Shaama Sandoyea : « Je rêve d’une île résistant au changement climatique et libre des lobbies »

Shaama Sandoyea, qui détient depuis cette année une licence en biologie marine, a la liberté de parole des jeunes de son âge. Elle n’a pas sa langue dans sa poche. Cette jeune fille de 22 ans a été une des initiatrices de la première marche de protestation contre le changement climatique le 15 mars dernier à Port-Louis. Depuis, le groupe d’étudiants protestataires, qui comprend des membres de Fridays for Future Mauritius, a organisé une quarantaine de manifestations, qui ont pris différentes formes, à Port-Louis et dans les régions urbaines de l’île. Aujourd’hui, elle constate que les gens n’arrivent plus à faire le lien entre l’environnement et leur vie quotidienne. Elle déplore que les discours des politiciens ne soient pas suffisamment suivis d’actions concrètes et plaide pour l’introduction du concept de la nature et de l’environnement dans la Constitution. Elle réclame également l’introduction du Climate Change Bill et condamne la violence sous toutes ses formes, estimant que si on se permet d’être violent envers ses semblables, on ne se sacrifiera pas pour la nature. « La violence découle avant tout d’un manque de respect de soi », dit-elle.

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Sharma Sandooyea, depuis l’organisation de la première marche de Fridays for future le 15 mars 2019, vous avez été projetée dans l’actualité. Racontez-nous cette expérience ?

C’était une expérience très rapide et dynamique. On a rencontré énormément de gens depuis le 15 mars. Beaucoup de plateformes médiatiques se sont ouvertes à nous. Ce qui nous a permis de nous exprimer. À la base, on a voulu demander au gouvernement de prendre des actions concrètes dans le cadre de l’urgence climatique. Nous avons souhaité que la nature et les changements climatiques soient inscrits dans la Constitution. Un de nos objectifs est d’amener le gouvernement à introduire le droit à un climat sûr dans la Constitution. Au fil des semaines, nous avons réalisé qu’il ne suffi sait pas de manifester, qu’il fallait également sensibiliser les gens. Lorsqu’on manifestait, il y avait souvent des gens qui passaient par le jardin de la Compagnie et qui s’arrêtaient pour nous demander ce que nous faisions. C’est une occasion pour nous de parler aux gens. Pour nous, c’était une grande satisfaction car on avait le sentiment qu’on n’avait pas seulement manifesté mais qu’on avait pu parler aux gens. C’est cette expérience qui nous motive et nous pousse à aller de l’avant. On a eu également des déceptions. Nous avons rencontré le Senior Advisor du Premier ministre. Il nous a vendu de beaux rêves qui ne se sont pas concrétisés. On ne peut pas dire qu’il n’y a rien qui se fait mais c’est insuffisant. On nous a expliqué qu’un service orienté vers le changement climatique a été créé, mais on ne voit toujours pas ce qui se fait de concret.

Qu’est-ce qui vous avez poussée à descendre dans les rues ?

Personnellement pour moi, cela a été des mois de frustration à cause de l’injustice subie par la nature. Or ce gouvernement ne faisait pas grand-chose. Depuis très jeune, je me suis sentie interpellée par la question environnementale. Mes études de sciences marines à l’Université de Maurice ont été pour moi un “eye opener” qui m’a conduite à prendre conscience que l’environnement devrait primer en toutes circonstances. La réalité est que ce n’est pas le cas. Il y a toutes sortes de lobbies qui continuent à faire pression sur le gouvernement en leur faveur. On continue à construire n’importe comment, à produire de l’oxyde de carbone sans que le gouvernement n’intervienne. Je voulais agir comme une personne qui connaissait bien les enjeux. Il fallait pour cela que je complète ma licence. De plus, je ne savais pas vers qui me diriger. Vers la fi n de 2018, Greta Thunberg a commencé à manifester et j’ai pensé que c’était très courageux de sa part. Je me suis dit qui fallait absolument faire quelque chose à Maurice. Une amie m’a mise en contact avec des personnes responsables de Fridays for Future en Europe Ils ne connaissaient pas Maurice. Je leur ai parlé pour leur expliquer la situation à Maurice. Ils nous ont encouragés. C’est là qu’on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. Les choses se sont enchaînées. Il y avait Victoria ainsi que Leyla qui voulaient faire quelque chose. On s’était parlé sur les médias sociaux mais c’est le 15 mars au jardin de la Compagnie que nous nous sommes rencontrés pour la première fois.

