Suttyhudeo Tengur : « Une politique délibérée pour tondre les consommateurs »

Le président de l’Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs (APEC), Suttyhudeo Tengur, est très remonté contre la flambée des prix de tous les produits alimentaires et des médicaments à Maurice. Il attribue cela à une décision politique du gouvernement qui a dévalué la roupie. Il estime qu’il y a une politique délibérée du ministre des Finances, Renganaden Padayachy, « pour tondre les consommateurs et la population ».

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Comme beaucoup de consommateurs, vous ne cachez pas votre exaspération concernant la situation des prix dans le pays. Comment voyez-vous cela ?
Dans une situation ordinaire, il est normal qu’il y ait une fluctuation des prix et qu’il y ait des hausses et des baisses. Ce que nous vivons à Maurice depuis quelque temps, c’est que la hausse des prix est le résultat des interventions politiques. Les prix des produits ont augmenté parce qu’il y a eu un exercice politique qu’on appelle la dévaluation de la roupie.
C’est un exercice intentionnel du gouvernement. Maurice est, comme vous le savez, un Net Importing Country. Nous importons tous ce dont nous avons besoin, que ce soit des produits alimentaires, des produits d’utilisation courante à la maison, des équipements ménagers et, j’en passe. Lorsque nous sommes aussi dépendants des importations, nous ne pouvons nous permettre de dévaluer notre argent, sachant que cela entraînera une hausse des prix à l’importation. J’attribue la hausse des prix conséquente à Maurice à l’intervention politique au niveau monétaire. C’est la raison pour laquelle je fais partie des personnes qui sont irritées.

Le ministre des Finances attribue la dépréciation de la roupie au fait qu’il n’y a pas suffisamment d’entrée de devises étrangères en raison du confinement qui affecte, entre autres, l’industrie touristique. Est-ce que vous partagez cet avis ?
Je ne suis pas un économiste. Ce que je sais, je l’ai appris de par ma formation de syndicaliste et aujourd’hui, comme président d’une association de consommateurs. Je constate comme tout le monde que le ministre des Finances a prévu de recueillir des fonds à travers la TVA sur les produits de consommation. Une lecture approfondie du budget indique clairement que le ministre préconise une stratégie qui entraînera une augmentation de la consommation.

Le ministre n’a pas caché qu’il souhaite relancer l’économie à travers la consommation…
Pour atteindre son objectif, le ministre a annoncé que la consommation passera de Rs 22,7 milliards l’année dernière à Rs 56 milliards cette année, soit le double. Il a créé donc une inflation artificielle. Pour arriver à ce montant, il a pris Rs 500 millions comme subside pour sept produits. Où a-t-il obtenu cet argent ?
Il faut savoir que la taxe de Rs 4 sur l’essence en avril 2020 avait rapporté Rs 527,8 millions. Ajoutez à cela la TVA qui découlera des Rs 56 milliards, vous verrez qu’il y a une politique délibérée du ministre des Finances pour tondre les consommateurs et la population. Pour relancer l’économie à travers la consommation, il crée une atmosphère visant à inciter la consommation.

Pour ce qu’il s’agit des subsides du gouvernement accordé aux importateurs afin d’empêcher une hausse de prix des produits de base, nous voulons faire ressortir que le panier de la ménagère n’est pas composé que de sept articles. Il y a au moins 21 items dans le panier de la ménagère pour les rations hebdomadaires ou mensuelles. Quid des autres produits ? Est-ce que le consommateur n’est pas écorché ?

Faudrait-il, à votre avis, revoir le panier utilisé pour décider de l’inflation ?
Certainement, il devrait revoir ce panier afin de refléter l’inflation réelle. Les derniers chiffres publiés par le Bureau des Statistiques indique un taux d’inflation de 2,2%. Je vous garantis que si vous dites sur le trottoir ou au marché que le taux d’inflation est de 2,2%, vous risquez d’avoir des coups de savates de la part des consommateurs. Cela ne reflète pas la réalité. Il est mal conçu statistiquement et économiquement.
Il est temps que le Bureau des Statistiques refasse une étude, un Household Survey car avec le taux actuel d’inflation, le ministre des Finances se ridiculise et en même temps, il est en train de tirer dans les pieds du Premier ministre, Pravind Jugnauth. Les gens se demandent quel ministre des Finances Pravind Jugnauth a mis au sein de son gouvernement et qui lui fait du tort politiquement.

