DYNAMISER L’ART ET L’INDUSTRIE DE L’ART : Une question de politique culturelle et de détermination

DR DIDIER WONG CHI MAN

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La Mauritius International Art Fair (MIAF) a eu un effet positif dans le paysage artistique local, souvent en manque de dynamisme. Zaahirah Muthy et son équipe ont pu malgré les moyens restreints, mettre en place cette manifestation avec des activités intéressantes qui ont mobilisé un public mauricien heureux d’interagir avec les artistes. Grâce à un de ces événements, le Caudan dispose d’œuvres d’art public qui embellissent son site.

Je souhaite mettre en exergue ce « dynamisme » latent qui existe à Maurice et qui entrave le jaillissement des arts et de la culture, tellement importants pour le bien-être et l’équilibre de tout un chacun, la vie culturelle d’un pays étant un gage de liberté. Fini ce temps où les touristes débarquent dans des pays paradisiaques pour ne profiter que du soleil, de la mer et des plages. Aujourd’hui, le tourisme que Maurice vise est un tourisme plutôt haut de gamme avec un certain pouvoir d’achat. Or, qu’offrons-nous d’exceptionnel à ceux qui souhaitent découvrir ce qui se fait au niveau culturel et artistique ?

Lors d’une discussion avec Manal Ataya, directrice générale du Sharjah Museums Authority, elle me disait étonnée que le personnel de l’hôtel où elle logeait ne pouvait lui conseiller des lieux culturels, des musées ou des expositions en cours. Effectivement, des efforts sont à entreprendre dans ce domaine. La MTPA devrait rectifier sa stratégie afin de proposer aux étrangers avides de culture, d’autres alternatives pour découvrir le talent de nos artistes et artisans. En outre, les structures artistiques doivent promouvoir ce qu’ils proposent et améliorer leurs moyens de communication notamment via les hôtels et les offices du tourisme grâce à des dépliants entre autres formes promotionnelles, aujourd’hui quasi inexistantes.

L’Economic Development Board (EDB) a été un des partenaires principaux de la MIAF. C’est une démarche fort louable et salutaire. L’EDB souhaite tisser des liens entre les artistes mauriciens et le « Art business community », mais il envisage surtout de positionner Maurice comme une destination artistique sur la scène internationale en prenant comme modèle la très réputée maison Christie’s, société de vente aux enchères internationale dont le siège est à Londres et contrôlée par la holding Artémis. En 2017 Christie’s a vendu le tableau le plus cher au monde à ce jour, le Salvador Mundi de Léonard de Vinci, adjugé pour la somme de 450,3 millions de dollars.

L’EDB, contrairement au ministère des Arts et de la Culture, montre qu’il souhaite s’impliquer dans la promotion économique en se servant de l’art, une initiative encourageante pour Maurice. C’est pour cela que la table-ronde « Modeling the Art and Ecosystem in Mauritius » fut « commandée » par l’EDB à l’occasion de la MIAF et au cours de laquelle l’absence flagrante de certains officiers du ministère et des représentants du secteur privé a été constatée. Quel dommage ! Il y a certes par le biais de cette démarche, une prémisse d’une politique économico-culturelle mais qui reste à poursuivre avec des acteurs motivés, compétents et qui ont une vision précise de ce projet, certes très ambitieux et pour lequel j’émets quelques réserves par précaution car j’estime que les conditions pour atteindre cette ambition ne sont pas réunies pour une concrétisation dans un avenir proche.

Pourquoi ai-je cette réticence ? L’EDB souhaite attirer les investisseurs locaux et étrangers afin de développer la « Mauritian creative industry ». Pourquoi pas… Cependant, voulons-nous être crédibles aux yeux de ces investisseurs ? Au risque d’être redondant, la réflexion que nous devrions avoir est la suivante : ne serait-il pas judicieux de commencer par améliorer la visibilité de nos artistes et de leurs travaux en les rendant accessibles au public ? N’est-il pas temps de se pencher sur la mise en forme d’un lieu d’exposition permanent ? Je n’ose plus parler de la construction de ce fameux musée d’art moderne et contemporain, car j’en parle dans la presse depuis 2003 et il semble que la sourde oreille des instances concernées se soit transformée en surdité aggravée ! Si réellement l’EDB veut aller de l’avant avec ce projet titanesque, il faudrait commencer par accroître nos surfaces d’exposition afin que les investisseurs puissent envisager de croire dans leur possible investissement. Qui voudrait investir dans un pays qui se veut une plaque tournante du marché de l’art mondial dans la région alors que nous ne bénéficions même pas d’un musée d’art moderne et contemporain ? Qui voudrait miser sur le potentiel de Maurice au niveau artistique alors que notre collection d’œuvres d’art n’est pas encore à la hauteur quantitativement et qualitativement ? Il n’est pas étonnant de constater que la « collection » de l’État soit minime et peu convaincante. On se demande ce que la National Art Gallery (NAG) pouvait bien acheter auparavant avec un budget annuel de Rs 25,000 pour l’achat des œuvres d’art.

