Armoogum Parsuramen, CEO de la Global Rainbow Foundation : « À Maurice, les handicapés sont doublement maltraités ! »

Notre invité de ce dimanche est Armoogum Parsuramen, ancien ministre et CEO de la Global Rainbow Foundation. Dans la première partie de l’interview, réalisée jeudi dernier, il revient sur son parcours politique. Dans le deuxième, il fait un plaidoyer pour que les droits des personnes handicapées soient reconnus à Maurice.

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Vous avez fêté cette semaine vos 70 ans, dont plus de la moitié passée en politique. Qu’est-ce qui vous a poussé à entrer en politique à la fin des années 1970 ?

— J’ai toujours eu une inclinaison vers le social pour améliorer les conditions de vie de mon village de pauvres pêcheurs et laboureurs. Après mes études, je suis devenu membre du conseil de village, puis du conseil de district dont je suis devenu le président. En 1979, je me suis joint au PSM qui était composé des contestataires du PTr qui voulaient spiritualiser la politique. Puis, le PSM s’est fondu dans le MSM pour l’alliance qui remporta les élections de 1982.

Et en 1983, avec la cassure de l’alliance, vous devenez un des membres fondateurs du MSM et ministre de l’Éducation, sans aucune expérience dans ce domaine, où vous allez rester treize ans de suite. Que retenez-vous de cette longue période?

— Effectivement, je n’avais aucune expérience dans un secteur qui venait d’être marqué par la révolte des étudiants en 1975 et la grève de la faim des enseignants du secondaire, tout ça dans un pays qui se trouvait dans des conditions économiques très difficiles.

Comment avez-vous fait pour rester aussi longtemps à l’Éducation, alors que vous étiez très critiqué ?

— C’est le Premier ministre, qui agit comme capitaine d’une équipe qui positionne ses joueurs pour gagner le match, qui attribue les ministères. Mais je crois que le dois au fait que j’ai réussi à réconcilier mes fonctions de député très près de ses mandants et mon rôle de ministre de l’Éducation nationale, ce qui m’a fait être réélu plusieurs fois de suite. Je dois dire que j’ai dû apprendre à beaucoup naviguer pour atteindre mes objectifs au cours de ces années-là.

Vous avez été pendant treize ans un des ministres de SAJ. Quel souvenir gardez-vous de cette période ?

— Notre relation de confiance est réciproque. Quand en 1991 le MSM fait alliance avec le MMM et remporte les élections, le MMM demande le ministère de l’Éducation, où j’étais depuis huit ans. SAJ a refusé, car il estimait que je faisais bien mon travail et que j’avais un plan pour l’Éducation, le fameux Master Plan.

Mais malgré la confiance de SAJ, vous décidez de ne pas vous représenter aux élections de 1995 sous les couleurs du MSM. Vous avez fait comme ces rats qui abandonnent le navire quand ils sentent qu’il va couler ?

— Pas du tout. Ma vie est rythmée par des cycles de 14 ans. J’ai été enseignant pendant 14 ans, pendant la même période j’ai été député et ministre, et puis les quatorze années suivantes, j’ai travaillé à l’international. En 1993, bien avant la débâcle du MSM, j’avais dit à SAJ que je sentais que j’étais arrivé à la limite de ce que je pouvais faire dans l’Éducation et que je n’allais pas me représenter. Je voulais aller travailler à l’international suite à des propositions de la Banque mondiale et de l’UNESCO. SAJ a compris ma position et l’a acceptée. Je suis resté fidèle au MSM jusqu’au bout, parce que même si je n’ai pas posé ma candidature en 1995, j’ai été le campaign manager de SAJ pour cette élection.

Après votre carrière internationale, il y a eu des rumeurs que le fidèle d’entre les fidèles du MSM s’était rapproché du PTr, ce qui allait causer votre brouille avec SAJ, votre mentor…

— J’étais resté très proche de SAJ pendant mon séjour à l’étranger. Quand je suis rentré, en 2011, il m’a demandé de retourner en politique avec le MSM, mais je lui ai répondu que j’allais me consacrer au travail social. J’ai lancé ma fondation en 2012 et j’ai invité Navin Ramgoolam, qui était alors Premier ministre, à qui j’ai reconnu des qualités d’humaniste, ce qui a mécontenté au sein du MSM, le nouveau MSM, et les relations se sont refroidies.

Le nouveau MSM ?