Une autre raison avancée par le ministre des Finances pour justicier les augmentations de prix est le fait que le gouvernement a tout fait pour aider les travailleurs à travers le WAS, le SEAS et d’autres mesures sociales…

Le type de politique sociale mise en œuvre par un gouvernement relève de son choix. On ne prend pas l’argent des pauvres pour le retourner par la suite. Or dans ce pays, il y a mille et une façons d’aider les consommateurs. Le ministre a choisi la voie facile consistant à prendre avec la main gauche dans sa poche pour lui rendre avec la main droite. C’est une politique simpliste que n’importe qui peut faire. C’est le reproche fait au gouvernement par la population.

Vous n’avez pas encore parlé de la nouvelle taxe sur l’essence pour subventionner l’achat de vaccins. Qu’en pensez-vous ?
On a vu qu’à chaque fois que le gouvernement a des problèmes financiers, il a recours aux taxes sur les produits pétroliers. Ceux qui utilisent l’essence et le diesel sont devenus des vaches à lait pour le gouvernement. La dévaluation et la surtaxe tuent la population. Aujourd’hui, la population est devenue anémique “parski pe sous so disan”. Ce n’est pas une politique saine. Ce n’est pas correct.

Avez-vous effectué un relevé de la situation depuis que le gouvernement a mis en place le mécanisme concernant les subsides en vue de stabiliser les prix ?
Il faut se rendre à l’évidence que les prix n’ont pas baissé véritablement. On a créé l’impression que les prix ont baissé en général. Ce n’est pas le cas. Les prix ont baissé pour sept produits. D’accord, le prix du gros pois a baissé. Il y a 12 variétés de gros pois. Mais lorsque je vais faire les provisions, lorsque Basdeo, Mohamed, Philippe ou encore Ah Kwet en font de même, ils n’achètent pas 12 variétés de gros pois. Quel est le poids de ces sept produits sur le panier de la ménagère ?
Ensuite, la façon dont les prix ont été fixés décourage la compétition. Si vous avez fixé le prix du dholl gram à Rs 30, vous avez donné une licence aux commerçants de le vendre à Rs 30. Il est peu probable qu’ils le vendent à moins cher. La fixation est un couteau à double tranchant et n’encourage pas les promotions.

Croyez-vous que le gouvernement aurait dû avoir consulté les associations de consommateurs avant de venir avec ses propositions ?
Les consultations sérieuses ne font pas partie de la culture de l’actuel ministre des Finances. Il fait des consultations pour les yeux du public. En vérité, ce ne sont pas des consultations dont on avait besoin mais d’une étude de l’impact de cette baisse des prix sur les consommateurs. Pensez-vous que dans un moment pareil, on peut se permettre d’accorder un subside universel dans un pays ? On accorde des subsides aux personnes qui n’en ont pas besoin. Pensez-vous que ceux qui touchent de gros salaires avaient besoin d’une baisse de Rs 5 sur le gros pois ? Or, pour le petit maçon, le petit laboureur, le petit artisan ou menuisier une baisse de Rs 5 représente beaucoup pour lui. La façon de procéder du ministre n’est pas correcte, et novatrice. Il roule ce pays avec système archaïque.

Qu’auriez-vous fait si vous étiez ministre des Finances ?
J’aurais utilisé tous les outils et moyens technologiques qui existent pour aider la classe moyenne et les personnes au bas de l’échelle salariale. Aujourd’hui, la MRA dispose de données non seulement sur tous les chômeurs mais sur toute la population à partir de 18 ans. C’est une mine d’informations parce qu’elle a donné le salaire minimum et d’autres allocations. Elle sait qui sont ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas.
Le ministère de la Sécurité sociale dispose également de sa part d’informations. J’aurais demandé au ministère des TIC d’utiliser les moyens informatiques et techniques dont il dispose pour mettre au point un système et donner à toutes les personnes vulnérables, aux pensionnés, aux handicapés, à ceux qui reçoivent un salaire minimum, aux personnes âgées une carte qui leur aurait permis d’obtenir une baisse sur les produits achetés à la boutique ou au supermarché. Cette carte comparable aux cartes privilèges distribuées dans le commerce aurait aidé les personnes méritantes.

Le gouvernement a choisi la voie facile en accordant des subsides universels. Ce que propose le gouvernement n’est plus pratiqué dans les grands pays à l’étranger. C’est ridicule de permettre à une personne touchant des salaires de l’ordre de Rs 100 000 une baisse de Rs 5 sur les lentilles. Ceux qui ont conçu ce projet sont intellectuellement limités.

