Bhojeparsad Jugdamby: « Le GM ne réalise pas l’impact social des quatre et cinq “crédits” »

Bhojeparsad Jugdamby, président de l’Union of Private Secondary Education Employees, tire la sonnette d’alarme sur les répercussions des critères d’admission en Grade 12 (Lower VI). Imposer quatre « crédits » cette année et cinq à partir de l’année prochaine voudra dire que de nombreux enfants seront recalés, dit-il. Ce qui aura un impact social « non négligeable », rendant même l’avenir de ces jeunes « incertain », selon lui. De plus, ajoute-t-il, c’est la survie des « petits » collèges, qui jouent un rôle social auprès des « laissés-pour-compte » du PSAC, qui est menacée. Il invite à une réflexion profonde sur la question et prône pour une plateforme des partenaires de l’éducation pour favoriser le dialogue sur des sujets importants. De même, Bhojpeparsad Jugdambi est d’avis que la réforme de l’éducation commence à montrer ses faiblesses après deux ans..

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Comment s’est passée la rentrée 2019 ?

La rentrée a été catastrophique cette année, dans le sens où la réforme initiée par le ministère de l’Education a réservé bien des surprises. Après deux ans, on se rend compte que l’avenir est assuré pour les collèges d’Etat et confessionnels, mais pour certains collèges privés subventionnés, c’est plus une question de survie. Pour la rentrée 2019, il y a des collèges bien cotés qui se sont retrouvés avec 70, 100 et même jusqu’à 195 admis en Grade 7. D’autres n’ont eu que 15 à 30 élèves et d’autres encore ont admis plus d’élèves dans l’extended stream que dans le mainstream.

Le nombre d’élèves a baissé drastiquement dans certains collèges. Un établissement qui avait 700 à 900 élèves il y a dix ans se retrouve aujourd’hui avec 400 à 600 élèves. Ce n’est pas dû uniquement au fait que nous avons moins d’élèves qui entrent à l’école, mais surtout parce qu’il y a des collèges d’Etat ou des collèges comme le Rabindranath Tagore Institute qui ont ajouté des salles de classe pour pouvoir accueillir plus d’élèves en Grade 7. Ma conclusion devant une telle situation, c’est qu’il y a une mort lente et planifiée de ce qu’on appelle les « petits » collèges privés.

Faut-il comprendre que les collèges privés ont du mal à s’adapter alors que nous abordons la troisième année de la réforme ?

La réforme de notre système de l’éducation avait été annoncée en grande pompe. Les gens avaient donc de grandes attentes. Notamment par rapport à la régionalisation, la proximité, le développement holistique, les cours de rattrapage annoncés. On s’attendait à découvrir les talents cachés de nos jeunes… Mais en 2019, nous constatons que la réforme est en train de vomir ses débris après deux années. Cela ressemble à un bateau qui va faire naufrage, faute de direction. Certains collèges ont du mal à s’adapter à ces changements car la réforme n’a pas été faite dans le dialogue et le consensus. Cela a été imposé. C’est un changement qui amène à la disparation de notre patrimoine éducatif. Il ne faut pas oublier que certains collèges ont joué un grand rôle dans l’histoire de l’éducation à Maurice.

Ces « petits » collèges ont toujours un rôle important à jouer. Ce sont ces collèges qui accueillent les laissés-pour-compte du PSAC. Demandez aux enseignants du QEC ou du Collège Royal de travailler avec nos enfants, et on verra s’ils peuvent faire des miracles. Envoyez-nous des élèves du QEC ou de Royal, et nous montrerons ce que nous pouvons faire aussi. Le fait est que nos collèges privés accueillent des enfants qui ont déjà des difficultés.

