Politique : Ki nou fer aster ?

LATULIPE

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Les fêtes de fin d’année ont mis le couvercle sur une marmite politique et sociale en ébullition. Cependant, elles n’ont pas éteint le feu qu’alimentent les tumultes qui agitent notre société depuis des mois. Elles nous ont permis d’éviter, le temps des réjouissances, des souhaits et des sages résolutions, les éclaboussures d’un magma en fusion. Au sortir de cette année aux superlatifs déprimants, il s’agit de faire le point sur ce qui constitue le socle de ce pays que nous bâtissons de nos efforts depuis plus de 300 ans.

D’une crise à l’autre, ce petit pays ne cesse d’être secoué, comme rarement dans son histoire. Les affaires – de véritables scandales pour certains, d’immondes machinations pour d’autres – ont animé les dîners et déjeuners de famille. Au cœur de ces discussions, généralement insipides et surtout stériles, se pose une question : qu’en est-il de notre démocratie ? Dans quel état est-elle à l’aube d’une nouvelle année que d’aucuns annoncent difficile, pour dire le moins ?

La défiance du pouvoir est telle qu’elle ne peut plus être ignorée. La démocratie, vue comme un type de relation entre les gouvernants et les gouvernés, dépend grandement, si ce n’est essentiellement, de la confiance qu’accordent les seconds aux premiers. Force est de constater que celle-ci est entamée, entachée, rongée par le doute. Cette suspicion est le résultat, somme toute prévisible, des nombreuses années durant desquelles les passions partisanes, parfois sectaires, ont impunément dominé l’intérêt général dans toutes les sphères de la cité.

On a tendance à l’oublier, mais nos institutions ne se résument pas aux femmes et aux hommes qui les font fonctionner. Nos institutions, qui découlent de grands principes codifiés par le droit, sont d’abord et avant tout un ensemble de règles à être respectées en tout temps et en tout lieu. Celles-ci doivent s’appliquer à tous, sans aucun compromis sur un élément consubstantiel à toute démocratie : l’égalité de tous les citoyens.

Pour que l’égalité soit ainsi respectée, la démocratie exige que les institutions s’élèvent au-dessus des individus, surtout de ceux qui sont les titulaires temporaires de leurs pouvoirs. Lorsque ces derniers mobilisent les prérogatives qui leur sont confiées pour défendre des intérêts privés aux dépens de l’intérêt de la collectivité, ce sont les conditions mêmes de notre vivre ensemble qu’ils mettent à mal. Et ce faisant, ils aggravent une autre crise, larvée, mais dont on parle moins, celle de la démocratie représentative.

Car la défiance n’est qu’un symptôme. Le mal, le vrai, c’est la perte de légitimité du personnel politique qui entraîne avec lui, hélas, l’érosion de la confiance des citoyens dans les institutions censées les gouverner. Dans ce vide idéologique, qui se creuse inexorablement depuis les années 1980, on en oublie presque que le rôle du politique n’est pas celui du publicitaire, tant nous sommes engagés dans une surenchère indécente qui fait fi de la gravité des problèmes à résoudre.

Les partis politiques, pris dans leurs chamailleries puériles, brillent par la pauvreté de leur programme qui n’est que le reflet de l’absence d’une hauteur de vue que la séquence historique exige pourtant. S’ils ne se ressaisissent pas rapidement, les prochains résultats électoraux pourraient n’être pour eux que des certificats d’inaptitude. En se transformant en club de technocrates et de gestionnaires, les partis ont oublié une de leurs fonctions premières : représenter. À la place, ils préfèrent « gouverner », ou du moins ce qu’ils entendent par ce mot qu’ils confondent avec « gérer ».

Pire encore : s’étant transformés en fan clubs bruyants, ils n’exercent plus, en interne, les contre-pouvoirs qui leur sont dévolus étant donné la facticité de leurs structures. Dans ces conditions, comment alors s’étonner que la parole des femmes et des hommes politiques se soit autant dévaluée, à tel point qu’elle est tristement et trop souvent raillée.

Il n’y a pas de meilleure illustration de cette démocratie qui blêmit que l’image que nous renvoie notre assemblée nationale, séance après séance. D’un lieu central d’où l’on débat et définit l’intérêt général, elle est devenue une salle de spectacle où ce sont, par la force des réseaux sociaux, les acteurs les moins affutés qui s’illustrent, grâce à leur manque d’érudition, tragiquement. Mais une fois l’hilarité des moqueries passée, que faisons-nous ? N’est-ce pas de notre avenir et du devenir d’une nation dont il est question ?

Le 29 août 2020, des milliers de Mauriciens ont marché dans les rues de Port-Louis. Les colères étaient multiples et les revendications polysémiques. Mais ce cri venu d’une masse que l’on croyait endormie témoignait d’une réalité nouvelle qui s’appliquera à tous nos gouvernants, d’aujourd’hui et de demain. L’élection n’est qu’un mode de désignation des responsables politiques ; elle n’est pas un chèque en blanc. Autrement dit, elle n’est pas la garantie que les mesures qui seront adoptées au cours d’un mandat soient docilement acceptées par un peuple amorphe.

Bien qu’étant avant tout un geste symbolique, cette marche aurait pu, et aurait dû, être l’acte fondateur d’un mouvement dont l’objectif, à terme, aurait été de porter des idées nouvelles à la tête du pays. À faire éclore l’écologie politique et lui donner la place qu’elle mérite au cœur du débat public. À esquisser les contours d’une nouvelle république avec des institutions rénovées, encadrées par des contre-pouvoirs capables de contenir les humeurs de nos princes et princesses qui ne sont que de passage. Nous aurions pu commencer par ce Parlement qui, depuis que des caméras y ont été installées, s’est transformé en vaudeville de bas étage.

Mais le réveil des citoyens est en lui-même un acte salutaire. Qu’importe les visages qui les incarnent, seules les idées doivent compter dans la bataille à mener. Elle n’est pas celle des foules, des uns contre les autres. En 2021, notre plus gros défi sera d’éviter la vile confrontation des individus, cet écueil qui nous afflige depuis tant d’années, pour embrasser l’affrontement des idées.

Ki nou fer aster ?

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