Preetam Bhugloo : « Je crains une catastrophe sanitaire après la réouverture des frontières »

Le président de l’Hotel and Restaurant Employees Union (HREU), Preetam Bhugloo, est pessimiste quant aux retombées de l’ouverture des frontières du 1er octobre. Il pense que le pays pourrait sombrer dans une catastrophe sanitaire entre novembre et décembre après l’ouverture de l’espace aérien si les autorités ne vérifient pas le protocole sanitaire dans les établissements hôteliers. Raisons évoquées : un certain nombre d’établissements hôteliers n’appliquent pas à la lettre le protocole sanitaire pour éviter la propagation du Covid-19. Pire encore, souligne-t-il, la plupart des travailleurs d’hôtel prennent les autobus pour aller travailler dans les hôtels et il n’y a pas de distanciation sociale.
Preetam Bhugloo, qui avait à ses côtés Keswur Gajadhur, secrétaire de la HREU, explique dans l’interview qui suit que l’extension de l’assistance financière aux hôteliers pour le paiement du salaire des employés jusqu’à décembre n’est pas suffisante. Il faudrait, selon lui, que le gouvernement étende le Wage Assistance Scheme jusqu’à juin 2022. Il fait part aussi de son pessimisme quant à l’arrivée des touristes en grand nombre dès l’ouverture des frontières parce que Maurice a connu une mauvaise publicité ces derniers temps dans les médias étrangers par rapport au nombre de cas de Covid-19 répertoriés ces derniers temps. Il profite de l’occasion pour expliquer les grandes manœuvres utilisées par les hôteliers pour se séparer d’un grand nombre d’employés et les petites misères de ces derniers.

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Comment le Covid-19 a-t-il affecté les travailleurs de l’industrie touristique ?
Le Covid-19 a été un coup dur pour les travailleurs de l’industrie touristique. Dès que le Covid-19 a commencé à sévir, on a dû rester à la maison, ce qui a contribué à baisser sensiblement nos revenus découlant des heures supplémentaires, du Sunday Pay et des heures supplémentaires.

Je donne un exemple. Lorsque le travail prenait fin à 15h, certains demandaient qu’ils aient la possibilité de travailler jusqu’à minuit contre le paiement d’une allocation de Rs 1 000. Lorsqu’on ajoute toutes ces facilités ensemble, un travailleur d’hôtel arrivait à obtenir à la fin du mois un salaire décent. Maintenant, tous ces avantages ont été éliminés. Nous avons droit à seulement notre salaire de base. Lorsqu’on enlève la contribution au plan de pension national, la contribution au Provident Fund et la police d’assurance, nous nous retrouvons avec Rs 4 000 en moins dans notre salaire de base.

Nous sommes encore plus affectés car la plupart des employés de l’industrie touristique ont contracté des emprunts pour financer les études de leurs enfants, comme c’est le cas pour moi. Moi-même, j’ai contracté un emprunt de Rs 250 000 pour financer les études de mon enfant. Maintenant, malgré des moratoires pour le remboursement de cet emprunt, on me demande de m’acquitter des intérêts qui se sont accumulés. Ce n’est pas du tout facile quand on sait qu’il faut en même temps faire bouillir la marmite et payer les factures d’électricité et d’eau. La vie des travailleurs de cette industrie a été bouleversée complètement. Les 100 000 personnes qui travaillent dans cette industrie se retrouvent littéralement dans la même situation.

Comment accueillez-vous la décision prise pour le gouvernement d’étendre jusqu’à décembre prochain l’assistance financière aux travailleurs de ce secteur ?
Je dois dire que c’est une bonne décision de la part du gouvernement. Généralement, les salaires des employés de ce secteur sont en dessous de Rs 25 000. On obtient actuellement notre Full Basic Salary. Même si nous ouvrons les frontières, je crains fort que nous n’obtenions pas d’heures supplémentaires. C’est pourquoi nous demandons au patronat des établissements hôteliers de nous accorder le Sunday Pay et un paiement supplémentaire durant les jours fériés pour nous soulager. Les propriétaires des établissements hôteliers doivent comprendre qu’il est temps maintenant de mettre la main à la poche car ils se sont enrichis depuis des années.

Il faut maintenant soulager les travailleurs qui ont contribué à créer la richesse de cette industrie. On ne s’attendait pas qu’une pandémie nous frappe de plein fouet. Il y a des groupes hôteliers dans ce pays qui existent depuis 50 ans. Qu’ils ne viennent pas me dire qu’ils n’ont pas réalisé des profits pendant toutes ces années et qu’ils sont en faillite à cause du Covid-19.

