COVID-19 : d’une pandémie globale à une syndémie locale

DR KHALIL ELAHEE

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Il y a un an, nous écrivions ceci : « les motivations profondes du confinement par rapport à la COVID-19 ne manquent pas… sauver sa vie, sa famille, ses parents, ses grands-parents et ses proches ; éviter la maladie, la quarantaine, l’hospitalisation dans des conditions pénibles, la stigmatisation ; protéger sa situation, ses acquis, son emploi, son avenir ; se reposer, passer du temps avec ses enfants, se distraire, se faire plaisir ; travailler autrement, rattraper ses retards, réviser, prendre une avance, faire ce qu’on n’a jamais eu le temps de faire ; découvrir la beauté de la vie, la sérénité, la tranquillité et la paix intérieure ; ne plus souffrir du stress quotidien, de l’embouteillage, de la pollution et des routines abominables ». Dieu merci, le premier confinement nous a permis d’être COVID-safe, jusqu’à tout récemment.

Le reconfinement est aujourd’hui nécessaire, mais il doit être temporaire. Ceux qui n’appliquent pas l’obligation du (re)confinement peuvent être comparés à des déserteurs comme dans une narration prophétique : « Celui qui fuit l’épidémie est tout comme un déserteur. Et quiconque patiente aura la récompense d’un martyr ». Rester ainsi à la maison, avec espoir en Dieu, est un acte méritoire qui plaît à Dieu, en obéissance à Son ordre. Quiconque sauve une personne, c’est comme s’il a sauvé l’humanité entière. Et quiconque est responsable de la mort d’une personne, c’est comme s’il a tué l’humanité entière.

Syndémie

Toutefois, cela ne signifie pas que nous pouvons faire de la pratique de (re)confiner notre ‘new normal’. Nous avons appris bien des choses sur la COVID-19, même si beaucoup restent à découvrir. Une approche qui a été largement ignorée consiste à considérer la COVID-19 comme une syndémie, non uniquement comme une pandémie globale. Certes, la propagation est mondiale (du grec pan-, « tout »), mais cela est vrai pour d’autres problèmes de santé publique comme le VIH- sida ou la toxicomanie. Toutefois, ce que nous avons compris, surtout, c’est que la COVID-19 profite des failles, des dysfonctionnements et des vulnérabilités tant sur le plan de la santé humaine que politique, socio-économique, voire environnemental. Y compris au plan local.

La COVID-19 n’existe pas vraiment sans ces problèmes de fond qui nous rongent allant des maladies aggravantes de comorbidité comme le diabète, l’asthme et l’hypertension à la réalité de la vieillesse en passant par les déficits structurels au niveau des institutions et des inégalités flagrantes de notre monde. Plus qu’une pandémie globale, il s’agit d’une syndémie dont la réalité est différente d’un lieu à un autre. Ce terme, – du grec syn – , « avec », inventé dans les années 1990 par l’anthropologue américain Merrill Singer nous oblige à prendre conscience de nos modes de vie, intimement comme collectivement.

Lutter contre une syndémie locale requiert une autre stratégie que celle face à une pandémie globale. Pour preuve, la situation à Maurice est différente de celle en Inde, qui, elle-même, ne ressemble pas à la situation aux USA ou en France. Nous le voyons avec la vaccination, la communication, la commercialisation et l’organisation de celle-ci et la quête de l’immunité collective, surtout avec l’apparition de différentes variantes. Une approche syndémique nous apprendra beaucoup sur les limites de notre conduite de la quarantaine: comment un cas local est-il apparu à Maurice après tant de mois ? Et nous rendra également à l’évidence que nous avons des règles sur le port du masque et la distanciation sociale que nous avons négligées, voire oubliées pendant trop longtemps. Mais étions-nous vraiment réalistes  avec de telles mesures, que même les autorités ignoraient ouvertement ? Et que dire des traitements anti-COVID-19 et des services d’urgence à Maurice : sommes-nous prêts à un pic de contaminations ? Le serons-nous un jour au point où il faut s’y préparer ? Sinon, doit-on penser en termes d’une syndémie locale face à laquelle nous devons, non pas survivre, mais apprendre à vivre avec, même à vivre mieux, mais autrement ?

