John Malepa (Accenture Technology) : « Appeler un secteur ICT/BPO a été la plus grosse bêtise »

Alors que le secteur de la technologie se développe de manière exponentielle dans le monde, il arrive difficilement à suivre le pas à Maurice à cause d’un sérieux manque de ressources. La situation est ainsi, selon le directeur général d’Accenture Technology, John Malepa, parce qu’on a amalgamé le secteur de l’ICT et le BPO alors que cela n’aurait pas dû être le cas. Afin de trouver des talents pour les différentes activités de ce secteur, Accenture Technology, à travers son programme “Inclusion and Diversity” ouvre la porte à ceux qui sont autrement capables et qui font partie de la communauté LGBT.

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Accenture Technology a lancé son programme international “Pride at Accenture” où les droits de la communauté LGBT sont respectés dans l’entreprise. Pourquoi l’avoir lancé à Maurice ?

Ce programme fait partie de ce qu’on appelle “Inclusion in Diversity”. Nous mettons l’accent sur trois domaines que sont : l’égalité entre les hommes et les femmes, les autrement capables et la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres). On rend l’environnement du travail accessible à cette communauté. C’est un programme qui existe chez Accenture depuis plusieurs années. On le fait en interne avec des actions et la communication. Il y a des équipes qui travaillent dessus. Il y a des personnes qui sont focalisées sur la partie genre, d’autres qui se focalisent sur des personnes autrement capables et d’autres sur les LGBT. C’était un segment moins développé et on s’est dit pourquoi ne pas prendre ce programme qu’on fait depuis plusieurs années et le faire connaître. Nous sommes convaincus que c’est l’un des facteurs de notre performance et de notre réussite. L’inclusion et la diversité sont notre force. Sans vouloir donner de leçon, nous avons voulu partager le programme. D’un point de vue business, ça fonctionne. Et d’un point de vue humanitaire, c’est extrêmement fort. Ce sont des valeurs qui sont partagées par beaucoup de personnes. C’est la première fois qu’on le lance en externe.

Pensez-vous que nous sommes assez conscients des droits des personnes dont l’orientation sexuelle est différente de la norme ?

Je crois qu’on n’est pas suffisamment conscients de la richesse des différences. Et du coup, on rejette un peu trop facilement les gens différents. C’est l’une des raisons pour laquelle nous mettons l’accent sur l’inclusion et la diversité. C’est pour que les gens se rendent compte que ces différences sont souvent dans leur tête. Chez Accenture, on se porte garant d’un environnement sécurisé pour que les personnes différentes ne se sentent pas stigmatisées, repoussées ou mises à l’écart. Nous sommes tous égaux. Il n’y a pas de salaire différent et il n’est pas question pour nous qu’une personne soit privée d’une promotion parce qu’elle est différente. Au contraire, on met beaucoup plus d’accent sur les gens qui sont différents. De plus, on met l’accent sur l’innovation. C’est un peu le cheval de bataille de toutes les entreprises. Chez Accenture, nous apportons des choses innovantes. Pour innover, il faut penser différemment de ce que préconise la norme. Si vous pensez selon la norme, vous n’allez jamais innover. Si vous voulez innover, il faut sortir de la norme. C’est un meilleur raisonnement au lieu de dire aux gens qu’il faut être différent. Si on veut innover, prenons des gens différents, allons au-delà de la norme. Ayez une culture qui ne tienne pas compte de la norme pour pouvoir innover. Sinon, elle n’aura pas lieu. Si on accueille ceux qui ne sont pas dans la norme, on s’enrichit et il faut s’assurer que ces personnes ont les mêmes droits que tout le monde.

Depuis le lancement de ce programme, avez-vous noté une augmentation du nombre de ces personnes dans votre entreprise ?

On n’essaie pas trop de stigmatiser cette communauté. Accenture est une entreprise où on pratique l’inclusion et la diversité. Que vous soyez homme ou femme ou ayez une orientation sexuelle différente, vous êtes bienvenus dans l’entreprise. On vous garantit un travail et un environnement où vous pouvez travailler librement. On ne va pas vous pointer du doigt. Vous serez dans un environnement sain où tout le monde accepte de travailler avec des gens qui sont différents. C’est dans notre culture. C’est ce qu’on communique aux gens de l’extérieur pour qu’ils puissent nous joindre. Nous sommes en croissance permanente et nous aurons un autre bâtiment dans quelques semaines. Nous réalisons une croissance de 20% chaque année et il nous faut des gens. On ne veut exclure personne. Si on ne recrutait que des hommes, notre effectif serait de 50% et on ne compterait que 2 500 personnes. Pour pouvoir augmenter ce chiffre, il faut réunir ceux qui sont exclus du système. C’est important de ramener ces personnes dans le monde du travail. Très peu de personnes qualifiées ayant un handicap viennent nous rejoindre. Cela demande beaucoup d’efforts et d’organisation. Nous n’avons pas de trottoir approprié pour ceux qui se déplacent dans des fauteuils roulants. Il faut des aménagements spéciaux pour ces personnes. Le fait de communiquer permet aux jeunes de continuer leurs études et de se joindre à nous après. Auparavant, être handicapé était un tabou et les parents cachaient leurs enfants handicapés. Il faut changer cela et permettre à une personne de poursuivre ses études malgré son handicap. Tout ce qui compte, ce sont ses compétences.  Si on est compétent, on trouvera du travail. C’est la même chose pour la partie LGBT. Tous ceux qui se sentent un peu exclus peuvent venir travailler chez nous. Nous garantissons un environnement de travail où vous pourrez vous exprimer en étant différent.