Figurez-vous qu’avant le Covid-19 les travailleurs de l’industrie touristique touchaient même un quatorzième mois de salaire à la fin de l’année. Ce qui fait qu’en décembre on touchait quatre salaires et en sus de cela, des clients nous offraient parfois des Tips. Maintenant, il n’y a pas que nous qui sommes sévèrement affectés. Les marchands de légumes et les vendeurs d’œufs qui livraient leurs produits ne savent plus à quel saint se vouer. Kan zot fer fayit, zot tir sa ar nou. C’est nous qui devons payer les pots cassés. Le syndicat pense que le gouvernement devrait soulager les travailleurs de cette industrie en diminuant leurs dettes à partir d’un certain seuil salarial. Le coût de la vie continue d’augmenter de façon conséquente et certains ne peuvent pas vivre.

Dans certains pays, le gouvernement a pris la décision d’effacer les dettes des travailleurs à travers le Fonds monétaire international. Si ce n’est pas possible de rayer les dettes des travailleurs, le gouvernement pourrait envisager d’éliminer au moins la moitié de ces dettes en raison du Covid-19. Le gouvernement doit étendre cette assistance jusqu’à juin 2022. Arrêter cette assistance financière à partir de décembre prochain sera fatal pour les employés de l’hôtellerie et du tourisme en général. Nous pensons que la situation ne retournera presque à la normale qu’à partir de 2024.

Pourquoi dites-vous 2024 ?
Nous disons cela car nous avons l’impression que les autorités sont en train de cacher le nombre réel de cas de Covid-19. Pour le moment, le gouvernement est en train tout simplement de tir sapo lor so latet pou met li lor latet popilasion. Parce que le gouvernement est dit aux gens de continuer à porter le masque, se désinfecter les mains avec des Hand Sanitizers et de pratiquer la distanciation physique. On nous dit qu’il faut vivre avec le Covid-19. La distanciation sociale est une vraie mascarade.

On dit aux gens de pratiquer la distanciation sociale alors qu’on continue à voyager dans des autobus bondés de gens qui s’assoient les uns à côté des autres. Même des autobus privés qui vont à l’hôtel sont bondés de gens. Il n’y a pas du tout de distanciation physique. Si le Covid-19 est en train de progresser dans le pays, c’est parce que les autorités sont en train de faillir dans leurs tâches. À mon avis, c’est une des raisons pour lesquelles le Covid-19 est en train de répandre dans le pays.

Finalement qu’est-ce qu’on appelle distanciation physique ? S’applique-t-elle seulement pour les banques ? Si un autobus qui transporte des travailleurs d’hôtel est bondé et que ces mêmes travailleurs prennent l’autobus après pour rentrer chez eux, on pourrait déjà imaginer un peu les répercussions sur la population lorsque ce secteur va démarrer. Maintenant on viendra dire que la population n’est pas en train de prendre ses responsabilités. Pour le moment le gouvernement pe anvi lav so lame avek nou.
Pour nous, la situation est grave parce qu’on a caché beaucoup de choses à la population. Que voit-on dans le pays actuellement ? Les grandes sociétés spécialisées dans les funérailles se sont regroupées pour faire des profits. Maintenant, les autorités demandent à ceux infectés par le virus d’aller en isolement chez eux. Nous savons que la plupart des couples mauriciens qui ont des enfants disposent de deux à trois chambres à coucher mais avec un seul cabinet de toilette. Comment va-t-on empêcher le virus de se répandre dans la maison et d’affecter tout le monde ?
On se rappelle, sans doute, que des gens qui étaient en quarantaine dans les hôtels prenaient la poudre d’escampette. Maintenant, on dit aux gens infectés par le Covid-19 de rester chez eux. Croyez-vous qu’il va rester enfermé dans sa chambre ? Pour lui, les autorités sont en train de fuir leurs responsabilités. Je crains fort qu’à partir du 1er octobre, lorsqu’on va ouvrir nos frontières, il y ait une catastrophe dans le pays vers novembre et décembre dans ce pays.