Existera-t-il à Maurice, si nous passons de reconfinement en reconfinement, des victimes résultant de notre réponse à la COVID-19 ? Aux USA, uniquement en 2020, il y a eu ainsi plus de 100 000 morts liés à des cas d’overdose, de suicide, d’alcoolisme, d’homicide et de dépression non-traitée. En Grande-Bretagne on craint que 100 000 cas de cancer n’aient pas été détectés suite à la rupture des services causée par la COVID-19. Partout, nous ne finissons pas de nous plaindre de la catastrophe économique liée à la COVID-19, mais aussi des répercussions sur l’éducation de nos enfants comme même sur la liberté individuelle et les droits démocratiques. Trop souvent, ici comme ailleurs, tant d’abus ont été commis sous le couvert du lockdown, de la pratique des prix excessifs, de la fraude et de la corruption à la montée de la violence domestique. Une approche syndémique nous fera mieux comprendre la relation cause-à-effet, et vice- versa, entre la COVID-19 et ce qui allait très mal déjà dans notre société.

La destruction des habitats naturels, ici et ailleurs, amènera l’émergence de nouveaux virus, sans compter l’impact syndémique dévastateur de l’intensification agricole et de la production alimentaire industrielle, l’effet des politiques inéquitables et des mesures destructrices pour les écosystèmes, et des modes de consommation non-durables. Le changement climatique nous rappelle à quel point la nature désespérément ‘nous envoie un message’. Avons-nous déjà oublié le premier confinement ? Et quelles leçons retenir de la grippe espagnole de 1918 ? Épargné initialement, en Australie, on s’empressa trop vite de lever les précautions, et ce continent en souffrit en 1919. D’ailleurs, à Maurice, c’est relativement tard, en hiver en 1919, que la grippe espagnole frappa. Beaucoup de pays connurent ensuite une deuxième vague. Sommes-nous à l’abri du pire ?

Pendant le confinement, il peut y avoir eu moins de violence, moins de crimes, moins de pollution, moins d’accidents, moins de conflits. Mais ensuite, il n’y a pas eu de ‘new normal’. Le niveau des émissions de gaz à effet de serre, responsable du changement climatique, par exemple, est reparti à la hausse. Les mille plus grosses fortunes du monde ont rattrapé en 9 mois tout leur manque à gagner avec la COVID- 19, beaucoup maintenant sont plus riches que jamais. Les plus pauvres prendront une décennie à s’en sortir ou ne s’en sortiront jamais.

Les mauvaises habitudes pré-COVID19 ont aussi refait surface. Nous sommes loin de pouvoir construire un monde nouveau avec plus de sens, plus de solidarité, plus de bonté. Nous peinons à donner une nouvelle vision à la science en la rendant au service de toute l’humanité et du bien commun, comme le prouve la guerre des vaccins anti-COVID19. Comme le dénonçait un prophète d’antan, nous refusons ‘…d’abandonner ce qu’adoraient nos ancêtres, de ne plus faire de nos biens ce que nous voulons…’ (Le Coran 11 :87). Voyons un peu comment nous instrumentalisons la religion, la politique et les affaires, même en temps de COVID-19 !

Il nous faudra rompre avec une façon de penser, d’agir et d’être hyper centré autour de notre ego, de notre amour excessif de ce monde matériel et de notre rejet avec mépris de la mort qui est chose inévitable. Nous faisons semblant comme si nous n’aurons jamais de comptes à rendre. Paradoxalement, en répugnant et repoussant la mort, nous n’arrivons plus à vraiment vivre. Et nous ne laissons pas vivre les autres. C’est toute la pertinence d’une approche syndémique… il nous faut être avec les autres pour combler ensemble nos manques. Nos faiblesses ont fait la force du virus.

DR KHALIL ELAHEE

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