Mon cher Navin,
Je me permets de t’adresser cette lettre, sans aucun formalisme protocolaire, car ceci est un cri d’un cœur à un autre, d’un petit frère à un grand frère, faisant écho à la douleur de tes concitoyens. Ci-dessous, des choses amères te seront dites, mais elles s’appuient sur le démocrate que tu es, et je sais que tu ne m’en tiendras pas rigueur pour ce cri du cœur.
Je me souviens toujours de ta visite du 19 novembre 2022, lors de notre grève de la faim, que je menais avec mon ami Sanjeev Teeluckdharry. En face de la Cathédrale St Louis, tu nous avais promis tant de choses. En t’écoutant, homme sage avec une riche carrière politique, tout semblait possible. Tu semblais détenir la clé, sans jeu de mots, à toutes nos souffrances, et une fois au pouvoir, tu rétablirais en un clin d’œil ce feel good factor dont les Mauriciens sont privés depuis 2014.
Tes paroles devant la Cathédrale Saint-Louis étaient lourdes de symbolisme. Le roi Louis IX, canonisé Saint Louis après sa mort, fut un roi qui marqua l’histoire. Malgré son accession au trône à un très jeune âge, il régna d’une main de fer dans un gant de velours, faisant preuve d’une sagesse inégalée. La démocratie moderne lui doit ses fondements. Ingénieusement, il fit passer la France d’une monarchie féodale à une monarchie moderne, au profit du bien commun. En atténuant les excès de la féodalité, il attisa la colère des nobles seigneurs. Mais cela importait peu, car pour lui, le peuple passait avant tout.
La justice moderne lui doit l’instauration de la présomption d’innocence et du principe de supplicatio, le droit de faire appel. Visionnaire, il créa des institutions qui deviendront le Parlement et la Cour des comptes, l’équivalent d’un organe d’audit chargé de contrôler les finances publiques. On lui attribue même la paternité de la « quarantaine-le-roi » : un temps de réflexion de quarante jours avant de déclarer une guerre. Je te propose aujourd’hui une quarantaine-le-Premier ministre, non pas de quarante jours, mais le temps nécessaire, pour réfléchir à l’impact social d’un passage à 65 ans pour le droit à la pension universelle.
Mon cher Navin, tu as fait de nombreuses promesses électorales, dont certaines irréalisables et lourdes de conséquences pour l’économie : transport gratuit, Internet gratuit, double pension pour les veuves et les personnes en situation de handicap atteignant 60 ans, voyage à La Réunion, 14e mois de salaire, et j’en passe. Ceux, comme moi, qui osaient dire à l’époque que l’économie ne pourrait pas soutenir de telles charges se faisaient fustiger par des mercenaires, nous accusant de faire le jeu du MSM, ou nous qualifiant de chatwa.
Aujourd’hui, ces mêmes mercenaires, souvent ayant eu leurs Bout, perçoivent plusieurs centaines de milliers de roupies, voire des millions par mois, viennent expliquer au petit peuple pourquoi il ne pourra pas toucher Rs 15 000 de pension à ses 60 ans accomplis ! On renverse ainsi les acquis de Louis IX en restaurant une néo monarchie féodale, ne profitant qu’aux nouveaux seigneurs ayant su s’attirer les grâces du monarque.
S’il te plaît, Navin, ne te cache plus derrière ton fameux rapport « State of the Economy ». Une telle excuse aurait pu convenir à un novice, mais toi, tu es un politicien chevronné. Lorsque tu promettais, en pleine campagne, une baisse de 30 % des prix du carburant dès ton intronisation, tu savais pertinemment que la PSA était déficitaire. Quand tu annonçais une pension de Rs 21 500 à 60 ans, ainsi que d’autres mesures, tu connaissais déjà l’état désastreux de l’économie que tu allais hériter. La note de Moody’s n’était un secret pour personne, pas plus que les multiples avertissements du FMI concernant la pension universelle. Prétendre l’ignorance serait insulter ta propre intelligence.