Ce jour-là, c’était la première fois que les jeunes de l’Université et d’autres écoles sont descendus dans les rues ?

Ce n’était pas nécessairement les étudiants de l’Université. C’était surtout des jeunes du Lycée qui avaient, semble-t-il, plus de flexibilité pour participer au “strike” contrairement à ceux des institutions gouvernementales. On avait commencé à faire des démarches auprès des élèves de Queen Elizabeth. Quelques filles étaient venues. Le problème est que c’est un collège public et que ce n’était pas facile de manifester contre le gouvernement. Personnellement, je pensais que le mouvement devait venir de l’Université. Malheureusement, il n’y a eu que moi et quelques jeunes qui étaient déjà engagés dans l’environnement. Cela m’a beaucoup touchée parce que j’estimais que les étudiants sont les jeunes de mon âge et sont supposés d’agir.

Est-ce que depuis cette action les jeunes se sont mobilisés davantage ?

J’ai été à l’université jusqu’au mois de mai de cette année et durant mon passage, j’ai fait beaucoup de bruit concernant l’environnement, les déchets, etc. Personne n’a écouté. Pas grave. Depuis que je suis partie j’ai constaté qu’il y a beaucoup de jeunes qui essaient de faire bouger les choses. Maintenant je constate qu’il y a une forme de conscientisation par rapport aux changements climatiques. C’est une source de satisfaction et de motivation. Je suis aussi satisfaite que lors de nos manifestations au jardin de la Compagnie, beaucoup de personnes aient manifesté leur intérêt, même les politiciens à titre personnel. Du côté du ministère de l’Environnement, c’était vraiment bof. Les médias, par contre, nous ont beaucoup aidés car sans eux, nous n’aurions pas pu faire passer nos messages.

Est-ce que les jeunes de l’Université étaient conscients que ce mouvement avait une dimension internationale ?

Laissez-moi vous dire qu’il y a des professeurs de l’Université qui m’ont beaucoup soutenue. Ce qui m’a choquée c’est que le vice-chancelier a adressé un mail aux étudiants pour leur dire que les jeunes qui « strike » devaient commencer par nettoyer leur chambre car ce sont qui utilisent les climatiseurs, etc. Je me suis sentie directement visée. J’étais dégoûtée et je lui ai adressé une réponse de manière assez forte pour exprimer mon point de vue et il n’a jamais répondu. Le jour de ma “graduation”, j’étais surprise de l’entendre parler de « sustainability ». J’ai fait Wow.

Ne pensez-vous pas que tous les étudiants auraient dû être sensibilisés sur les problèmes touchant l’environnement ?

Absolument. Je suis définitivement en faveur de cela. Le problème est qu’il n’y a pas suffisamment de jeunes qui s’intéressent aux questions environnementales. Pour eux, l’environnement à Maurice ne rapporte pas de sous. C’est la mentalité qu’il faut casser. On doit comprendre que la nature était là avant nous. On ne doit pas être aussi gourmand et faire comme si la nature n’existe pas. Or, les jeunes sont formatés pour aller à l’école, au collège, à l’université, pour faire la comptabilité, l’informatique, le droit d’avoir un diplôme et faire de l’argent, acheter une voiture. La question d’apporter leur contribution à la préservation de la planète constitue le cadet de leurs soucis. Moi, j’adore mon pays et je pense qu’on ne peut pas rester insensible si on voit quelqu’un en train de détruire l’environnement.

Qu’est-ce qui vous frappe le plus ?

Vu que j’ai fait des études en science marine, c’est l’environnement marin. Je vois que les tortues sont constamment menacées, que les baleines sont menacées par des bateaux, que les coraux sont en train de mourir, que les poissons ne sont plus là et que l’environnement est dégradé à cause de certains projets hôteliers et des projets immobiliers non planifiés. C’est horrible de voir qu’on mange des légumes contenant un niveau élevé de pesticides. Mais c’est quoi tout cela ? Nous sommes arrivés à un point où on ne sait plus quoi manger. Il y a un problème. Nous sommes une île dont la gestion devrait être facile parce que nous avons une surface limitée ; or nous n’arrivons pas à prendre les mesures qu’il faut. How are we expecting other countries to change ? En vérité, nous aurions dû être un exemple au monde. Nous avons moins de 25% de nos coraux encore vivants.

Est-ce que ce sont les résultats de vos études ?