Par ailleurs, aujourd’hui, les propriétaires de collèges privés subventionnés hésitent à investir dans les infrastructures car ils ne savent pas ce que l’avenir leur réserve, et c’est au détriment de l’enfant. Parfois, il y a aussi des incohérences au niveau des autorités. Je donne un exemple : il y a quelque temps, la Private Secondary Education Authority (PSEA) a revu les critères pour la subvention. Les collèges ont dû se mettre en conformité avec les nouveaux règlements. Par exemple, il fallait revoir la superficie des “specialised class rooms”, qui sont utilisées comme laboratoires notamment. Or, actuellement, on est en train de revoir à nouveau les critères. Faudra-t-il tout casser et refaire ces classes ? Ceux qui avaient déjà investi seront pénalisés.

L’UPSEE avait exprimé son opposition au “Nine-Year Schooling”. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Nous ne sommes pas contre le “Nine-Year Schooling”. Il y a beaucoup d’aspects positifs dans la réforme. Cependant, nous déplorons le fait qu’il n’y a pas eu de dialogue et de consensus. C’est pour cela que l’implémentation a été catastrophique. Comme je l’ai dit, il y a des parents qui avaient beaucoup d’espoirs sur la réforme mais qui sont déçus aujourd’hui. Prenons l’enfant de cette fille qui doit voyager 84 km par jour pour se rendre à son collège. La régionalisation était une question de proximité. Or, cette fille se voit obligée de voyager trois à quatre heures par jour pour se rendre à l’école le matin et pour rentrer à la maison l’après-midi. Pour un enfant qui vient de passer par le choc du PSAC, c’est dur.  On est venu imposer des conditions douloureuses qui ne sont pas à l’avantage des enfants. Comment va-t-il se concentrer en classe après un si long voyage ?

Je ne blâmerai pas la ministre pour cela. Il y a des officiers qui ne savent pas prendre de décision quand il le faut. Je vous donne un exemple : un parent est allé voir un officier pour demander un transfert. Il a répondu que c’est l’ordinateur qui a attribué le collège. L’ordinateur est une permutation de données. Un choix qui fait souffrir un enfant doit pouvoir être revu. Durant un tel exercice, un officier doit pouvoir prendre une initiative, surtout que le ministère prône la régionalisation. La ministre doit faire une table ronde avec tous les partenaires pour revoir le système d’admission, qui fait couler beaucoup d’encre. La rigidité va à l’encontre du système et des enfants. La compréhension doit primer.

Quelles sont vos analyses des résultats du SC 2018 ?

Depuis l’indépendance, le système éducatif a produit un taux d’échec de 30% au CPE, 25% au SC et 35% au HSC. Le taux d’échec par matière n’a pas évolué en 50 ans d’indépendance et deux ans de réforme. La pédagogie doit changer. Le cursus scolaire doit être revu. Par exemple, nous avons un taux d’échec de 12% en anglais. Cela veut dire que 12% des candidats doivent repasser leur SC car un échec en anglais veut dire qu’on a échoué à l’examen. En maths, on a un taux d’échec de 26%. La question que je me pose, c’est en quels termes on a amélioré le système si on se retrouve avec les mêmes taux d’échec ? Le MIE, qui est responsable du cursus, doit prendre cela au sérieux. Il faut que le MIE soit plus interactif et inclut les enseignants dans la préparation du cursus du début à la fin. Récemment, on a vu que le questionnaire du PSAC ne reflétait pas exactement ce qu’il y avait dans le syllabus. Si on avait travaillé en concertation avec les enseignants, on aurait pu éviter ce genre de choses.

Le MES est aussi responsable. L’année dernière, nous avons tiré la sonnette d’alarme concernant le papier de comptabilité (“accounts”). Il y avait une question qui n’était pas dans le syllabus. Nous avons fait des représentations et nous avons écrit au MES. Mais à ce jour, on ne nous a même pas répondu, ne serait-ce que pour dire que l’affaire sera considérée ou qu’on alertera Cambridge sur la question. En 2018, nous avons encore enregistré un taux de réussite à la baisse, avec 71,51%. Est-ce que ce problème a été pris en considération ? Est-ce qu’on a discuté de ce problème avec Cambridge ? Le système est à la dérive car il y a un manque de concertation et de synergie entre les différents partenaires.