Aujourd’hui, la pension universelle n’est pas un privilège discrétionnaire, mais un droit. C’est un contrat social entre l’État et le peuple. L’introduction de la GSG était justement destinée à permettre la pérennité de ce droit. Ceux qui gagnent jusqu’à Rs 50 000 contribuent à hauteur de 4,5 % (1,5 % salariale + 3 % patronale), et ceux gagnant au-delà de Rs 50 000 contribuent à hauteur de 9 % (3 % salariale + 6 % patronale). Une personne gagnant Rs 50 000 contribue donc, avec son employeur, Rs 2 250 mensuellement. À Rs 60 000, cette contribution monte à Rs 5 400 par mois.
Et pourtant, un parlementaire, après seulement deux mandats, est éligible à une pension à vie, sans avoir jamais contribué à un quelconque fonds de retraite. Parallèlement, la pension des Présidents et Vice-Présidents, ce poste que tu avais promis d’abolir, est maintenue. Les choses ne se chuchotent plus : le peuple en colère dit à voix haute que ce poste de Vice-Président aurait été gardé pour faire plaisir aux petits copains, et pour continuer à verser des loyers mirobolants à un membre de ton cabinet pour la location d’un bâtiment servant de bureau au Vice-Président. Je suis curieux de savoir de qui il s’agit. Où est la justice redistributive ? Où est l’équité fiscale ? Le sacrifice est-il toujours à sens unique ? Que les sacrifices soient partagés, pas imposés unilatéralement aux plus vulnérables. Comme le disait Gandhi : la vraie politique, c’est le souci du dernier.
Nous sommes parfaitement conscients des défis économiques liés aux aides sociales. Un faux pas, et ce sont des sanctions sévères de Moody’s. Mais pourquoi, à chaque changement de régime, le Mauricien doit-il systématiquement « se serrer sa ceinture » ? Quand pourra-t-il enfin respirer ? En 1982, il a découvert ce fameux serrage de ceinture. Mais en 1983, sous un gouvernement visionnaire, ce fut le miracle économique, avec l’industrialisation et le tourisme. Plus besoin de se serrer la ceinture !
Un budget axé sur une fiscalité rude n’est pas synonyme de prospérité. Tant d’autres créneaux pourraient être explorés. Il suffit de s’ouvrir aux Mauriciens, car les petits copains n’ont pas le monopole de l’intelligence.
Ce n’est un secret pour personne : Sanjeev Teeluckdharry a déjà constitué un panel juridique. Dès que le Finance Bill, dans sa forme actuelle, sera voté, nous en contesterons sa constitutionnalité. Nous espérons que cette éventualité sera désamorcée par les amendements nécessaires.
Le Parti Travailliste est né dans le feu de la révolte sociale, pour porter la voix des sans-voix, pour donner aux petits la place qui leur était refusée. Ton père, le Dr Seewoosagur Ramgoolam, a bâti la nation avec des idéaux, pas avec des tableaux Excel.
Je ne suis pas ton ennemi. Je ne suis pas un opposant de façade. Je suis un citoyen. Un frère. Un homme libre. Et s’il me reste une seule chose à défendre, c’est cette liberté de dire à mon Premier ministre, avec tout le respect que je lui dois : Fais mieux. Sois digne de ta parole.
Navin, nos noms portent la trace du Seigneur: Ramgoolam : au service de Dieu, et Joyram : célébration de sa gloire. Ram fut un roi exemplaire, gouvernant au service du peuple, et non pour être servi. Et lorsqu’il revint sous la forme de Krishna, il nous laissa un héritage inestimable : les 700 versets du Bhagavad Gita. Je suis faible, je commets bien des non-sens quotidiennement, mais chaque fois que j’ouvre le Gita, je me recentre. J’en avais offert un exemplaire à ton prédécesseur, dans l’espoir qu’il y puise la sagesse. Je t’en offre un également. Non pas comme un reproche, mais comme une lumière. Peut-être qu’un jour, à la lecture d’un verset, une décision changera la destinée d’un peuple.
Que le Seigneur te guide et te bénisse. Que le peuple te juge à ta vraie valeur. Que l’Histoire te retienne.
Affectueusement,
Nishal Joyram
Mercredi 24 juin 2025