Pas de moi, mais du Mauritius Oceanography Institute. Avons-nous besoin des accords de pêche avec l’Union européenne ou les Japonais ? Nous avons besoin de préserver nos ressources. Pourquoi ne pas former les pêcheurs locaux et travailler avec eux.

Avez-vous l’impression que les gens n’ont pas conscience que l’environnement concerne leur vie de tous les jours ?

C’est vrai que les gens n’arrivent pas à faire le lien entre l’environnement et leur vie quotidienne. Ils ne réalisent pas d’où viennent les produits ou objets qu’ils utilisent et les produits qu’ils mangent. On mange des légumes et après 20 ans on réalise qu’on a un problème de santé à cause des pesticides. Les gens se plaignent actuellement de la chaleur sans réaliser qu’ils sont affectés par les changements climatiques. Ce sont les petits planteurs, les pêcheurs, etc. qui vivent ces problèmes quotidiennement. Les gens du bureau, ils ont leurs climatiseurs. Il est temps que les gens comprennent que sans la nature et l’environnement, nous ne serions pas là. S’il n’y a pas d’arbres, de fruits et de légumes, qu’allons nous faire ? Est-ce seulement des poulets et des saucisses dont une bonne partie est bourrée d’hormone ?

Le slogan du 15 mars dernier était « Planet pe soffe zenes pe leve ». Est-ce que les jeunes se réveillent vraiment ?

Au niveau du Fridays for Future et d’un certain nombre d’organisations, nous sommes vraiment conscients du problème. Depuis mars jusqu’à maintenant, on fait de notre mieux. On a recueilli l’opinion des gens sur ce qu’ils souhaitent voir changer dans leurs villes. Nous avons adressé des lettres aux municipalités de Port- Louis et de Curepipe sans avoir de réponse. Même la lettre que nous avons adressée au Premier ministre et qui contenait neuf demandes est restée lettre morte. Nous avons entendu le Premier ministre dire qu’il faut inclure les jeunes dans l’environnement. T’es où lorsqu’on t’appelle ? T’es où lorsqu’on t’adresse une lettre ? Depuis au moins 40 semaines, on manifeste et il ne nous entend pas, comment veut-il inclure les jeunes ? C’est quoi le problème ? Est-ce qu’il veut vraiment entendre ce qu’on a à dire. Nous sommes là pour dire la vérité. Nous n’avons pas notre langue dans la poche. Ce qu’on constate, c’est qu’il y a des choses que le gouvernement peut faire qui ne sont pas faites.

Par exemple ?

Il n’agit pas suffisamment. Il y a des textes de loi qui ne sont pas appropriés au changement climatique. On a banni le plastique, mais on les voit partout. Il y a la police de l’Environnement et le tribunal de l’Environnement. Que font-ils ? Nous n’avons pas l’impression qu’ils font leur travail comme il se doit.

Dans une lettre adressée par Fridays for future aux parlementaires, il est dit que l’Assemblée nationale n’a rien fait concernant l’urgence climatique…

Sorry, depuis longtemps on parle du Climate Change Bill. Il est où ce texte de loi ? C’est cela qui nous embête. Ils parlent beaucoup mais au niveau des actions, c’est zéro.

Que peut-on faire concrètement ?

Il est grand temps de revoir les textes de loi. Nous insistons pour que la protection de l’environnement figure dans la Constitution. A suivre

La COP25 semble n’avoir pas donné les résultats escomptés cette année ?

Je ne m’attendais pas à mieux. En ce qui concerne Maurice, on a conclu l’accord de Paris et beaucoup d’autres conventions. Est-ce que nous les respectons ? Le pire, c’est que lorsqu’on a rencontré les membres du National Environment Fund, on leur a dit que le taux d’émission de CO2 avait augmenté de 2017 à 2018. On nous a aussitôt dit que cela représente moins de 1% de l’émission globale. On leur a demandé si c’était une excuse pour augmenter l’émission de dioxyde de carbone. Désolé, cela veut dire qu’on est obligé d’émettre ce gaz. Justement, nous sommes un petit territoire, nous aurions pu devenir un exemple mondial. On a la capacité et l’aide financière nécessaire pour le faire. Combien d’argent a-t-on dépensé pour le métro, etc ? Pourquoi ne pas mettre tout le paquet pour l’environnement. Je comprends que l’environnement ne rapporte pas de sous, mais à long terme, cela nous permettra de vivre, d’avoir à manger, de respirer de l’air pur.

En tant que jeune, quel regard jetez-vous sur 2019 en général ?