Toutefois, il pourrait quand même exister une certaine résistance de la part de certaines personnes qui pourraient se sentir mal à l’aise à l’idée de travailler avec les LGBT. Que fait Accenture pour les sensibiliser ?

C’est un peu normal. En tant qu’êtres humains, nous avons tous peur de la différence. Toutefois, c’est important de communiquer et dire que cette différence n’est pas si importante. À un moment donné, les hommes ne voulaient pas travailler avec les femmes car elles étaient considérées différentes. Mais maintenant, ce serait complètement ridicule d’affirmer la même chose. Mais les gens doivent comprendre qu’un homme et une femme apportent des choses dans l’entreprise. Tout comme pour les autrement capables. Ceux qui ont une autre orientation sexuelle sont encore plus différents que nous. Mais si nous leur offrons un cadre et considérons leur apport, on se rendra compte qu’on n’est pas si différents. À un moment donné, nous trouverons chez l’autre quelque chose qui nous ressemble. Cela nous permet de nous rassembler car à travers nos différences, nous trouverons également des similarités car nous sommes finalement des êtres humains. En interne, on est beaucoup plus sensible à cela car nous avons beaucoup de programmes. Donc, les personnes s’habituent à celles qui sont différentes d’elles. On passe notre temps à visionner des actions que nous avons faites. Il y a une culture de la différence chez Accenture et c’est plus facile pour nous d’accueillir des personnes que d’aller dans d’autres entreprises où il n’y a pas cette culture de la différence. Quand on dit inclusion et diversité, c’est vraiment tout le monde. Même ceux qui sont contre. On ne va pas exclure ceux qui sont contre les personnes handicapées ou LBGT. On s’assoit et on discute et on est persuadé qu’on changera la perception de la personne. Aussitôt que les gens commencent à travailler ensemble, on remarque qu’on n’est pas si différent.

Pensez-vous qu’il faudrait que d’autres entreprises emboîtent le pas ?

On aurait bien aimé. Je pense qu’on est là pour partager et non donner des leçons. On veut partager cette réussite avec les entreprises tout en sachant qu’il y a pas mal d’entreprises qui font la même chose. C’est mon souhait que tout le monde fasse pareil. Ce serait un bonheur si tout le monde partageait nos valeurs. J’aurais aimé vivre dans un pays où tout le monde accepte la différence. On serait plus tolérants. À Maurice, on a quand même un peu de tolérance. Il faut qu’on soit aussi tolérant envers ceux qui sont handicapés ou ont des pratiques sexuelles différentes de la norme. Il faut juste pousser la tolérance un peu plus loin.

Abordons le secteur des TIC, quelle est votre analyse de la situation ?

Aujourd’hui, la demande mondiale est exponentielle. On a une demande très importante dans la technologie. Il n’y a aucune entreprise ni aucun secteur qui peut se passer de la technologie informatique. C’est impossible. Aucune entreprise ne pourra progresser sans l’informatique. De l’autre côté, la demande pour les ingénieurs en informatique augmente grandement et cela ne s’arrêtera pas. Au contraire, elle augmentera encore plus. On le voit chez Accenture. Nous avons une très forte demande, notamment à Maurice. Nous avons tellement de demandes que nous ne pouvons pas tout faire. Nous n’avons pas suffisamment de ressources. Nous avons des personnes de l’étranger mais on est limité. Je peux embaucher 300 personnes avec de l’expérience en informatique mais nous n’en avons pas. Je dois attendre qu’une personne sorte de l’université mais cela ne suffit pas. L’UoM a décidé de doubler le nombre d’étudiants admis en Computer Science and Engineering et c’est très bien. Mais ces étudiants termineront leurs cours dans trois ans. Que fait-on entre-temps alors qu’il me faut 300 personnes ? C’est un peu un manque à gagner. Mais il faut qu’on continue de doubler les admissions, voire les quadrupler. Pour cela, il faut qu’on encourage les jeunes vers ce secteur dès le primaire. Demain, on enseignera l’informatique comme on enseigne l’anglais ou le français. Il faut que les gens bougent vers ce secteur car il représente l’avenir. Ainsi, l’Accenture Academy recycle ceux qui ont fait des études mais qui n’ont pas du travail alors que nous avons un secteur d’avenir qui manque de main-d’œuvre. C’est un secteur où l’on peut faire carrière. C’est dommage qu’aujourd’hui, les jeunes ne s’orientent pas vers ce secteur !