En tant que président de l’APEC, vous êtes-vous penché sur les prix des médicaments ?
Certainement. Vous savez que le diabète est une maladie qui ronge l’île Maurice. Je connais une injection utilisée par les diabétiques qui coûtait Rs 2 884. Elle est actuellement vendue à Rs 2 900 et beaucoup de personnes l’utilisent quatre fois par mois.
Le médicament Glucophase est passé de Rs 298 à Rs 331 ; Zerodol, utilisé par les laboureurs, les coupeurs de canne contre les douleurs est passé de Rs 5 à Rs 7. Je peux continuer ainsi. La baisse obtenue à travers les subsides est absorbée par les prix des médicaments. Qui vont se soucier de ces personnes ? Nou tro ti-dimounn.

Donc, vous constatez une baisse de la qualité de la vie ?
Aujourd’hui, tout le monde est obligé de faire des sacrifices énormes. Auparavant, un mariage pouvait nécessiter des dépenses de l’ordre de Rs 50 000 pour l’achat de vêtements, de chaussures et autres ornements uniquement. Aujourd’hui, on peut dépenser plus de Rs 150 000 ou Rs 200 000.

Est-ce que vous ne pouvez pas faire entendre votre voix dans les instances où vous siégez ?
Je fais entendre ma voix mais il y a des instances qui s’occupent des consommateurs où j’ai été écarté en raison de ma façon de parler. Cela ne m’empêche pas de continuer à défendre les consommateurs.

Toujours concernant les prix, il faut reconnaître que le fret a beaucoup augmenté…
C’est vrai, mais la dévaluation de la roupie est venue s’ajouter à la hausse du coût de fret largement. En Thaïlande, le fret était de l’ordre de USD 3 500 en juin de cette année. Il est actuellement de USD 4 500. Il y a moins de conteneurs qui arrivent en raison de la pandémie, ce qui entraîne une hausse du prix des conteneurs. Voyez vous-même, on sait que le fret a augmenté et on ajoute la dévaluation de la roupie. C’est comme si vous mettez du sel sur une blessure…

Que faudrait-il faire ?
Il faudra arrêter la dévaluation de la roupie et abolir la taxe de Rs 2 sur les produits pétroliers. L’essence et le diesel sont déjà surtaxés.

Vous avez dû lire que la Banque mondiale considère que la roupie est surévaluée par 30 ou 40%…
J’ai lu récemment une déclaration de lord Desai qui affirme que les instances comme la Banque mondiale font des recommandations. C’est à chaque gouvernement de voir si ces recommandations sont adaptées à son pays. Ils peuvent faire les suggestions qu’ils veulent, mais c’est à vous de voir ce qui est bon pour votre pays.

Vous êtes aussi dirigeant d’une “credit union”. Comment se porte l’épargne en ce moment ?
Le taux d’épargne est très minime. Les gens n’ont pas suffisamment d’argent pour épargner. À la base, les Credit Unions reçoivent des contributions qui sont placées à la banque. Aujourd’hui, le taux d’intérêt est trop faible. Je prends l’exemple de mon association. Nous avons quelque Rs 10 millions de Fixed Deposits” dans les banques. Cela nous rapportait Rs 800 000 il y a dix ans. Aujourd’hui, ces Rs 10 millions ne rapportent que Rs 125 000 d’intérêts. Toutes les Credit Unions vont craquer dans les années à venir. Nous n’arrivons pas à aider les membres comme il le faut.

Cette semaine a été marquée par la première phase de la réouverture des frontières. Qu’en pensez-vous ?
C’est bon qu’on ait commencé à rouvrir les frontières. Cependant, le nombre de tests de Covid effectués par jour n’est pas suffisant. Il faut faire davantage de tests afin de dépister plus de malades. Dans les 1 800 et 2 000 tests effectués par jour, on a une moyenne de 20 à 30 cas. Si on doublait le nombre de tests, on aurait pu relever plus de malades de la société et leur donner les soins nécessaires. On devrait faire le maximum de tests.
Concernant les vaccins, les gens font la queue pour le faire. Les autorités auraient dû s’assurer non seulement qu’il y a suffisamment de vaccins, mais auraient dû accélérer la campagne de vaccination avec de toucher le plus grand nombre de personnes le plus vite possible.

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