Une somme RIDICULE et HONTEUSE ! Ce budget est passé à Rs 100,000. Nous sommes en présence d’un élément évident que ceux qui gèrent le budget annuel au ministère de tutelle ont une connaissance restreinte dans le domaine des arts plastiques. Ainsi, bâtir une collection de qualité ne serait pas envisageable dans les décennies à venir si nous restons dans cette pauvreté budgétaire, dans cet état léthargique et sans une politique culturelle crédible, réfléchie et voulue, primordiale pour aller de l’avant dans cette quête d’une plateforme artistique internationale.
On a beau dire qu’avec un petit budget nous pouvons réaliser de belles choses. Effectivement ! Mais pour atteindre l’ambition citée plus haut, l’argent est un facteur incontournable et l’investissement doit être conséquent. Le concept Porlwi by light et Porlwi by nature n’a pas été reconduit faute de financement, un exemple en soi. Pourtant c’était une manifestation qui a connu un réel succès. Ce qui est chagrinant dans toute cette affaire c’est l’investissement infime du ministère des Arts et de la Culture. La MIAF était une grande aubaine pour cette dernière ainsi que pour la NAG de montrer de l’intérêt et de la volonté pour dynamiser l’art et l’industrie de l’art à Maurice.

Quand un très haut placé du ministère demande si une foire d’art contemporain est l’équivalent d’une foire d’exposition de voitures, vous comprenez instantanément pourquoi la situation de l’art dans notre pays est dans une galère qui n’est pas prête de changer avec de telles comparaisons. Hallucinante et sidérante est cette pauvreté culturelle !

Prendre Christie’s comme modèle est peut-être prématuré. Nous devons commencer modestement. Visons d’abord le régional. Pourquoi ne pas suivre l’exemple des FRAC (Fonds régional d’art contemporain) et travailler en collaboration avec eux (FRAC de la Réunion)? Commençons par faire des échanges et acquérir des œuvres de nos artistes et celles des autres pays alentour. Pour l’étape suivante, nous pourrons alors viser une échelle supérieure en tablant sur le continent africain qui regorge d’artistes de très grande valeur. L’art contemporain africain a pris de l’ampleur depuis quelques années et Maurice devrait essayer d’emboîter le pas et rattraper son retard au lieu de « traîner éternellement sa savate ». L’Inde et la Chine sont des pays avec lesquels Maurice a des relations privilégiées. Pourquoi ne pas se rapprocher d’eux d’autant que l’art contemporain asiatique a atteint un niveau d’excellence mondial. Il n’y a qu’à voir la renommée des plasticiens tels que : Anish Kappoor, Subodh Gupta, Chen Zen, Ai Weiwei, Ren Hang, Yayoi Kusama, etc. Ce n’est qu’en tissant des liens et en faisant des échanges à travers des résidences d’artistes, des foires d’art contemporain, des expositions internationales et des pourparlers avec des institutions réputées et reconnues que Maurice pourra se placer sur l’échiquier continental, oriental et par la suite mondial. Ne brûlons pas les étapes.

Les artistes locaux doivent être aidés. Maurice n’a pas encore la culture du mécénat très important pour les artistes. L’investissement dans l’art peut rejaillir sur l’économie si seulement on croit en son devenir. Les secteurs public et privé ne doivent pas hésiter à investir dans les œuvres d’art d’autant plus que le dernier budget du gouvernement permet un abattement fiscal intéressant si les entreprises investissent dans les œuvres d’art ou dans la réhabilitation de notre patrimoine national. Pourquoi ne pas en profiter ? Développons cette culture d’achat et d’investissement qui serait encourageante pour nos artistes et pour l’intérêt de l’art et la culture. Créons une côte des artistes et des œuvres d’art et envisageons que ces dernières puissent être comprises dans l’évaluation de notre patrimoine personnel. Ouvrons nos esprits, soyons cultivés et ne restons pas dans ce schéma métro (oups !!), boulot, dodo mais ne demeurons pas non plus dans le schéma de l’art dit décoratif. Achetons des originaux et non des copies. Voyons l’art comme une fenêtre ouverte sur le monde.

D’autre part, il serait tout aussi intéressant que les galeries, associations ou organisations qui fournissent un travail conséquent puissent également bénéficier de subventions. Aujourd’hui aucune galerie mauricienne ne peut représenter ses artistes à l’étranger. C’est également par ce biais que les artistes, les galeries et les pays se font connaître à l’international. Changeons donc nos mentalités et croyons dans l’art mauricien et le bienfait qu’il pourrait apporter au pays culturellement, socialement, économiquement et politiquement.
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