Je garde un bon souvenir des Jeux des Îles. C’était la consécration du vivre-ensemble mauricien « even if there was a slight concern for the environment ». Mais quelques semaines après, avec l’arrivée des élections, on a entendu des choses abominables, comme des gens obligés de déclarer leur communauté pour présenter leur candidature. Personnellement, cela m’a dégoûté. Si on ne peut pas affirmer notre sens d’appartenance à un pays mais qu’on appartient à une religion ou à une communauté, comment peut-on affirmer que nous appartenons à une nation ? Cela m’a énormément découragé, mais il faut continuer la lutte.

Le vivre-ensemble mauricien est donc à dimension variable ?

Comment peut-on prétendre pendant 300 jours qu’on est Mauricien et pendant 60 jours dire : « Sorry, nous ne sommes pas de la même communauté. Je suis hindou, musulman, créole. » C’est gênant et cela me dérange énormément. Si on ne peut dire qu’on appartient tous à une nation, comment peut-on dire qu’on appartient à la nature et que nous nous engageons pour la protection de la nature ?

Est-ce que la violence contre les femmes et les enfants vous interpelle ?

C’est quelque chose de scandaleux. J’aurais aimé m’engager dans la lutte contre la violence, mais je suis déjà engagé dans l’environnement, et c’est déjà épuisant de faire de l’activisme. La violence est perturbante. Je salue tous ceux qui s’engagent dans cette lutte. Si on n’arrive pas à résoudre ces problèmes sociaux, nous nous retrouverons devant un grand problème à Maurice. Si on n’arrive pas à les régler, nous n’arriverons à régler les problèmes environnementaux. Il est beaucoup plus facile d’avoir de l’empathie pour son voisin que d’avoir de l’empathie pour un arbre. Si on n’arrive pas à régler les problèmes sociaux, comment peut-on changer les mentalités pour traiter les problèmes environnementaux ? Si on se permet d’être violent envers ses semblables, est-ce qu’on se sacrifiera pour la nature ? C’est dérangeant. La violence découle avant tout d’un manque de respect de soi.

Maintenant que vous avez votre licence en Science marine, pensez- vous faire carrière à Maurice ?

J’espère pouvoir poursuivre mes études, faire mon master et, éventuellement, un PhD. J’ai envie de me caler dans la recherche. On ne sait jamais. Il n’y a pas à Maurice le master que je veux faire. Je suis donc mitigé. I feel alliniated everywhere I go. Vous savez que j’étais athlète de haut niveau avant ? Je faisais des compétitions à l’étranger également. J’ai développé un sens d’appartenance extrêmement élevé à mon pays. Lorsque je suis à l’étranger, j’apprends énormément de choses sur les cultures, les différentes façons de vivre. Nous avons des cultures diverses, mais cela ne veut pas dire grand chose puisqu’on est tous les mêmes à la fin. C’est difficile pour des gens qui n’ont pas connu cette expérience de comprendre cela. C’est cela qui m’a amené à développer un sens d’appartenance à mon pays. Je ne supporte pas l’injustice, que ce soit vis-à-vis des autres où vis-à-vis de la nature. C’est compliqué, mais on fait ce qu’on peut.

Croyez-vous dans l’égalité des chances ?

Non. C’est vrai qu’on est nettement mieux par rapport à un grand nombre de pays, où les femmes n’ont pas le droit de faire quoi que ce soit. Toutefois, lorsqu’on regarde “deep down” dans la société, il y a toujours cette mentalité sexiste, où les hommes doivent travailler et les femmes rester à la maison. On ne peut changer les mentalités en une génération.

Quels sont vos loisirs ?

Je fais du sport. Cependant, je me ressource à travers la lecture. Dès que je sens que le monde est trop horrible, je me mets à lire. Sinon, je vais à la mer. J’adore faire de la plongée, faire de la plongée avec tuba, observer l’eau et ne plus rien entendre.

Que peut-on souhaiter pour 2020 ?

Plus d’action de la part du public et du privé, moins de paroles en l’air, moins de violences, plus d’empathie envers les hommes et la nature et tous les êtres vivants, plus de conscientisation et voir une île Maurice consciente de l’urgence écologique.

Votre rêve de l’île Maurice ?

Voir une île qui pourra résister aux changements climatiques, qui soit autosuffisante et puisse produire sa propre nourriture, qui n’a pas de lobbies politiques ou financiers, que la politique soit saine, que l’environnement soit “as it should be”, voir la résurgence des espèces qu’on a perdues. Je suis idéaliste.

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