On ne pourra pas contrôler le Covid-19. Nous disposons d’informations selon lesquelles certains établissements hôteliers ne sont pas en train d’appliquer le protocole sanitaire. Ils disent que le Test Kit est vendu entre Rs 200 et Rs 300 et qu’ils ne peuvent pas se permettre de faire un tel investissement pour environ 200 à 300 travailleurs. Cela fait certainement une importante somme d’argent s’ils doivent répéter ce test après chaque six jours. Pensez-vous que le patron d’un établissement hôtelier dépensera Rs 100 000 chaque six jours pour des tests antigéniques ? On est en train de prendre tout simplement la température des employés sur le site de travail. Est-ce que les petits établissements hôteliers sont en train de faire des antigéniques ? J’en doute fort.

Que se passe-t-il lorsqu’un travailleur d’hôtel est testé positif au Covid-19 ?
Le patron de l’établissement hôtelier accorde des congés maladie aux travailleurs infectés. S’ils ont épuisé leurs Sick Leaves, on fait passer les absences au travail dans les congés annuels. Si tous les congés sont épuisés, à ce moment la direction des établissements hôteliers a la possibilité d’appliquer le Covid Leave. Je pense que c’est une anomalie. On ne peut pas couper les congés annuels et les congés de maladie alors qu’on a contracté le virus sur le lieu du travail. Et si un travailleur cache maintenant qu’il a été infecté et qu’il reprend le travail ?

Depuis lundi dernier, certains établissements hôteliers ont commencé à envoyer des e-mails aux travailleurs pour les informer que leurs congés de maladie liés au Covid-19 seront épuisés dans les congés de maladies et annuels.

Durant cette période de pandémie, certains patrons des établissements hôteliers ont demandé à un certain nombre de leurs employés de prendre leur retraite volontairement. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je sais qu’à partir de 2020, les travailleurs qui sont âgés de plus de 50 ans et qui comptent au moins dix années de service ont été appelés à prendre leur Early Retirement. Un grand groupe hôtelier a mis en pratique cette politique. Mais le comble dans tout cela, c’est que lorsqu’ils ont pris leur retraite volontairement, ils n’ont pas droit à une pension.
Maintenant, ils doivent chercher un emploi alternatif car c’est l’endettement qui les a poussés à prendre l’Early Retirement. Le syndicat demande que ces autorités prennent en charge cette catégorie de travailleurs pour les recycler dans un autre secteur. Un deuxième groupe hôtelier a appliqué le même principe pour les travailleurs qui ont plus de 55 ans. Ces derniers ont opté pour un “lump sum” et un plan de pension.

D’autres propriétaires d’établissements hôteliers ont intimidé les travailleurs. Ils ont fait comprendre à certains employés qu’ils doivent prendre l’Early Retirement avant que les hôtels ne décident de les licencier en raison du Covid-19. Ils sont partis avec un mois de salaire et pourtant le gouvernement soutenait financièrement les hôtels.

Certains travailleurs après avoir pris leur Early Retirement sont venus vers nous pour nous en parler. Je connais un établissement hôtelier situé dans l’Est du pays qui a adopté cette pratique. Ils n’étaient pas au courant que le gouvernement avait décidé de soutenir les employés de cette industrie. Lorsque les travailleurs ont porté plainte, un responsable des ressources humaines a dû être démis de ses fonctions.

Je connais un autre hôtel qui a fait partir environ 80 travailleurs à travers cette méthode. Comment va-t-on les remplacer lorsque l’industrie touristique recommencera à rouler à plein régime à l”avenir. Que va-t-on faire à ce moment-là ?
Il n’y a pas que dans le gouvernement qu’il y a des irrégularités. Dans le secteur privé, c’est encore pire. On a même rapporté un cas où un haut cadre a commis une fraude d’environ Rs 600 millions sur un projet de rénovation. Maintenant, les hôtels viennent dire qu’ils n’ont pas d’argent. Mais d’où sort cet argent pour des rénovations sur plusieurs mois ? Et certains sont même disposés à recruter des travailleurs étrangers.
En cette période de pandémie, il faut que les autorités imposent un veto sur le recrutement des travailleurs étrangers dans le pays. Des cuisiniers étrangers continuent à travailler dans les hôtels et on dit aux Mauriciens qu’il n’y a pas d’emploi pour eux. Il ne faut pas croire que des Mauriciens ne peuvent pas travailler comme des Executive Chef, Executive Housekeeper ou F & B Directors. L’École hôtelière a formé beaucoup de travailleurs dans le secteur. Tous ces postes peuvent être occupés par des travailleurs mauriciens. Pourquoi inviter les travailleurs étrangers à se joindre à ces secteurs ? Nous demandons également aux autorités de ne pas renouveler le permis de travail des expatriés dans nos hôtels car il n’y a point de travail pour les Mauriciens.
Le syndicat n’a, cependant, aucun avis défavorable à l’égard des General Managers qui sont recrutés dans ce secteur car ce poste requiert des contacts internationaux pour attirer les clients et gérer les affaires des hôtels. Je sais qu’il y a beaucoup de Mauriciens compétents qui ont dû prendre de l’emploi sur les bateaux de croisière. Il faut savoir que tous ceux qui travaillent sur les bateaux de croisière ont reçu leur formation dans l’hôtellerie. Maintenant, tous ceux qui travaillaient sur ces bateaux sont retournés au pays en raison du Covid-19 et n’ont pas de travail. Il faut songer à recruter des travailleurs mauriciens au lieu de se fier aux étrangers qui sont parfois payés en euros. En sus de cela, ils ont droit à toute sorte de privilèges, tels que logement, bonne à tout faire, voiture de fonction et allocation de carburant.

