement mauricien s’engage à prôner les mêmes droits pour tous, pour ainsi éviter qu’une partie de la population ne soit marginalisée.

Dis-Moi demande à l’État mauricien :

· d’éliminer toutes formes de discrimination commises à l’égard de la communauté LGBT dans nos lois

· de ne pas utiliser de langage homophobe ni avoir recours à des actions discriminatoires

· d’amender le Criminal Code pour ainsi dépénaliser la sodomie afin que la communauté LGBT puisse jouir de ses droits sexuels

· de reconnaître les droits civiques des LGBT et reconnaître l’identité des transgenres.

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