Par ailleurs, je constate que les enfants ont un peu perdu le goût de l’éducation de nos jours. Internet et le smartphone ont remplacé les livres. L’audiovisuel a remplacé les profs. Les tablettes et les téléphones portables sont des instruments qui distraient l’enfant et affectent la concentration. Un autre constat, c’est que le “time table” n’est pas approprié. Aujourd’hui, une classe dure 35 minutes. Auparavant, c’était 40 minutes. Un enseignant prend au moins 10 minutes avant de commencer la classe, le temps pour lui d’arriver dans la salle, surtout si celle-ci se situe à l’étage, et d’instaurer la discipline parmi les élèves. Il ne lui reste donc que 25 minutes pour la leçon. Ce n’est pas suffisant. Il faut qu’un panel du MIE descende dans les collèges pour rencontrer les enseignants et voir ce qui cloche. Les profs sont les mieux placés pour donner un aperçu de la situation et aider à trouver des solutions. Une institution ne peut fonctionner indépendamment des autres, surtout dans le domaine de l’éducation. Il faut un partenariat.

De même, il y a des parents qui ne répondent pas présents à l’appel des profs de nos jours. Il y a un délaissement parental. Or, l’enseignant n’est pas le seul responsable de l’éducation d’un enfant. Il y a le travail qui se poursuit à la maison, sous la supervision des parents. Il faut un contrôle parental pour qu’il y ait une continuité. Sans la collaboration des parents, les enseignants et l’école se retrouvent dans une situation affaiblie. Nous comprenons que les parents travaillent, mais il faut trouver un moyen de s’intéresser à l’éducation de ses enfants. Aujourd’hui, on donne tout à l’enfant : tablette, portable, moto…, mais l’intérêt pour l’éducation manque parfois. Il faut inciter les parents à s’intéresser à l’école. Un système de “community-based” doit être mis en place. La régionalisation aurait aidé pour cela.

Est-il vrai que certains collèges ont peu d’élèves avec quatre ou cinq crédits ?

Cette année, le constat est catastrophique. Le nombre d’élèves qui ne peuvent accéder en Grade 12 (Lower VI) est conséquent. Sur les 18 000 candidats, au moins la moitié devra redoubler. Le silence du MES et du ministère de l’Education à ce sujet est suivi de très près par les différents partenaires de l’éducation. L’année prochaine, avec l’application du critère des cinq crédits pour être admis en Grade 12, le “drop out” sera plus conséquent.

Selon un “survey” que nous avons fait auprès des collèges, beaucoup se retrouvent avec 12 à 13 étudiants en Grade 12. Or, la PSEA exige qu’il y ait 14 enfants par classe. Il est clair que certains collèges ne pourront offrir les classes de Grade 12. Même ceux qui ont eu 18 admis ont des difficultés à satisfaire les combinaisons des élèves. Les collèges doivent revoir leurs combinaisons en fonction des résultats des étudiants. Dans certains cas, un prof ne travaille qu’avec deux enfants par classe. Se pose également la question de “redundancy”. Avec le nombre d’élèves en baisse, les enseignants sont devenus surnuméraires. Qu’allons-nous faire de ces enseignants ? Il y a actuellement 500 membres du personnel des collèges privés postés au MEDCO. C’est la pagaille pour leur “posting” dans les collèges. Nous avons reçu des plaintes de ces enseignants disant qu’ils sont en train d’agir comme remplaçants. Ils font six mois dans un collège, un an dans un autre. D’autres encore font trois collèges par semaine. On les appelle quand il y a une personne en “maternity leave” ou en “vacation”. Ils n’ont pas un emploi du temps fixe, un collège fixe. C’est difficile de travailler dans de telles conditions. Le problème d’enseignants “redundant” va empirer avec la population en baisse dans les collèges privés. Pour nous, le ministère doit absolument revoir les critères d’admissions en Grade 12.