— Entre-temps, SAJ était devenu président de la République et avait donné le MSM à son fils, qui était en colère avec moi à cause de l’incident Navin Ramgoolam. Les relations ont été davantage refroidies quand j’ai refusé de poser ma candidature comme candidat tamoul au N°6 dans le cadre de l’éphémère alliance MSM-MMM. En 2014, il y a eu des rumeurs selon lesquelles je devais poser pour le PTr, alors que je n’étais même pas à Maurice. SAJ a cru dans ces rumeurs et il a refusé de me recevoir ou de me parler au téléphone quand il est revenu au pouvoir. Et comme je n’étais ni un demandeur ni un roder bout, j’ai continué à faire du travail social avec les résultats que l’on sait.

Vous avez passé la moitie de votre vie à faire de la politique. Aujourd’hui, avec le recul et votre expérience internationale, quel regard jetez-vous sur la politique locale ?

— En général, la politique – ici et ailleurs – est devenue beaucoup de l’envie de se servir que celui de servir les autres. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui au MSM, le parti dont j’ai été un des fondateurs, cette tendance de se servir, de servir ses intérêts propres est très forte. Le parti soutient ceux qui soutiennent ses dirigeants, même s’ils font des gaffes.

Est-ce que, selon vous, il y a une différence entre le MSM papa et le MSM piti ?

— Définitivement. Depuis qu’il a hérité du parti, Pravind Jugnauth a éliminé tous les anciens, tous ceux qui ont fait du MSM ce qu’il était, l’ont servi loyalement, pour les remplacer par « ses dimounn », ses proches. Par cette fameuse kwizinn qui influence toutes les décisions prises à l’hôtel du gouvernement pour le pays. Et on ne peut pas dire que toutes ces décisions sont bonnes.

Mais malgré tout ce que vous venez de dire, depuis qu’il a pris la direction du MSM, Pravind Jugnauth réussit à se faire élire d’élection en élection…

—… des élections remportées dans des circonstances douteuses, si l’on se fie aux témoignages et surtout aux nombreuses pétitions électorales qui ont été logées et qui traînent depuis 2019. J’ai une grosse interrogation sur la manière dont les dernières élections ont été organisées. Il y a encore trois ans d’ici 2024 et beaucoup de choses peuvent se passer…

Mais quand on voit comment se comportent les oppositions avec leur front de l’espoir — que certains surnomment du désespoir — on peut légitimement se demander qui va empêcher Pravind Jugnauth de remporter les prochaines élections générales…

— Vous avez raison. Après la cassure de l’entente et leur comportement actuel, les oppositions font le jeu de Pravind Jugnauth. Le fait d’avoir cassé l’entente a porté atteinte à la crédibilité des leaders des partis d’opposition. Comment Bérenger, Duval et Bhadain peuvent décréter que Ramgoolam doit quitter le leadership du PTr avant les élections municipales ? Résultat : cette déclaration a renforcé Navin Ramgoolam au PTr et ouvert un boulevard à Pravind Jugnauth ! Mais cela étant, et la politique étant ce qu’elle est ici, tout peut encore arriver jusqu’à 2024. D’autant que, maintenant, c’est l’argent qui fait les élections, pas les convictions politiques.

Est-ce que l’argent n’avait pas d’importance dans les élections avant ?

— Pas comme aujourd’hui. J’ai fait quatre élections générales et au cours des trois premières, les agents et les partisans créaient eux-mêmes les bases, cuisaient à manger, faisaient les affiches et les pavillons, et marchaient, s’il le fallait, pour aller aux meetings. C’est à partir de 1995 qu’on a commencé à payer pour les bases, les agents, à commander des affiches, des tee-shirts, à payer des bus pour emmener les gens aux meetings. Des gens venus marchander leur votre contre une faveur, une place pour leur enfant, une promotion dans le travail. Depuis, l’argent est devenu un outil destructeur de la démocratie, tout comme l’abstention et le refus des jeunes de la politique toujours dominée par des dinosaures. L’autre choix des jeunes qui veulent faire de la politique, c’est de se joindre à un des partis pour devenir des yes leader et des tapeurs de table au Parlement !

Parlons du travail que vous faites aujourd’hui avec la Global Rainbow Foundation. Est-il normal qu’un ancien politique et diplomate doive créer un centre — presque un mini-hôpital — pour s’occuper des handicapés physiques ? Ce travail ne relève-t-il pas de la responsabilité des ministères de la Sécurité sociale et de la Santé ?