Quelle votre lecture de la situation qui prévaut chez Air Mauritius en ce moment ?
Nous pensons au niveau du syndicat que sans l’apport d’Air Mauritius, il y aura peu de touristes à Maurice. J’apprends qu’on s’apprête à recruter un super CEO, et par la même occasion, on a réduit la taille de la compagnie. Sans Air Mauritius, il n’y aura pas de touristes dans le pays. Air Mauritius est un Must dans ce secteur. Je ne crois qu’à partir du 1er octobre, il y ait de grand changement dans le secteur touristique car Maurice a été victime d’une mauvaise publicité aux États-Unis et en France à travers France 24.
Cette mauvaise publicité a porté préjudice à l’image du pays et beaucoup de réservations ont été annulées. J’ai appris de propriétaire d’un établissement hôtelier que ses réservations ont chuté de 6 à 7% à la suite de cette publicité. Aussi, en Europe, notamment en France, en Angleterre et Italie, les gens ont décidé de passer leurs vacances dans leurs pays respectifs après avoir été mis au courant que plusieurs milliers de personnes ont contracté le coronavirus chez nous et que le nombre de morts liés à cette maladie continue d’augmenter. Ils ont peur maintenant de faire le déplacement à Maurice.
Nous, à notre niveau, nous pensons que si les autorités mettent en place un protocole sanitaire irréprochable dans les hôtels et font une bonne publicité autour de l’image de Maurice, on pourra s’attendre alors à ce que les touristes décident de revenir à Maurice en grand nombre.

Est-ce que les travailleurs des hôtels ont peur de travailler avec les touristes à cause du Covid-19 ?
Si le gouvernement continue à soutenir ce secteur, je pense que la peur qui habite les travailleurs va se dissiper. Imaginez que le gouvernement avait décidé de ne plus soutenir cette industrie à partir du 1er octobre prochain… Certains hôtels auraient eu à opérer avec un personnel réduit. On se serait alors retrouvé avec une politique de Reduce Work.
D’autre part, les travailleurs d’hôtel ont peur de contracter le virus auprès des touristes. Je connais un établissement où il y a eu transmission du virus. Ils ont peur de transmettre le virus aux membres de leurs familles car après les heures de travail, ces employés vont être autorisés à rentrer chez eux. Je connais un hôtel dans le sud du pays où bon nombre de ses travailleurs sont en isolement à domicile. Les résidents avaient transmis le virus aux travailleurs. Protocole zéro.

J’ai un ami qui travaille à l’hôpital de Rose-Belle pendant 29 ans. Il a été testé positif au Covid-19. Bann la finn donn li panadol ek siro gargarize pou al lakaz. Lorsqu’il a demandé une ambulance pour rentrer chez lui, on lui a fait savoir que le véhicule n’est pas disponible. Il a dû prendre un autobus. Imaginez cela venant d’un membre du personnel de l’hôpital, et on ose dire qu’on pratique la distanciation sociale pour combattre le Covid-19. Imaginez un peu une personne qui a été testée positive au Covid-19 et qui voyage dans un autobus. Elle a côtoyé un receveur et s’est assise à côté d’autres passagers. Où va-t-on dans ce pays ? Est-ce que le gouvernement refuse d’assumer ses responsabilités ? Il se pourrait qu’en décembre prochain, il y ait un nouveau confinement.

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