Par ailleurs, le problème des quatre et cinq crédits a aussi une dimension sociale. Les jeunes n’ayant pas le minimum requis risquent de se retrouver à la rue. L’ancien ministre Vasant Bunwaree avait raison quand il avait introduit le critère des trois crédits. Jeter ces enfants à la rue du jour au lendemain peut provoquer de gros problèmes sociaux. Ils sont en proie aux dangers. Il y a des enfants vulnérables qui seront obligés d’aller trouver un emploi. Le gouvernement ne réalise pas l’impact social de cette mesure. Depuis la réforme, on a entendu dire qu’on va introduire cinq crédits pour rehausser le niveau. C’est du bluff. Cela veut-il dire qu’on a laissé pourrir la situation jusqu’en SC et que, subitement, en HSC, on va rehausser le niveau ? C’est ridicule. On parle aussi de la nécessité d’avoir cinq crédits pour répondre aux critères de la PSC. Quelles garanties avons-nous que les élèves avec cinq crédits seront recrutés par la PSC ? Surtout quand on sait que c’est le secteur privé qui est le plus gros pourvoyeur d’emplois dans le pays.

Par ailleurs, je crois que le gouvernement devrait autoriser les classes de GCE A Level pour les étudiants n’ayant pu atteindre 5 crédits. C’est un équivalent qui est accepté par les universités à Maurice et à l’étranger. Avec deux “A level subjects” seulement, les étudiants auront une entrée dans une université. Prenons l’exemple d’un jeune qui passe par un “A level” et va à l’université pour étudier le graphic design. Puis un autre fait son HSC et étudie la même filière. Admettons que les deux se retrouvent dans le même travail par la suite. Quelle différence y aura-t-il entre les deux ? Pour moi, on est en train de gâcher l’avenir de nos enfants avec les cinq crédits. Il faut donner une chance égale à tous nos enfants. On ne peut gâcher l’avenir d’un enfant à cause de cinq crédits. N’oublions pas non plus que les ressources humaines sont nos principales richesses.

Comment les collèges se préparent-ils pour l’examen national de Grade 9, qui déterminera l’entrée dans les académies l’année prochaine ?

Avec la situation que je viens de décrire en Grade 7 et en Grade 12, on peut déjà anticiper que cet examen de Grade 9 sera catastrophique. On attend d’abord d’avoir plus de détails sur l’examen lui-même afin de mieux s’y préparer. On peut déjà aussi prévoir la pagaille qui régnera avec la course vers les académies. Il paraît que ce sera des centres d’excellence. Attendons de voir ce que cela va produire comme résultats en 2022, quand ce premier “batch” passera les examens de Cambridge.

Que pensez-vous de l’éducation tertiaire gratuite ?

L’éducation tertiaire gratuite est une bonne chose. Il y a beaucoup de jeunes qui ont réussi leur HSC mais qui n’avaient pas les moyens d’aller à l’université. Toutefois, la question qui se pose, c’est de savoir combien d’étudiants nos universités peuvent  contenir. Est-ce qu’elles vont pouvoir répondre à la demande ? Par ailleurs, je dirais qu’il faut aussi placer la barre plus haute si on veut faire de Maurice un “knowledge hub”. Pourquoi limiter l’accès gratuit au “Degree” ? On aurait pu l’étendre au “Master” ou même au “Phd”. C’est à ce moment-là qu’on pourrait dire que l’éducation tertiaire est vraiment gratuite. D’autant qu’on encourage maintenant la formation continue.

Comment sont les relations entre l’UPSEE et le ministère de l’Éducation aujourd’hui ?

Nous avons eu deux rencontres depuis l’année dernière que je qualifierai de positives. Toutefois, nous n’avons pas parlé de la réforme. Nous aurions souhaité la mise en place d’une plateforme qui faciliterait le dialogue entre les différents partenaires de l’éducation. Si cela avait été fait, on n’aurait pas eu les problèmes qui sont survenus avec la réforme. Chacun aurait pu présenter son point de vue et aurait fait des suggestions.

Propos recueillis par Géraldine Legrand

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