— Notre centre répond à un besoin urgent auquel ne répond pas le service gouvernemental. J’ai été révolté quand je me suis rendu compte comment les handicapés physiques étaient mal soignés par les services gouvernementaux. J’ai alors décidé de mettre toute mon expérience et mes contacts internationaux au service de la cause des handicapés et j’ai créé la Global Rainbow Foundation avec beaucoup d’aides. Depuis, nous avons grandi, augmenté nos services et fournissons tous les ans plus de 200 prothèses et fauteuils roulants, grâce à nos sponsors.

Pourquoi est-ce que les Mauriciens, supposément généreux et accueillants, donnent l’impression d’être… disons indifférents aux misères des handicapés ?

— Parce qu’à Maurice, en général, les gens sont de plus en plus égoïstes, comme les électeurs dont nous avons parlé. Ils sont devenus de plus en plus indifférents au sort des autres, ne s’occupent que de leurs petits intérêts, de leur bien-être. Tant qu’ils ne sont pas directement concernés, ils s’en fichent et détournent le regard. Ils n’arrivent plus à penser à l’avenir du pays en terme général, ne savent plus discerner une politique pour améliorer le sort de tous et se contentent des petits bribes électoraux qu’on leur offre à la veille des élections. Le problème a Maurice, c’est qu’on regarde le problème des handicapés uniquement du point de vue médical avec une petite pension, c’est tout, alors que le combat doit se situer au niveau légal. On doit faire reconnaître la situation d’une personne handicapée au niveau légal international.

Mais est-ce que ce n’est pas déjà le cas ? L’État mauricien n’a-t-il pas signé des conventions internationales sur les personnes handicapées ?

— Il ne suffit pas de signer les conventions, il faut les faire appliquer. Le gouvernement travailliste a signé la convention sur les personnes handicapées en 2007 et l’a ratifiée en 2010, et la ministre Bappoo a commencé à travailler sur la loi, mais le gouvernement a changé en 2014. Dans son manifeste électoral, Lalians Lepep promettait une loi contre les discriminations contre les handicapés ; dans le discours-programme, en 2015, le nouveau gouvernement prend l’engagement de faire voter cette loi et de faire amender d’autres pour enlever toute discrimination contre les handicapés. Rien n’a été fait et, au contraire, les conditions des handicapés ont empiré à Maurice. Savez-vous que quand elle atteint l’âge de soixante ans, une personne handicapée n’a plus droit à sa pension parce qu’elle va toucher la pension de vieillesse ? On dirait que l’état considère qu’à partir de 60 ans, le handicapé est automatiquement guéri à Maurice ! On donne aux hauts fonctionnaires qui travaillent encore ou aux CEO et cadres du privé à la retraite, qui ont de belles pensions, la pension de vieillesse, alors qu’on prive le handicapé de sa pension d’invalide ! Quand est-ce qu’on mettra de l’ordre dans la pension de vieillesse et la paiera à ceux qui en ont vraiment besoin ?

Hier vous avez lancé une opération originale en publiant un texte pour faire adopter une loi protégeant les handicapés. Est-ce que cette initiative ne devrait pas revenir à la ministre de la Sécurité sociale ?

— Mais elle ne la prend pas, cette initiative ! Depuis des années, dans mon combat pour que le droit des handicapés soit respecté, je me rends compte que les bonnes intentions ne suffisent pas et que pour faire changer positivement la situation, il faut passer par la loi. C’est déjà une obligation que Maurice a par rapport aux conventions qu’elle a signées sur le sujet. Depuis 2016, la ministre de la Sécurité sociale dit que la loi a été écrite, que des consultations auront lieu et que le texte sera bientôt présenté au Parlement. Elle le dit depuis 2016, nous sommes aujourd’hui en 2021 et le texte n’est toujours pas complété ! Il est manifeste que le gouvernement n’a aucune intention de tenir la promesse électorale faite en 2014, ses engagements internationaux et que les discriminations contre les personnes handicapées ne font qu’augmenter. À Maurice, les handicapés sont doublement maltraités, ils sont carrément mis de côté et leurs droits ne sont pas respectés. Se rend-on compte que les handicapés ont été sévèrement, doublement même, affectés par la Covid-19, alors qu’ils sont plus à risque ? Prenons l’exemple de la vaccination, est-ce qu’on a pris des dispositions pour que les handicapés puissent se faire vacciner ? Où doivent-ils, avec leurs prothèses, leurs béquilles et leurs fauteuils roulants, aller faire la queue pendant des heures sous le soleil ou la pluie ? Le ministère de la Sécurité sociale a la liste des personnes handicapées. Est-ce qu’elle n’aurait pas pu s’arranger avec le ministère de la Santé pour que ces personnes soient vaccinées à domicile ? Il n’y a aucune volonté politique pour faire changer la situation. C’est pour cette raison que j’ai décidé de faire rédiger un texte de loi, puisque le gouvernement ne semble pas l’avoir fait jusqu’à maintenant, de l’envoyer aux ministres, aux leaders des partis politiques, aux parlementaires et à toutes les organisations concernées.