Les jeunes sont-ils assez conscients des opportunités de ce secteur ?

Il y a plusieurs facteurs. Le premier est le manque de connaissance des métiers de l’informatique alors qu’il y a différents types. On communique plutôt avec des jeunes à l’université pour qu’ils viennent chez nous. Il faut initier nos jeunes à l’informatique pour que dès l’âge de dix ans, ils commencent à se dire que l’informatique est intéressante et qu’ils veulent s’y orienter. Lorsque nous demandons aux jeunes pourquoi ils n’ont pas étudié l’informatique, ils disent que ce n’est pas intéressant. Les parents pensent que ce secteur veut dire centre d’appels. Ils ont toujours cette image et c’est un problème de communication qui date depuis plusieurs années. On a décidé à Maurice d’appeler un secteur ICT/BPO. C’est la plus grosse bêtise qu’on ait jamais faite. Je déteste cela. Aussitôt qu’on commence à amalgamer l’informatique/BPO/centre d’appels, cela a été foutu. Ils ont tout mis dedans. Les parents croient que leurs enfants qui ont fait des études poussées travailleront dans un centre d’appels. Aujourd’hui, en Inde, le métier d’ingénieur en informatique est le souhait de tous les parents pour leurs enfants. C’est le meilleur emploi en ce moment. L’Inde a réussi à donner ses lettres de noblesse aux ingénieurs informatiques. Ce que nous n’avons pas réussi à faire. Nous avons fait l’inverse. Nous avons tout amalgamé et les parents pensent que leurs enfants travaillent dans un centre d’appels. C’est extrêmement négatif. Ce n’est pas assez valorisé. Il faut que les parents soient fiers de leurs enfants et voient ce que leurs enfants font. Ils pourront ainsi voir la complexité du travail car les enfants travailleront sur l’intelligence artificielle, le big data, l’analytics. On discute avec de grandes compagnies et c’est d’un très haut niveau. Alors que nous cherchons du monde, nous avons encore des difficultés à trouver des gens. La valorisation du métier est importante. Ainsi, il est important de valoriser le poste d’ingénieur en informatique. Aujourd’hui, les jeunes dans le secteur de l’informatique sont pour la plupart mariés, ils ont leurs maisons et leurs voitures. C’est un métier où on gagne bien sa vie. Mais cela n’est pas très connu alors que nous passons notre temps à communiquer. Il faut redonner ses lettres de noblesse à ce secteur. Il faut qu’on ait cela à Maurice. Ce secteur nécessite des gens ayant fait des études poussées. L’Inde a réussi grâce à l’informatique. Les gens sont bien formés dans les universités et nous avons des experts indiens qui travaillent chez nous. Sur les dix prochaines années, nous aurons plus de ressources pointues. Il nous faudra des gens qui pourront évoluer face à un monde qui évolue constamment. C’est passionnant comme métier. D’où l’importance de travailler dans ce secteur.

La question de manque de talents et de compétences est souvent soulevée. Qu’en pensez-vous ?

Il faut régler le problème des ressources pour l’intelligence artificielle ou le Blockchain. On le fait déjà chez nous. Il faut trouver les bonnes ressources et attirer les jeunes vers ce type de métier. Tant qu’on n’aura pas de ressources, on ne fera rien. Ce ne sera pas correct qu’on développe un centre AI à Maurice et qu’on importe 90% de la main-d’œuvre.

Comment faire pour attirer des talents pour que ce secteur continue sa croissance ?

Je ne vois pas un informaticien se recycler en médecine, droit ou comptable. Une fois que les gens entrent dans ce secteur, ils ont compris. Le besoin est déjà énorme et le secteur est passionnant. Il n’y a aucun problème à retenir les talents. Mais le problème à Maurice est que les gens bougent d’une boîte à l’autre. Nous sommes l’une des entreprises où les gens font carrière. On a des programmes qui permettent de travailler chez Accenture dans d’autres pays au monde. Nous avons aussi un problème de fuite de cerveaux à Maurice et qui concerne ceux qui sont arrivés à un certain niveau. Nous avons beaucoup de personnes expérimentées qui quittent Accenture mais reviennent après. Le bassin à Maurice est petit. Mais ce qui m’inquiète le plus, ce sont les gens qui quittent le pays définitivement. Dans ce cas, nous ne pouvons rien faire. Ils considèrent qu’il n’y a pas d’avenir pour eux et pour leurs enfants à Maurice .

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