Vous avez fait le travail que le gouvernement aurait dû avoir fait !

— Je précise tout de suite que je ne suis pas contre le gouvernement, je ne fais que défendre les droits des handicapés mauriciens. Je me suis dit : puisqu’ils ne veulent pas le faire, faisons-le nous-mêmes. J’ai fait appel à des personnes d’expérience dans le domaine légal à Maurice pour travailler sur un texte à partir des conventions signées et de lois similaires qui existent, comme celui voté en 2016 en Inde. On m’a dit que le Premier ministre aurait dit qu’on ne peut faire passer cette loi parce que cela allait coûter trop d’argent à l’État.

Est-ce que c’est le cas ?

— C’est totalement faux. D’après les statistiques de 2011, il y avait 60 000 handicapés à Maurice, mais j’estime moi que ce chiffre a dû dépasser les 80 000, et avec le vieillissement de la population, disons 100 000, et ce n’est pas énorme. Quand on compare à ce que le gouvernement peut dépenser pour faire construire des stades non utilisés, par exemple…

Vous pensez que le fait d’avoir rédigé ce projet de loi va faire changer d’avis ce gouvernement qui, visiblement, n’a pas la volonté politique de tenir sa promesse électorale de 2014 ?

Nou pou tas ar zot ! Nous avons fait un travail professionnel. Après les consultations à Maurice, nous avons contacté une ONG et avons obtenu l’aide d’une avocate internationale spécialisée dans les droits humains qui a travaillé un mois et demi sur le texte. Nous allons nous battre sur tous les fronts pour que ce projet de loi soit enfin présenté au Parlement. Nous allons faire signer des pétitions ici et ailleurs, alerter toutes les agences et toutes les organisations internationales. J’ai constaté dans le passé que les causes et les dossiers que j’ai défendus ont pris du temps pour être acceptés, pas toujours entièrement, dans les politiques du gouvernement. Dans la situation actuelle où les yeux des instances internationales sont braqués sur le pays pour diverses raisons, le gouvernement mauricien ne peut pas ne pas réagir et faire voter cette loi, toute faite, qui aurait dû être votée dès la ratification de la convention internationale en 2010. Nous avons des années de retard à rattraper pour permettre aux handicapés mauriciens de bénéficier des mêmes droits que les handicapés du monde entier.

L’actualité semble vous donne raison sur la manière négative dont certains traitent les handicapés à Maurice. Quelle est votre réaction au post insultant les handicapés qui a été publié sur les réseaux sociaux jeudi après-midi ? Un post qui, je le souligne, a été condamné par des centaines d’internautes !

— De manière générale, trop souvent les violences faites aux personnes handicapées sont traitées comme des faits divers avec des terminologies incorrectes. La Constitution et des lois mauriciennes contiennent des termes comme « hadicapped », « lunatic invalid », « unsound mind », « incapacitated voter », « dumb », « state of imbecility » et « crippled », entre autres, qui sont désobligeants, offensants envers les personnes en situation de handicap. Nous demandons, dans le draft du texte de loi, que ces expressions soient enlevées des lois mauriciennes. Si la loi reconnaissant les droits des personnes handicapées avait été votée, elles auraient été mieux protégées des attaques. Pour en revenir au post de jeudi, la Global Rainbow Foundation condamne toute forme de discrimination contre les personnes avec des handicaps. Nous avons vu la vidéo en question qui véhicule des propos discriminatoires et haineux contre les personnes handicapées. Il est choquant qu’il existe encore, en 2021, des personnes qui perçoivent les personnes handicapées comme des poids pour l’économie nationale. Nous demandons aux internautes de ne pas faire circuler cette vidéo haineuse et aux autorités de prendre les mesures nécessaires. Cette attaque donne encore plus de poids au vote de la loi, dont nous avons préparé le texte, pour reconnaître les droits des personnes handicapées. Nous invitons la population mauricienne à soutenir notre combat pour la reconnaissance des droits des personnes handicapées à Maurice.

Jean-Claude Antoine

NB : Le texte du « projet de loi » de la Global Rainbow Foundation est disponible sur : https://grftrust.org/rpwd/

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